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LPR#3 : « Refugees Welcome » par Vlady.

LPR#3 : « Refugees Welcome » par Vlady.

Vlady ( aka Vladyart ) est un artiste italien, il fait partie de cette génération d’artistes qui, au tournant du nouveau millénaire, se sont affublés d’un mononyme et dédiés quasi uniquement à la pratique d’un art auto-produit, sans permissions. Ce qu’on appelle en anglais « unsanctioned art ». Son travail dans l’espace publique et ses installations temporaires spontanées, minimales, à charge socio-culturelle, questionnent le monde et ses incohérences. Vlady vit depuis 2016 à Stockholm, Suède.

Interview traduite de l’anglais.

Credit photo : ©Vlady

Dans quel contexte est né cette pièce et pourriez-vous définir son concept, son intention ?

Il faut revenir en 2015 et se souvenir des millions de réfugiés quittant la Syrie en guerre, afin d’essayer d’entrer en Turquie et en Grèce. Une urgence humanitaire massive, la pire migration de réfugiés qu’ai connue la décennie. Cet été-là j’ai été contacté par une ONG allemande : Jugend & Culture Project pour participer à leur projet « Urban Art Ventures ». Mon projet a été préparé pour l’occasion. Le titre venait des milliers de slogans écrits dans les rues de Thessaloniki ( Grèce ) : « Refugees Welcome » (Les réfugiés sont les bienvenus). Il me semblait nécessaire de ne pas ignorer ce moment et de donner à ce slogan une représentation visuelle. Le curateur et l’organisateur du projet m’ont soutenu dans cette idée.

Ce que je m’apprêtai à créer ce jour-là était didactique, préceptif, sans doute trop directe mais néanmoins une provocation nécessaire pour décrire mon sentiment à propos de cette année 2015. Le concept étant celui d’une entrée grandiose, à la manière d’un hôtel de luxe. Ni VIP, ni Hollywood, mais insistant sur l’idée de « Bienvenue », à la manière d’un « Super Bienvenue à vous ! ». L’Europe est-elle un hôtel cinq étoiles ? Pas du tout. C’est justement pour cela que la pièce déclenche une émotion et déstabilise notre imaginaire. Normalement on ne s’attendrait pas à trouver un tapis rouge sur une plage qui s’étend uniquement sur quelques mètres à la sortie de l’eau. Cette vision attrape le regard. Après la surprise, les réactions peuvent être différentes. Cela peut être perçu comme une provocation ou bien une invitation, être pris sérieusement ou ironiquement. Ce travail conduit à des interprétations différentes qui peuvent être diamétralement opposées et à vrai dire, ce n’est pas le premier tapis rouge qui soit posé sur une plage. Les hôtels et centre de vacances de Miami par exemple ( même en dehors de Art Basel ) sortent chaque année de longs tapis rouge sur le sable pour mettre en avant l’exclusivité de leur lieu. Ce que je caractériserai d’assez ringard mais pour eux cela semble branché, glamour et élitaire. Leur but n’a rien à voir avec l’intention de ma pièce. Faire ce genre de chose à Miami n’est pas hors contexte. C’est exactement le contexte attendu. Alors que le faire sur une plage sale et polluée ( kalamaria ), dans une banlieue industrielle de Thessaloniki ( nord de la Grèce ) prend une dimension tout à fait différente. Une invitation chic à cet endroit est grotesque, c’est un contraste amer, une sortie de contexte. Ce non-sens ne peut être qu’une œuvre d’art, telle la dialectique de Marcel Duchamp. Avant tout c’est à cet endroit que débarquent réellement des réfugiés de guerre. Ce n’est pas une reconstitution sur une plage d’un quartier aisé.

