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Et si on bousculait vraiment la culture française

Et si on bousculait vraiment la culture française

De toute évidence, quelque chose nous manque en arrière-plan. Une reconnaissance, une manière d’être, de faire peuple et d’en être fier. Une faille dans notre système de valeurs. Et si notre culture était défaillante ? Cette force invisible et omniprésente qui mobilise nos désirs, nos ardeurs, nous incite à être meilleurs.

Si la France a dominé la scène culturelle durant la première moitié du XXe siècle, tout comme la scène politique, économique et les relations internationales, force est de constater qu’elle n’a plus vraiment d’influence à l’international. En ratant le coche de la modernité, nous avons perdu notre âme, cette force de l’imaginaire qui nourrit notre raison d’être. Trop souvent enfermés dans une posture arrogante et frileuse, repliés sur notre passé et notre patrimoine prestigieux – même enrobé de beaux discours –, le ratage est manifeste. La culture française ronronne en se regardant le nombril.

Pour ce pays qui a initié presque tous les mouvements artistiques majeurs, le constat est flagrant. Le déclin a été si progressif que personne n’en n’a rien vu. Quel écrivain français aujourd’hui a réellement du souffle pour séduire un public hors de nos frontières ? Les trois quarts des romans sont des psychothérapies et, franchement, les petits problèmes personnels ne font pas la littérature. Quand la dernière autofiction d’un écrivain français relate ses histoires d’amour, son divorce, son psy ou son ennui, des Américains tels Roth, Pynchon, De Lillo nous embarquent dans des univers complexes et des problématiques universelles : immigration, mondialisation, environnement, politique, pauvreté, des questions de race… Les Sartre, Camus, Ionesco, Lacan, Foucault, Godard attendent la relève. Déjà en 2005, Perry Anderson dénonçait la médiocrité de la pensée contemporaine française dans La pensée tiède. Trente pour cent des romans lus en France seraient traduits de l’anglais, tandis qu’à peine une douzaine de fictions françaises trouveraient chaque année un débouché américain. Le pays de Proust, Monet, Piaf et Truffaut a perdu son statut de superpuissance culturelle.

Même constat pour le cinéma. Si les États-Unis produisent encore des créateurs brillants comme les frères Coen ou Gus Van Sant, la créativité s’est principalement déplacée du côté de l’Asie, avec des réalisateurs chinois, coréens, japonais et, depuis les années 2000, une nouvelle génération de cinéastes jette un regard critique sur la réalité contemporaine en pleine transformation. Avec un respect particulier pour des cinéastes comme Hu Bo et Wang bing qui réalisent des chefs-d’œuvre sans moyens et sous la menace constante de la censure et de l’exil. Aidés par les technologies numériques, ces cinéastes indépendants ont inventé des façons radicales de restituer une image plus juste de la société, alors que le cinéma français malgré un système de financement extrêmement généreux stagne depuis la Nouvelle Vague. Certains films français ont eu un succès, comme La Môme, mais ce sont les vieux stéréotypes de la culture française qui l’emportent, et non pas une France vivante. Non ce n’est pas en écrivant quelques pages sur un crépuscule à Saint-Rémy-les-Chevreuses que nous pourrons convaincre le monde.

Un autre secteur qui nous échappe est celui du numérique, une révolution qui a bouleversé l’industrie culturelle. Une dématérialisation de la culture désormais « consommée » via des écrans et de nouveaux modèles de production initiés par de gros acteurs comme Netflix, que l’on ne cesse de dénigrer mais qui a accumulé les récompenses lors des derniers Oscars avec des productions de qualité. Le marché mondial de l’image se partage entre les « machines de guerre » américaines avec, à la clé, une très fructueuse hégémonie économique, et pour l’heure la France n’en tire pas vraiment de bénéfice. Le soft power, qui procède de l’attractivité de la culture d’un pays, de ses idéaux et de sa politique, doit-il-il être abandonné à un seul ? Et, s’il l’est, la faute à qui ? La culture française va-t-elle se fondre dans une culture populaire mondiale dominée par les États-Unis ?

Il n’est pas possible de ne pas réagir, il n’y a aucune raison que notre système culturel ne puisse pas être réformé. Les opportunités sont immenses si on se sort de la tutelle de l’Etat central et si l’on retrouve une autonomie en faisant émerger les pensées divergentes, en créant des opportunités de travail culturel dans nos universités, nos périphéries, nos quartiers. Et pas seulement en plaidant la cause des intermittents et en se soumettant au jeu des subventions. Nous avons besoin de l’État, mais aussi de l’engagement, de la solidarité et des nouvelles technologies.

Au-delà de ce constat, une page de notre histoire est pourtant en train de se tourner. L’hybridation, le mélange, la créolisation commencent à jouer un rôle catalyseur. La France intègre peu à peu que la créativité et l’énergie viennent des marges de la société avec des immigrés, des non-blancs, des fils et filles de réfugiés qui veulent se faire entendre et bousculer la culture. Ces Français « issus » de l’immigration contribuent par leur énergie, leur jeunesse, leur ouverture au monde à dynamiser notre patrimoine culturel commun. Les films d’Abdellatif Kechiche et de Ladj Ly gagnent des Césars. Le rap français a su développer une personnalité propre et s’imposer à l’international. Des acteurs non-blancs commcent à faire la tête d’affiche au cinéma. Il existe dans les marges des cultures parallèles qui ne demandent qu’à exploser. L’avancée de la diversité culturelle dans les productions françaises, mais aussi les enjeux liés à l’industrialisation de la culture ou les changements en cours dans les universités sont considérables. Les jeunes gens en train de rêver à leur premier grand roman sont influencés, non pas comme les générations précédentes, par Zola, Balzac, Maupassant, ou même Mauriac, Gavalda, Modiano et les autres, mais par Atiq Rahimi, Tierno Monénembo ou Dai Sijie.

La richesse et le rayonnement de notre culture dépend de ces nouvelles générations qui portent, de par leurs origines et leurs parcours, un regard neuf sur notre société. Ces créateurs plus aptes à comprendre la mondialisation, ses contradictions et ressorts. Faisons-leur la place qu’ils méritent, laissons-les exprimer leurs colères, leurs  ardeurs, c’est une chance unique pour la France de retrouver ses valeurs, reconquérir sa place d’éclaireur d’un monde plus juste, plus libre, plus généreux. Laissons cette jeunesse nous secouer pour éviter la somnolence généralisée à l’intérieur de nos frontières. Nous sommes de plus en plus nombreux à ressentir cette urgence… 

Photo : Création originale

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