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Un graffiti qui dérange ! Interview de l’artiste Dakarois Madzoo par Veneno.

Un graffiti qui dérange ! Interview de l’artiste Dakarois Madzoo par Veneno.

« Cette fresque fut proposée au public et naturellement au gouvernement comme un miroir, c’est-à-dire une source d’introspection sincère sur la portée de nos actes les plus minimes. Quand on représente le Macky Sall (président) tirant sur un jeune, nous lui disons qu’il est le premier responsable quand la Police et la Gendarmerie tire lâchement sur des manifestants désarmés ».

Peux-tu te présenter ? Quelle formation as-tu ?

Salam, de mon nom de naissance je suis Serigne Mansour Fall mais je suis plus connu sous le pseudo de Mad Zoo TRK. Je suis un membre fondateur et président du mouvement artistique panafricain RBS CREW. Représentant en Afrique de l’Ouest du mouvement du Black Panther Party basé à West Oakland / Californie. Et enfin je suis le représentant en Afrique de l’Ouest du mouvement panafricain artistique AEROSOUL créé par l’artiste writter (graffeur), le King de Bay Area West Oakland REFA ONE.

J’ai commencé à dessiner à l’âge de 7 ans et je ne me suis jamais arrêté. Une passion artistique qui n’a en rien entravé mon parcours scolaire, jusqu’en département de philosophie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Tout petit déjà je pratiquais la bande dessinée. Le graffiti est venu plus tard.

Parles-nous de ta carrière de graffiti artist ? Quand as-tu commencé ?C’est vers 2004-2005 que j’ai débuté le writting (graff).

J’ai très rapidement voulu inclure ce style d’écriture, que je trouvais tellement élaboré et artistique, dans mes bandes dessinées.
J’allais tout le temps rendre visite à l’un des plus anciens du SENEGAL, Big Key du collectif MIZERABLES GRAFFF pour qu’il réalise mes graffs, mais je me suis tout de suite rendu compte que je pouvais apprendre à les faire moi-même, je me suis alors lancé. Il m’a initié, puis m’a mis en relation avec le graffeur Docta pour participer à une exposition collective de graffiti en 2007, qui a marqué mon accession au milieu professionnel dans le milieu du graffiti.

Tu fais partie de la célèbre organisation des « Black Panther Party”. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ? Quand et comment les as-tu intégrés ? Qu’aimerais tu faire passer comme message aux générations futures ?

Tout est né dans un premier temps grâce à mon caractère réputé « Rebelle ». Cela a toujours influencé en quelque sorte mon travail, ma vie et surtout mes études. Mon désir d’arrêter mon parcours scolaire est né d’un constat assez amer de voir que l’on ne nous apprend rien concernant notre culture et nos racines. Même dans de hautes instances de savoir comme l’Université Cheikh Anta Diop. J’ai jugé que nos leçons et cours n’étaient pas tellement « AFROCENTRISTE » alors j’ai décidé en plein cours, d’y mettre un terme sans pour autant abandonner les études car j’ai continué à faire mes propres recherches en me dotant d’une bibliothèque. Une idéologie politique est née de ces recherches et constat sur l’ampleur du dégât intellectuel et même spirituel dont mon peuple avait été victime depuis des siècles et des siècles. Ce qui en quelque sorte a encouragé mon accession au mouvement Black Panther et a cultivé un esprit de nationalisme purement afro centriste.
Ce qui a naturellement déteint sur mon art. Le désir était aussi de ne pas juste copier aveuglement ce mouvement.
Fidèle à ma réputation critique, je devais aussi interroger son héritage et pouvoir l’intégrer dans nos réalités sociopolitiques africaines.
J’étais Black Panther par l’esprit avant même de rencontrer les Black Panther de Oakland avec lesquels j’ai tout de suite noué une relation particulière. Depuis, nous collaborons sur bon nombre de projets. Le message aux générations futures, je dirais que la célèbre phrase de Frantz Fanon résume bien ce que je voudrais leurs dire : « CHAQUE GENERATION DANS UNE RELATIVE OPACITE, DOIT DECOUVRIR SA MISSION L’ACCOMPLIR OU LA TRAHIR ».

Peux-tu nous parler de tes crew les « RBS » et « AEROSOUL »?

Nous partageons la même mission qui est d’éduquer grâce à notre art autour d’un esprit nationaliste, patriote afro centriste affirmé.

Au début le RBS CREW fut juste un collectif d’artistes qui partageait la même passion pour cet art. On peignait souvent ensemble et le collectif a très vite grandi de part l’adhésion massive d’artistes professionnels mais aussi de jeunes novices que nous avons pris sous notre aile. Cela a révélé une sorte d’affinité politique pour nos aspirations communes de lutte et RBS devint ce qu’on connaît maintenant comme un mouvement artistique panafricain. A la base, nos membres étaient essentiellement sénégalais mais très vite d’autre nationalités nous ont rejoints sur ce front artistique et c’est ainsi que nous avons maintenant des membres au BENIN, MALI, CAMEROUN, OUGANDA, BURKINA FASO, GHANA, SUISSE, USA etc.