Un siècle s’est écoulé depuis la naissance du mouvement dadaïste, là où Marcel Duchamp a poussé la communauté artistique à réfléchir sur la transposition d’un objet de son environnement naturel ou supposé vers un contexte artistique ( la galerie d’Art ). Il en ressort deux principaux enseignements : n’importe quel objet peut devenir objet artistique si exposé dans un contexte artistique, aussi bien que chaque objet extirpé de son « environnement naturel » devient alors surréaliste ( Dada ) dans un contexte inhabituel. La décontextualisation en tant qu’acte artistique demeure un principe valide. On s’attend à voir une douche dans une salle de bain, alors qu’une douche dans un ascenseur par exemple est inattendu … déstabilisant.

« Les gens ont tendance à confondre l’art et les produits artistiques. Cette société de consommation nous pousse vers les produits, pas les œuvres. C’est probablement la raison pour laquelle les gens associent l’art avec la peinture prête pour accrocher dans son salon.« 

Comment avez-vous construit la pièce ?

Cette installation a été pensée et assemblée en atelier avec différents matériaux glanés pour la plupart. Le tapis rouge, les plots et les cordes ont été créés avec des matériaux disponibles à bas coûts ( Barres de rideaux, cordes de marins, assiettes en carton etc …). Nous avons ensuite identifié une plage qui convenait à l’idée d’un débarquement. Le temps était couvert, mais cet obstacle s’est avéré être un avantage car le ciel nuageux a donné un ton dramatique parfaitement adapté à la photo.

Comment la pièce a-t-elle été reçue par le publique ?

Elle est devenue rapidement très iconique et beaucoup l’ont adoptée et utilisée, notamment le Refugees Welcome Front de la « jungle de Calais » ou la communauté activiste ADI ( Anti-Deportation Ireland ). J’ai ensuite vendu le copyright de cette pièce à de nombreuses institutions publiques qui voulaient utiliser cette image : entre autres le Göteborgs Konsthall, University of Melbourne, la Federal Opera House à Bruxelles, the Tiroler Landestheater à Innsbruck (Allemagne) … Les médias ont aussi publié cette œuvre. J’ai été interviewé plusieurs fois par la presse Turque. Un des articles a notamment été publié puis banni pour des raisons politiques. A une autre occasion l’intervieweur voulait que je m’exprime et accuse le gouvernement européen pour cette crise. The Independent a montré de l’intérêt pour la pièce mais l’interview n’a jamais été publiée.

Ce travail a été le plus salué mais aussi le plus critiqué de ma carrière. J’imagine que c’est assez naturel. Il a généré une vague massive de détestation sur Reddit, majoritairement par des individus américains qui ne connaissaient que peu, voire pas du tout la réalité du sujet. Les critiques sont venues aussi de certains « collègues » du milieu, alors qu’ils travaillent sur le même genre de travaux politiques et avec des positionnements politiques similaires. Cependant depuis 2015, ce travail apparait sur mon site web avec la mention « interprétation libre » car je souhaite que l’audience se fasse son propre opinion ce qui devient révélateur de leur propre positionnement sur le sujet.

Credit photo : ©Vlady

Comment définiriez-vous votre pratique ?

Les artistes de mon genre, qui s’intéressent aux actions engagées dans un dialogue avec un public large, font face à différents challenges. Par exemple, les festivals d’art de rue ont des budgets limités qui sont essentiellement consacrés à la location d’élévateurs. Il y a une certaine tendance à donner la priorité à la réalisation de murals ( fresques ) permanent(es) plutôt qu’à des installations temporaires. A chaque fois qu’on me contacte, les organisateurs sont au courant et prêts à gérer avec les réactions du publique face à des travaux politiques. Donc même si ce problème semble aujourd’hui plus ou moins dépassé, en prenant un peu de recul, il devient plus facile de comprendre pourquoi ce milieu tend à favoriser les grandes fresques propres, jolies, conciliantes et politiquement neutres. C’est ce qui rend les gens heureux et provoque rarement de débats.

