Dans le monde de la culture, les différentes formes d’art exposent les choses pour montrer, témoigner, dénoncer ou alerter. Cette série de portraits se veut sur mesure, adaptée à chacun. À chaque portrait un artiste, à chaque artiste son histoire et son engagement. Premier volet.
“Moi, je photographie pour ne pas oublier”, William Keo, 24 ans, photographe, nous parle de sa profession. Devenir photographe n’était ni une aspiration, ni une idée. Un engagement qu’il finit par prendre, par passion, pas obsession, pour ses parents et pour la mémoire historique. Rencontre.
“Parfois il faut aller puiser dans son passé pour comprendre ce que tu fais”
À la sortie du lycée, William Keo poursuit des études de STAPS et Prépa Kiné qu’il abandonnera en raison d’une blessure handicapante. Encouragé par sa soeur, il entre à Sup de Pub, une école de publicité à Paris. “Si je n’étais pas photographe, je serais devenu publicitaire, j’aurais fait un métier qui me permet d’utiliser ma créativité en tant qu’outil”. En 2016, dans le cadre d’un stage, il intègre l’ONG de solidarité internationale Ummah Charity et part faire son premier voyage, en tant que photo reporter, aux frontières syro-libanaises. Du Maroc au Bangladesh, en passant par l’Italie, l’Ukraine, le Sénégal, le Soudan, la Turquie, le Liban, l’Égypte, la Syrie et l’Irak, en indépendant ou en stage, William Keo voyage et déambule de pays en pays pour venir à la rencontre des plus vulnérables : migrants, handicapés, enfants, réfugiés, précaires… “Tous mes sujets portent sur les haines intercommunautaires et l’exclusion sociale. Je pense que mon attrait pour ces sujets-là a un lien avec l’histoire de mes parents et de leur immigration du Cambodge à la France”. Encore enfant, William connaissait déjà des histoires de guerre, la cruauté des Khmers rouges, la migration et le droit d’asile. La peine et l’arrière-goût ineffaçable du parcours de ses parents envahissent ses clichés de teintes de militantisme. “Parfois il faut aller puiser dans son passé pour comprendre ce que tu fais”.

“Le mythe de la guerre est terminé »
Derrière le viseur, William Keo capture la réalité du terrain sans filtre, sans mise en scène, sans sélection. “Le rôle d’un photographe, surtout dans les zones sensibles et à haut risque, ce n’est pas de montrer ce que les gens veulent voir, mais de montrer la réalité de ce qu’on a vécu de la façon la plus honnête”. Guidé par sa curiosité insatiable, la photographie lui permet de répondre à des questions qui l’obsèdent. “Ce n’est pas la guerre qui m’attire, ce qui me fascine c’est de découvrir par moi-même la réalité des sujets. En Syrie, par exemple, on parle beaucoup de guerre asymétrique et de stabilisation de conflits, mais quand j’y vais, ce n’est pas vrai”. Si la théorie se confronte à la réalité pour William Keo, à travers ses photographies crues, il montre ce qu’il vit. Parfois des moments de peur intense ou de misère, parfois des moments joyeux de mariage et de fêtes. “Dans l’esprit collectif, on a une vision sensationnelle et romancée de la guerre. Mais ce n’est pas ce que l’on croit, ce n’est pas aussi bruyant et chaotique qu’on le pense. Parfois c’est silencieux, ennuyant et lent”.

“Je me sens responsable”
L’histoire du militantisme et la mémoire des luttes débordent de formats. Les mots sont profonds, le son est immersif et l’image est puissante. William Keo fait de ses clichés une arme de mémoire et de dénonciation des situations politiques, humanitaires, environnementales et des horreurs de la guerre. “La photographie c’est visuel, c’est très simple et il y a une force incroyable qui se dégage de certains clichés. Je pense que tous les grands évènements qui ont été photographiés ne sont pas oubliés. Moi je photographie pour ne pas oublier”. William Keo, avide de partages et de témoignages, voit la photographie comme un outil pour le changement, qu’il soit social, politique ou environnemental, c’est au travers de ses clichés qu’il ressent le besoin d’alerter. “Je me sens responsable. Si je vois des choses, alors je dois les montrer. On a envie d’espérer que notre travail fasse bouger les choses. J’adorerai qu’un jour, un de mes clichés puisse interpeller du monde au point de se poser des questions et de vouloir aider. Mais je ne pense pas que le rôle des photographes soit de changer le monde, mais c’est de montrer que les choses, belles ou non, existent”.