AEROSOUL fût par contre depuis sa naissance un mouvement artistique panafricain créé par l’un des plus anciens artistes writter (graffeur) du West Coast (Californie), REFA ONE qui est d’une famille de Black Panther depuis sa création et possède à son actif plus de 33 ans de carrière. Un mouvement réunissant essentiellement des artistes africains aux USA qui organisaient le plus grand festival afro-américain de graffs des US, dénommé AEROSOUL.
Après avoir longuement collaboré, nous avons voulu en quelque sorte fusionner nos deux entités (RBS et AEROSOUL). De là est né le RBS CALIFORNIE et AEROSOUL WEST AFRICA /SENEGAL.

Depuis l’arrestation, d’Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, le Sénégal fait face à l’une des pires crises de ses dernières années.
 Que peux-tu nous dire concernant cela ? Quelle-est ton opinion ?

Actuellement on a un homme atteint par la folie du pouvoir à la tête du Sénégal, un homme qui à un moment donné, a cru qu’il pouvait installer une dictature rampante sans trouver de résistance en face de lui. Car si un président se met en tête l’idée d’évincer ses adversaires politiques un à un pour rester au pouvoir indéfiniment, il menace directement la stabilité du pays. Beaucoup de crimes impunis, la hausse du chômage, une disparité sociale de plus en plus manifeste au Sénégal ont créé une sorte de cumul de frustrations qui a bien évidemment explosé, car le peuple n’en pouvait plus. Et je dirais que le problème majeur de ce genre de situation, c’est bien ceux qui ne savent pas faire la différence entre LES RESPONSABILITÉS et les PRIVILÈGES. Quand des dirigeants trahissent le pacte qui les lient à leur peuple, se dresser et s’opposer devient un devoir fondamental et c’est ce qui s’est passé ici.

Les jeunes sénégalais réclament plus de transparence, qu’aimerais-tu entendre ou voir comme changements de la part du gouvernement et de ses dirigeants ?

Qu’ils respectent leur peuple tout simplement et œuvre de manière sincère à ce pourquoi nous les avons mandatés à ces postes-là.

Désireux de favoriser les entreprises locales et nationales, les manifestants visent aussi la France pour symboliser leur volonté d’autonomie. Quelles seraient selon toi, les solutions pour que l’Afrique ne se laisse plus faire ?

Il y a une certaine hypocrisie de l’Occident qui se veut donneur de leçon d’humanité à tous et qui oublie que c’est précisément leur attitude purement oppressive, qui est à l’origine de bien des choses partout dans le monde, surtout en Afrique. La France de part sa politique coloniale en Afrique est l’un des exemples les plus marquants de cette hypocrisie qui, par-dessus tout, se veut « Pays des droits de l’homme ». Foutaise !

Un peuple témoin de tout ce que de telles nations ont pu infliger aux leurs, prendra nécessairement comme cible, ces symboles de dictatures économiques.

Je pense qu’à notre niveau il faudra d’abord cultiver un profond sens du patriotisme, du nationalisme économique et prévaloir nos productions locales sur n’importe quelles autres industries extérieures.

Force est de reconnaître que le Sénégal a en quelque sorte opté pour un modèle politique de capitalisme libéral, alors il faudra faire en sorte que cela ne perturbe en rien notre équilibre social car il est certes bien de s’ouvrir au monde mais il faudra valoriser d’abord ce que nous nous avons et donner l’opportunité à nos producteurs, locaux de concurrencer à plus grande échelle. Et cela passe bien évidemment aussi par le soutien de l’État qui jusque-là qui, ne donnait des opportunités que par le biais d’accords inhumains, à des vampires économiques. Rééquilibrer la balance en valorisant un PATRIOTISME ECONOMIQUE.

Penses-tu que les artistes ont un devoir de s’exprimer face aux injustices sociales et aux abus autoritaires du gouvernement ?

Les artistes ne sont autres que des humains, des êtres donc directement alertés par la réalité de leur époque et de leur pays. Quand vous êtes en mesure de retenir l’attention de beaucoup de gens et même d’influencer directement ou indirectement leurs mœurs, prises de décision etc. vous avez l’OBLIGATION de combattre tout ce qui doit l’être au nom d’une justice véritable.


A ce sujet, tu as réalisé une superbe fresque avec ton crew les RBS, rendant hommage aux disparus. Cette fresque s’est vue censurée dans les heures qui ont suivi. Les services en charge des travaux sur l’auto-pont l’ont recouverte avec de la peinture noire et blanche afin de mettre un voile sur ces dénonciations qui les dérangeaient…
Comment avez-vous vécu ce moment ?
Quel était le but de cette peinture ? Et quels sentiments grandissent en toi face à cette censure ?

