En ce 9 juillet 2021 Tuerie nous livre son 1er EP Bleu Gospel. L’artiste nous a concocté un projet 8 titres, sorti sur le label Foufoune Palace.
« J’ai giflé un pote blanc qui m’a dit on dit quoi mon négro » suivi de « Quand j’regarde dans l’rétro y’avait d’l’amour dans mon geste » , voici comment Tuerie rentre dans ce projet. L’auditrice/auditeur peut aisément comprendre qu’il y aura dans cet EP une dose de violence mais aussi d’amour.
Il n’y a un qu’un feat sur Bleu Gospel, feat avec l’artiste Grégory Dajardin (ndlr dont on a notamment entendu la voix sur des morceaux comme La mélodie des quartiers pauvres ou encore Douleur Ébène) qui donne vie et puissance au refrain du titre Bouquet de peur. Sur le titre Silence, c’est Léonie Bardot qui fait les vocaux additionnels, ce qui apporte au morceau une texture douce et forte en plus.
Musicalement Bleu Gospel est nourrit de plusieurs influences. Des influences qui balancent entre plusieurs couleurs de rap bien évidemment mais pas que, si le projet s’appelle Bleu Gospel ce n’est pas un hasard. Les sonorités gospel font parti intégrantes de la narration sonore de l’EP. A l’intérieur même des morceaux, les textures musicales et les sonorités changent ou évoluent. Sur Bleu Gospel Tuerie est mis en musique par plusieurs beatmakers. Le beatmaker Kedyi apparaît aux manettes de plusieurs morceaux. Il coproduit PRÊCHE! avec Oscar Emch. Morceau avec plusieurs textures musicales, d’abord une 1ère partie à la couleur de musique d’église baptiste afro américaine, qui accompagne le prêcheur, suivi d’une 2ème partie où la prod joue sur une instru rap mais avec une nuance soulfull jazzy. Silence est également produit par Kedyi, ici il joue sur une texture de drums plutôt chaude, il table plutôt sur ce titre, sur une prod minimaliste qui laisse aux protagonistes (Tuerie et Léonie Bardot) toute la place à leur interprétation. Le givre et le vent est produit à plusieurs mains dont celles de Kedyi, Steve Yameogo et Guillaume Pernot, ici le trio s’attelle à une prod à la couleur Boom-Bap saupoudrée d’une touche jazzy. L’auditrice/auditeur retrouve aussi d’autres artificiers tels que Ryan Koffi qui lui officie sur la prod du très intense Tiroir Bleu, auquel il apporte trois textures musicales. Cette prod en triptyque, s’adapte parfaitement et donne une assise en plus solide aux propos de Tuerie, ce qui participe à l’intensité de la narration, à l’intensité de l’interprétation du titre. Il coproduit également le titre Low avec Noam Wolf, où on retrouve un sample du morceau He’s got the whole world in his hands de l’immense Nina Simone, avec ce piano qui appelle à une certaine mélancolie. Sur Sublime, on retrouve une prod organique composée par Pee Magnum chaque instrument qui participe à la construction de la prod est audible ce qui ramène une chaleur enveloppante au titre. Quant à Puff produit par Har2nok, il se construit au tour d’une prod avec une douce couleur psychédélique qui reste toutefois planante.
Tuerie sur Bleu Gospel fait preuve de polyvalence dans ses flows. Flows qui sont au service de l’interprétation des morceaux l’exemple parfait pour illustrer ce fait c’est le titre Tiroir Bleu. Tout au long de Bleu Gospel, Tuerie fait montre d’une polyvalence esthétique. Il oscille entre du « spoken word » de prêcheur comme sur le 1er couplet de PRÊCHE! et un rap somme toute plus traditionnel comme sur Le givre et le vent. Tout ceci en passant par des flows plus rappotés ou encore par la chanson dans sa plus pure expression. L’artiste se permet même des passage complètement à cappella toujours sur Le givre et le vent, où sa maîtrise de sa voix se fait sentir. Cette maîtrise d’un large spectre de flows, de textures et d’interprétations, donne vie à cette atmosphère qui happe les auditrices/auditeurs.
