Communicant, ex-membre de l'équipe projet de HIYA!. J'écris pour le…
Photo : @le_duq_. « Jusqu’ici tout va bien… » / Absurdus Humanus Débiloum / 2018
Vous avez probablement déjà vu ses photos. Clément Duquenne, aka Le DuQ, est de toutes les luttes. Dans les rues ou en studio, il se défonce pour laisser une trace, pour imprimer dans nos consciences l’absurdité du monde. Il est un humain révolté, qui crée pour s’exprimer, qui crée pour exister. Son ennemi, c’est le néo-libéralisme ; il croit dans la force du collectif. Plus habitué à montrer qu’à être vu, Le DuQ a accepté de répondre à nos questions. Portrait d’un créateur singulier.
HIYA! : Merci beaucoup Le DuQ, pour ton travail et les superbes photos que tu nous permets d’utiliser, et pour le temps que tu nous accordes. Quelques mots sur toi pour commencer ?
Le DuQ : J’ai 43 ans, j’ai un enfant et je suis photographe et en rébellion contre le système, depuis tout temps. Je viens d’une famille de gauchos, j’ai eu la chance de grandir avec une conscience sociale exacerbée. Fidèle à cet héritage, je voulais être prof. J’ai attaqué des études en économie et en histoire, en parallèle je faisais déjà un peu de photo. Comme finalement je voulais surtout créer et que je n’étais pas très bon pour dessiner, j’ai décidé d’en faire mon métier. Je suis rentré à l’École des Gobelins mais, rapidement, j’ai compris que je n’étais pas vraiment dans l’ambiance. L’école dirige vers les métiers de la publicité, or je crois que cette industrie a une grande responsabilité dans l’état actuel du monde. Je m’en suis vite détourné, non sans quelques errements, et aujourd’hui, je préfère mettre l’apprentissage technique que j’ai reçu et ma pratique au service de sujets qui ont un sens politique, social et écologique.
Qu’est-ce que tu entends par là ?
A l’école, on nous disait que la publicité c’était embellir les choses. Sauf que d’embellir à faire du faux, il n’y a qu’un pas. La photographie est un art à qui on impose de montrer le beau, bien trop souvent à des fins commerciales, ou pour sa dimension artistique. Moi je veux filmer la crasse de ce système. D’ailleurs, les photographes que je respecte le plus sont des photo-reporters.
Je pense qu’on est dans une société d’abrutissement généralisé construit par les médias et qu’il faut que nous soyons tou.te.s des lanceur.euse.s d’alerte si on espère pouvoir changer quoi que ce soit. La création doit être un contre-pouvoir et j’utilise mes photos pour faire de la contre-manipulation. D’ailleurs, ma première publication, en 5e dans le journal du collège, c’était un dessin d’un diable capitaliste, Converse aux pieds, qui mangeait la planète… J’ai pas beaucoup changé depuis ! (rires) Malheureusement, je n’arrive pas à retrouver cette image.
Comment tu vis, littéralement, avec un tel projet ?
Mon modèle c’est Kenny Arkana, qui disait « je suis une altermondialiste qui fait du rap ». Je fais de la photo, mais c’est la même idée. En pratique, on ne va pas se mentir, ce n’est pas tout le temps évident. Mais comme je le disais, j’ai construit ma vie autour de ça. J’ai choisi de gagner moins de tunes, mais je travaille avec ma conscience. J’ai mon studio, mon matériel et quand j’accepte des commandes, j’essaie au maximum de ne pas travailler avec des multinationales. Elles sont pour moi réactionnaires, voire fascisantes et en dehors de tout contrôle. Je n’ai pas, non plus l’ambition de percer sur un certain marché de l’art. Aujourd’hui, c’est un business, pour des gens qui ont du pognon. Et ce pognon, d’où vient-il ? Qui a fait fortune sans rien avoir à se reprocher écologiquement et socialement ? Ces gens-là ne veulent pas voir certaines choses, or mon but est de les montrer.