Moi je pense que si l’image a été puissante au point de véritablement déranger le pouvoir en place, cela ne fait que nous rappeler encore plus nos sens des responsabilités face à tout ce qui se passe. Cette fresque fut proposée au public et naturellement au gouvernement comme un miroir, c’est-à-dire une source d’introspection sincère sur la portée de nos actes les plus minimes. Quand on représente le Macky Sall (président) tirant sur un jeune, nous lui disons que vous êtes le premier responsable quand la Police et la Gendarmerie tire lâchement sur des manifestants désarmés. Placé devant un tel rappel de responsabilités, un homme avisé aurait accueilli cela comme un symbole de réflexion donc de changement, mais hélas ils ont choisi la facilité de le repeindre car ils n’étaient pas prêts à assumer. C’est pourquoi jusque-là aucun responsable de ces meurtres n’a été arrêté.

Le sentiment que j’ai eu sur le moment, c’est une satisfaction d’avoir touché la cible que nous devions toucher. En ayant commis la bêtise de l’effacer, ils ont rendu la fresque virale pour ne pas dire éternelle, car des centaines de milliers de personnes l’on partagée à travers le monde. C’est donc une  mission accomplie.



Est-ce la première fois qu’une de vos peintures se fait censurer ou as-tu déjà vécu d’autres expériences de ce genre ?


Oui, personnellement j’avais déjà vécu cette expérience avec la question des immigrations clandestines.  J’avais réalisé une fresque pour situer les responsabilités mais aussi et surtout expliquer à la jeunesse qu’il faut plus reconsidérer la portée de tels actes. Ce qui a été mal reçu par le Maire des Parcelles Assainies Moussa Sy, qui venait juste de rejoindre le camp présidentiel et qui a jugé que mon message était beaucoup trop dérangeant pour ses intérêts propres. Il a décidé de tout bonnement l’effacer.

J’ai eu envie de t’interviewer afin d’avoir un ressenti depuis l’intérieur du pays, mais aussi à travers les yeux d’un artiste engagé tel que toi. Les médias locaux ou même français ne disent que ce qu’ils veulent et ne nous tiennent pas bien informés de la situation actuelle à Dakar. Qu’aimerais-tu expliquer ou faire passer comme message aux lecteurs d’HIYA!?

Juste que pour justifier leur forfait, les membres du gouvernement s’adonnent à de faux discours, comme quoi il y aurait des forces obscures au Sénégal qui sabotent le travail du président, que c’est la faute de lutteurs au chômage, et de terroristes. Ce sont seulement des incapables aux tâches qui leurs été transmises et qui justifient en vain la situation chaotique dans laquelle ils ont installé le pays. Un peuple fatigué est sorti pour se battre pour l’avenir de leur nation. Les seuls et uniques responsables sont Macky Sall et son gouvernement aidés par des « forces de l’ordre » non conscientes de leur réelle mission.

Tu as su t’imposer dans le milieu hip hop grâce à ton sens du respect, ton talent, et ton éthique. Comment te perçoit la nouvelle génération qui arrive aujourd’hui dans la scène du graffiti sénégalais ? Que leur apportes-tu ?

Pour la plupart, ce sont des jeunes talents, qui sont promis à un bel avenir. Le seul hic que je perçois est que certains aiment un peu trop se faire voir.  Avant, seul le travail t’élevait réellement. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les compliments sont flatteurs mais très souvent t’éloignent de tes réels objectifs. Alors il faut redoubler de vigilance et valoriser le culte du travail plus que le désir de paraître.

Nous mettons en œuvre des sessions de formations, d’entreprenariats, mais aussi de suivi sur beaucoup de jeunes qui seront plus tard en mesure de se choisir leur propre chemin et de briller de part leur art.

Quel genre de messages aimes-tu véhiculer à travers tes peintures ?

je dirais que mon message est essentiellement spirituel, politique. Cela interroge nos acquis, valorise plus le sens critique sur ces acquis et génère une soif de réussite en autodidacte, d’entreprenariat autour d’un AFROCENTRISME AFFIRMÈ.

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

Organiser encore et encore, bâtir des ponts, politiser les masses comme dirait mon frère Elom 20ce. Un souci de contribuer à une conscience africaine globale au-delà de frontières coloniales, l’AFRREK comme une station spirituelle à travers laquelle brilleront nos aspirations.

Facebook RBS CREW : https://www.facebook.com/RadiklBombShot
Instagram RBS CREW : https://www.instagram.com/rbscrew_sn/
Instagram Madzoo : https://www.instagram.com/madzootrk/

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