Beaucoup ont du mal à comprendre l’intérêt d’installations comme celle-ci, faites pour ne durer que quelques jours ou quelques heures. Ils font l’impasse sur la quantité de temps et de travail que cela prend. Il y a un réel travail intellectuel derrière. Un travail de reconnaissance, de planification, d’archivage photographique, de formulation du concept. Si l’on résonnait de cette manière, où la longévité est privilégiée et le temporaire négligé, il n’y aurait pas non plus d’intérêt à organiser des concerts de musique, des événement de projection vidéo, etc …. Beaucoup de choses géniales ne durent pas longtemps, je pense aux arcs en ciel, aux aurores boréales, à l’orgasme humain ….

Les gens ont tendance à confondre l’art et les produits artistiques. Cette société de consommation nous pousse vers les produits, pas les œuvres. C’est probablement la raison pour laquelle les gens associent l’art avec la peinture prête pour accrocher dans son salon.

Qu’entendez-vous par là ?

Depuis presque un siècle, les supermarchés nous présentent un monde « objectifié ». Aujourd’hui tout se vend, même les expériences émotionnelles. Le corps de la femme se vend comme un objet. Sur le dark web on peut engager des tueurs à gage, etc …  Maintenant les artistes sont des marques. Une marque a besoin de publicité et les réseaux sociaux sont parfaits pour ça. Le rôle des galeries et des foires artistiques est plus grand que jamais. Ils demandent des objets d’une certaine dimension, facile à vendre, comme des objets de mobilier à placer au-dessus de son canapé. L’explosion d’instagram va dans la même direction. Certains artistes sont capables de faire de très belles photos de leurs créations et ces « objets » se vendent comme des petits pains sur Instagram. L’objet d’art doit se démarquer du fond blanc et doit tout dire en un instant ( Insta – Gram ). Les projets artistiques ne sont pas faciles à présenter, seuls leurs produits dérivés sont simples d’approches. Aujourd’hui nous vivons dans une société de consommation rapide. Pour la plupart des gens, une œuvre d’art doit être un objet, plutôt qu’une chose qui a des dimensions variables dans le temps et l’espace. « Refugees Welcome » est une image et une video, mais ceux-ci sont des documents d’archivage, car le vrai travail a disparu, il ne peut pas être acheté, possédé. L’Art c’est aussi cela depuis les années soixante, mais beaucoup trop de gens ne prennent plus cette dimension en considération. Par exemple les travaux de l’artiste hollandais Bas Jan Ader sont uniquement des vidéos. Son travail le plus connu : « I’m too sad to tell you » ( Je suis trop triste pour vous raconter ) consiste en un court métrage de l’artiste pleurant en face de la caméra. D’autres travaux montrent l’artiste tombant volontairement d’un arbre ou dans le canal. Bas Jan est mort ( ou plutôt a disparu ) en mer, au cours d’une performance. Je suis vraiment fasciné par ces formes d’art « extrêmes » et je suis convaincu que ces pratiques sont les plus difficiles à comprendre justement parce qu’elles ne sont pas du « prêt à porter » artistique.

Credit photo : ©Vlady

Cela me pose beaucoup de questions, encore aujourd’hui, sur la nature éphémère de mon art. Quelqu’un m’a dit un jour que sans photographies ou vidéos, mon art serait très difficile à trouver. Et cela ne m’étonne pas du tout. Une performance sans le témoignage d’un document ( photo, vidéo, etc ) est une performance qui n’a jamais existée. Mais dans ce cas comment auriez-vous su que Pink Floyd avait joué à Pompéi s’il n’y avait les enregistrements audio et vidéo ? Oui mon art est temporaire, même très éphémère. Je ne vous offre pas mon installation de 2015, je vous offre les photos et vidéos de cette installation. Pour moi cela a du sens et si je me retrouve à en parler ici cinq ans plus tard, c’est probablement que cela avait du sens.

