HIYA! ouvre ses pages à l’association « Sciences peura » de l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux qui vise à la promotion du rap au sein de leur institution. Chaque mois, iels nous proposent leurs analyses sur les nouveaux mouvs de la raposphère.
Si le rap, issu du mouvement Hip-Hop a longtemps été exclusivement pratiqué par des hommes – qui plus est hétérosexuels – on peut toutefois observer une tendance récente à la revendication de sa sexualité hors de l’hétéronormativité du rap français. Certes, chez nos compères américains, le phénomène est plus répandu : Lil Nas X, au sommet de sa popularité, a fait son coming-out en mai dernier. En France, quasi aucun artiste rap n’a annoncé leur homosexualité́ là où les chanteurs pop comme Eddy de Pretto ou Angèle n’ont pas craint de l’annoncer.
Le rap français est teinté d’une multitude de paroles portant un jugement sur cette sexualité, cultivant l’idée que le rap ne peut s’adresser à la communauté LGBTQI+. De Idéal J en 1998 qui trouvait indélicat de voir “Deux pédés qui s’embrassent en plein Paris” sur le morceau Hardcore à plus récemment Alpha Wann en 2019 qui déclarait sur Stupéfiant et Noir « […] y’a des MC homos, c’est un tas de zamels. Leur musique, c’est du bruit qui m’dérange comme le voisin qui tape sa meuf« , on voit la continuité d’une certaine tradition hétéronormative.
Toutefois, la rappeuse franco-ivoirienne Lala &ce apporte un vent de fraicheur sur cet univers cloisonné. Agée de 26 ans, issue d’une famille conservatrice, son rap est loin d’être peu subversif comme le montre son dernier album Everything Tasteful (aka E.T) qui a reçu depuis janvier dernier un succès critique. Elle déconstruit et emprunte les codes du rap tout en contestant l’ordre établi : sa voix grave et auto-tunée nous raconte sa vie et ses amours en tant que femme noire lesbienne.
Dans un style planant, Lala&ce aborde crûment sa sexualité : ”touche mon chapelet, ma planète » (Amen). Loin de parler exclusivement de sexe, l’artiste évoque des épisodes de sa vie sentimentale auxquelles les femmes bi-sexuelles et lesbiennes peuvent s’identifier comme dans Serena Botcho dans l’album Le son d’après, « Botcho » signifie fessier en ivoirien. Elle évoque le fait de draguer une femme en couple avec un homme : « Il pense qu’on va être amies, désolée j’prends la go de ce neg’. Elle m’demande si j’ai envie, elle a oublié́ qu’c’est la go d’ce neg’« .
Elle propose un rap sans tabou, décomplexé. Des prods voluptueuses voire romantiques pour la forme ; et des textes hypersexualisées pour le fond, où l’artiste s’inspire des codes de la domination masculine présents dans certains morceaux du rap français pour créer son propre art et l’appliquer à son homosexualité. En revendiquant faire partie d’une minorité sexuelle, elle se sert du rap pour affirmer sa différence, son identité et en ceci, elle est profondément Hip-Hop.
Le rap est une culture de l’expression de soi et de la revendication de la différence et il peut parfois servir de porte-voix pour normaliser des situations de vie en société. Il semble naturellement accueillir des rappeuses comme Lala &ce qui s’inscrivent dans cette tradition. Leur présence sur le devant de la scène permet de questionner l’idée d’un rap français standardisé et inspire d’autres à embrasser leur singularité.
Un des risques de se démarquer autant du rap game, c’était que le public l’enferme dans un genre et d’être associé à une seule identité : Lala&ce, la rappeuse lesbienne. Cependant, elle n’a pas été catégorisée, il semblerait qu’elle soit sortie d’une certaine confidentialité en cassant les codes avec sa musique aérienne qui lui permet désormais d’être repérable et actrice dans le paysage du rap français. Son prochain move (sold out en 24h) confirme le succès de la rappeuse-ovni novatrice. Sa propre comédie musicale intitulée « Baiser Mortel » le 18 et 19 octobre prochain au musée de la Bourse du Commerce à Paris.
Arthur Morice pour Sciences Peura