Tu fais un peu penser aux samouraïs de Kurosawa, qui ont inspiré Shiruk’n ou Jim Jarmush entre autres ; tel un homme perdu dans son temps qui n’a que son code d’honneur pour tenir et le combat pour seul échappatoire…
Je préfère la caméra au katana (rires) ! J’essaie d’être esclave du moins de choses possible : dépenser peu d’argent, j’ai totalement arrêté de boire, je consomme et essaie de gâcher le minimum … On subit un maximum d’injonctions qui nous tiennent, j’essaie de comprendre les chaînes de dépendance et de m’en défaire. Je m’interroge en permanence et j’essaie de refuser la facilité. C’est une voie difficile honnêtement. C’est le système que je critique. J’ai simplement mon éthique personnelle pour tenter de rester libre et droit à l’intérieur.

Comment les images peuvent-elles changer le monde ?
Il y a deux aspects importants, l’intention derrière la création et la façon dont ces images circulent. Mon intention à moi, c’est d’être dans l’action. Pour chaque projet, je me demande : comment étonner ? Car le pouvoir de la photographie est là, montrer le mouvement, laisser des traces et interpeller visuellement. C’est d’ailleurs pour cela que je fais autant du reportage que de la photo d’art, c’est la même chose pour moi.
Et la circulation alors ?
Pour la circulation, aujourd’hui tout se joue sur les réseaux. Les plateformes sont un progrès indéniable, mais qui est derrière ? Pourquoi ? Et avec quels intérêts ? A ce sujet, j’aime bien citer Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Car “le progrès” est quelque chose de politique et aujourd’hui, le “progrès” est profondément conservateur. On fait en sorte de détruire les acquis sociaux, sous couvert de défendre l’innovation. Tout est politique et tout est lié, c’est bien pour cela que c’est complexe.
Quand on pense à La Commune, événement fondateur de la République sociale et grand absent des programmes scolaires, les réseaux sociaux sont un outil de médiatisation, d’information et la finalité peut être bénéfique pour le collectif. A rebours, quand la technologie sert à créer des esclaves à vélo qui te livrent de la bouffe cancérigène à l’empreinte écologique catastrophique, on n’est pas sur une avancée sociale majeure… C’est pour ça qu’il faut de plus en plus de personnes pour freiner, boycotter, lancer l’alerte, poser des questions.
Si on devait résumer ta philosophie en une phrase finalement, ce serait : « être libre, c’est questionner ». Questionnement qui ne peut mener qu’à la révolte dans ce monde dépourvu de sens et au dépassement de ses propres contradictions par l’action et la création. Comment cette réflexion nourrit-elle tes projets personnels ?
Au-delà de mon travail dans la rue, j’ai deux projets que je mène depuis des années. Le premier s’appelle « Absurdus Humanus Débiloum », je l’ai lancé en 2008. L’idée de départ c’est de montrer notre confrontation quotidienne face à l’absurdité du monde, pour des individus enfermés dans leur bocal.
L’autre projet, débuté en 2013, s’appelle « TINA: There Is No Alternative / Séparation ». Ici il s’agit de montrer la collusion/corruption des pouvoirs [ndlr; cela fait écho aux 3 pouvoirs (exécutif (le Gouvernement), législatif (le Parlement) et judiciaire (la justice)), dont la séparation est théoriquement fondamentale à la démocratie, auxquels Le DuQ ajoute le pouvoir de la finance, des médias et des multinationales], la référence au mythique album de NTM « Paris sous les bombes » dit le reste.
A côté de ça, je milite, je noue des liens, j’aide quand je peux… On a récupéré la gestion de la Flèche d’Or (salle de concert mythique à Paris) avec mon collectif de la Gare Expérimentale. Bref, j’avance à contre-courant et je vais à la rencontre des autres, les seules richesses qui m’importent ce sont les gens et les échanges humains.
Communicant, ex-membre de l'équipe projet de HIYA!. J'écris pour le plaisir et pour penser, toujours de mon point de vue. Un programme mieux exprimé par le regretté David Graeber : « La vérité cachée du monde tel qu'il est, c'est que c'est nous qui l'avons fait ainsi. Et que nous pourrions tout aussi simplement le faire autrement. »