Historien de formation, j'écris l'histoire au présent (comme tout le…
Suite à la série de portraits de propagandistes publiés durant l’été, nous poursuivons la réflexion sur le même thème, en espérant dégager quelques outils pour affronter les manipulations.
Eduardo Galeano résumait le travail de la propagande avec une phrase lapidaire : « Ils nous pissent dessus et les journaux disent qu’il pleut ». Le célèbre intellectuel uruguayen affirmait que la phrase n’était pas de lui mais d’un graffiti vu dans une rue de Buenos Aires. Outre l’ironie, la phrase indique un lien entre propagande et agissements du haut. Depuis leurs hauteurs, “ils” nous maltraitent et nous méprisent, puis la presse se charge de nous faire croire qu’il s’agit d’un phénomène naturel.
Autrement dit, il n’y a pas de propagande sans un pouvoir. Tous les propagandistes que nous avons vu étaient au service d’une idéologie adossée à un pouvoir, que celui-ci soit émanation d’un État, d’un parti, d’une multinationale ou d’un secteur social. Ces pouvoirs ont recours à la propagande à la fois pour promouvoir leurs agissements (se légitimer) et cacher leurs dessins ou les soubassements de leurs puissances. La propagande occulte autant qu’elle montre, elle mène ainsi toujours une double attaque contre les vérités.
Les vérités dont nous parlons procèdent d’une construction, une sorte de convention collective obtenue à travers le temps et s’étant imposée comme la méthode convenue pour décider que tel fait est véridique, tel autre non. À la base de cette méthode, il y a des sources. Ce sont des documents, soumis à des débats contradictoires sur leurs interprétations, qui permettent de juger de la véridicité d’un fait. En bref, nous vivons dans un régime –libéral- de vérité qui a besoin de sources pour fonctionner.
Or, les années 2010 ont vu ce singulier retournement, où le type de vérité auparavant défendu -officiellement- par le régime libéral s’est vu criminaliser par ce même régime. Julian Assange et Edward Snowden sont les symboles mondiaux de ce retournement –qu’ils subissent dans leurs corps. Les éléments, les documents, qui permettent de construire une opinion éclairée sont interdits. La guerre à la construction des vérités telles que nous les prônons, c’est-à-dire fondées sur des sources, est déclarée par les principaux états dits libéraux (États-Unis en tête). Il ne s’agit pas seulement de Trump qui, dans un délire de fake-news, s’emploie à affirmer des contre-vérités comme si le discours suffisait à construire la réalité. Mais bien de l’administration Obama qui déclare la guerre au dévoilement des sources, sans lesquelles il n’y a pas de vérités. C’est sur ce terreau d’inversion des valeurs (la vérité est l’ennemie) que peut se déployer des mensonges (ou « réalités alternatives » chères à Fox-News et Trump.
Dès lors, les régimes qui n’ont jamais défendu cette conception –ceux de la Chine et de la Russie, entre autres- apparaissent comme bien plus crédibles. Chacun comprend qu’un pays qui affirme que sa communication relève de la propagande est bien plus sincère que celui qui prône la liberté d’expression sans la respecter. Si les deux sont menteurs, l’un est cynique mais cohérent, l’autre tordu et hypocrite. Sortir de la propagande, c’est abandonner ces deux options (et/ou les combattre).
Historien de formation, j'écris l'histoire au présent (comme tout le monde)