Je me sens chanceux. Je ne suis jamais tout à fait certain du résultat de mes installations et c’était le cas pour « Refugees Welcome ». Je voulais essayer et voir sur quoi je pouvais déboucher, si cette idée pouvait trouver une résonance personnelle ou pas. Il y a plusieurs facteurs qui jouent un rôle crucial dans ce genre de pratique. Une idée de l’esprit peut parfois se matérialiser dans le réel comme elle peut échouer. Que cela soit dans le contexte d’un événement artistique ou pas, que ce soit une action solo ou en équipe, les projets suivent tous plus ou moins le même chemin. Cette fois-là j’étais invité au sein d’un projet artistique officiel, pourtant en termes d’action nous n’avions aucune autorisation de créer une installation ou de filmer sur cette plage. Nous n’avons pas cherché à en avoir une et nous n’en avions pas grand-chose à f…. J’aime faire les choses de cette manière.

Avec un plus gros budget à l’époque, j’aurai probablement loué le matériel et moins compté sur la chance de trouver tout sur place. Idéalement les projets d’actions en extérieure nécessiteraient des essais, des tests avant d’arriver à la bonne formule. Chaque fois que je fais ( ou filme ) quelque chose, je suis quasiment sûr d’être capable de le faire mieux la deuxième fois. Seulement dans la plupart des occasions de faire une installation, je ne dispose que d’une seule chance. C’est comme faire un film avec très peu de moyens. La première séquence doit être tout de suite la bonne. Ou peut-être qu’il ne s’agit que d’attitude, de fatalisme. Je ne sais pas. Le fait est que j’adore l’improvisation. La plupart d’entre nous ne fera jamais le même projet deux fois.

Mon processus d’apprentissage se fait par l’expérience et l’erreur. Une erreur ne devient claire dans votre tête qu’une fois qu’elle a été faite. Je vois mon travail comme un chemin de recherche avec peu, voire pas du tout de possibilité de retour en arrière. « Refugees Welcome » ne représente pas le pic de ma production, beaucoup d’autres choses que j’ai faites sont aussi importante, mais cette pièce était ce qui me semblait pertinent à faire à ce moment et à cet endroit précis, et par chance je l’ai fait.

Credit photo : ©Vlady

Comment pensez-vous que le street-art et son industrie vont évoluer dans la décennie qui arrive ?

Cela dépend de ce qu’on entend par « street-art ». Je suis de la vieille école, pour moi le terme « street-art » devrait faire uniquement référence à des travaux fait sans permissions dans l’espace publique. Ce type d’art, d’actions et d’attitude pourrait évoluer mais ne peut pas mourir. Le style graffiti Hip hop pourrait s’éteindre, mais plus généralement, l’art de laisser une trace ( un tag, un nom, un code …) ne peut pas non plus mourir. Je pense que la « muralisation » de nos villes mourra en premier, et honnêtement le plus tôt sera le mieux. Je ne suis pas contre l’art publique, mais ce que nous voyons se développer est la version business de l’art publique, le Mac Donald de l’Art. Ces événements sont mal payés, mal organisés, mal conçus. J’aime les festivals qui promeuvent les œuvres temporaires. Je n’aime pas quand les travaux embellissent des institutions publiques de manière permanente, des hôpitaux, des écoles, des aéroports, des métros et cela sans sélections ouvertes, sans appels d’offres. Et je ne parle même pas des mesures de sécurité, de l’argent au noir. La plupart des curateurs de ces événements ne sont pas formés. Cette situation est encore tolérée car cela coûte peu, est très pratique pour les municipalités, mais en termes d’éthique ça ne va pas du tout. J’accepte de travailler dans ces conditions pour des projets éphémères mais pour des projets permanents sur des bâtiments ou institutions publiques, je serai beaucoup plus exigeant.

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En savoir plus sur Vlady :
Site web : vladyart.com
Instagram : @vlady_art

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LA PILULE ROUGE qu’est ce que c’est ? Pourquoi ? A quoi bon ?
Relisez le texte manifeste disponible ici.
Et retrouvez la liste des interviews déjà publiées sur le profil des auteurs.

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