Quant à l’histoire de Bleu Gospel, c’est celle de Tuerie lui-même, une histoire qui fait frissonner, qui est choquante, une histoire qui ne laisse personne indifférent même les plus blindés d’entre nous. Avec cet EP à l’allure d’autobiographie, Tuerie nous plonge dans sa vie, une vie compliquée faite d’embûches et parfois de victoires comme quand sur bouquet de peur il scande avec Grégory Dajardin « Je n’ai plus peur du noir ». Mais avant d’arriver, à ce dénouement positif qui ne sonne pas du tout comme une fin mais comme une sorte de renouveau, Tuerie égraine les éléments douloureux qui ont jalonné son existence. Dès le 1er couplet de PRÊCHE! le ton est donné il se raconte. Comme quand il a giflé son pote qui l’a appelé « négro » (ndlr en effet on n’invective pas une personne noire de cette manière ami ou pas, sous peine de représailles verbales ou physiques). Tout en abordant aussi « un frigidaire avec moins de réverbes » qui est ici une allégorie du manque de moyens. Il prône aussi le rap comme une catharsis « Je rap quand mes plaies s’ouvrent » et tout au long de l’EP le rap aura aussi cette fonction là. Le rap comme moyen de raconter ses blessures comme sur le sublime et prenant Tiroir Bleu où l’auditrice/auditeur apprend et comprend que l’artiste et sa mère furent victimes de la violence du père… Tout en restant conscient que raconter cette violence peut aussi gêner celui qui reçoit ce récit « À chaque fois que j’raconte mon histoire, je laisse un froid, négro, j’suis le putain d’mistral ». Néanmoins Bleu Gospel ne se résume pas que à cette partie de la vie de l’artiste. Sur un morceau comme Low, le jeune Tuerie et le grand Tuerie se confrontent « Le petit Tuerie traîne avec des dealers, il essaye la kush. Le grand Tuerie a eu un Tuerie junior, il doit trouver l’argent pour les couches ». C’est comme si le jeune Tuerie et le grand Tuerie s’observait dans un miroir sur le 1er couplet pour finalement laisser Tuerie faire son chemin sur le 2ème. Le rappeur sait aussi rapper, rappoter, chanter ses peurs comme sur Sublime où la figure maternelle est encensé, mais où la figure paternelle est synonyme de peur et d’une profonde souffrance « J’ai toujours eu peur de lui ressembler » et ce à juste titre. Cependant l’amour est aussi présent dans ce projet, un amour contrarié comme sur Silence mais de l’amour quand même « J’aime encore te plaire. Mais j’te chante le contraire ». Par touche Tuerie aborde son rapport au racisme « J’ai jamais autant chié sur les racistes », ou encore un sujet comme la police et cette peur qu’il en avait du fait qu’il eut été sans papiers. La paternité et aussi un des sujets que l’artiste aborde « Il faut que j’fasse des thunes, mon fils fait déjà le poids d’une kalach’ » ou encore « Mon fils est noir et blanc comme un Chaplin ». L’artiste est aussi fan de rap et même si il ne cale dans son projet qu’une seule dédicace elle reste importante «Tempérament fatigué on est né sous le soleil. Tu reconnais bien la le style d’un bad boy de Boulogne » (ndlr sorte d’interpolation qui reprend le gimmick du son Bad Boys de Marseille Part 2 d’Akhenaton feat la Fonky Family & Shurik’n). Pour mettre toutes ses émotions en mots, Tuerie mise sur une écriture simple mais jamais simpliste. Il arrive à embarquer l’auditrice/auditeur dans ce périple autobiographique avec des images fortes le tout sans être auto-centré.
Bleu Gospel est l’odyssée d’une partie de la vie de Tuerie mise en musique. Pour faire passer ses émotions, ses bleus et ses maux le rappeur se sert de différentes palettes musicales ainsi que de différentes palettes d’interprétation. De la pochette (faite par Steven Norel) jusqu’aux détails musicaux quasi imperceptibles l’EP est pensé de telle sorte que tout est à sa place. Même si le fond est dur, l’esthétique mise en place par Tuerie et son équipe reste fraîche tout en ne laissant rien au hasard. Tuerie embarque l’auditrice/auditeur dans ce récit musicale autobiographique où il est à la fois narrateur, mais aussi acteur, de même que coréalisateur avec les différents beatmakers. Bleu Gospel sans que Tuerie ne l’ait sans doute pensé et écrit comme ça, est aussi un projet qui s’inscrit dans cette période, où ce sont les paroles se libèrent mais pas que. Où ce sont les espaces pour discuter des violences familiales et les réceptionner dans la société qui se multiplient, Bleu Gospel étant un espace supplémentaire.