Pseudo de Jérémy Rubenstein, historien, chroniqueur et écrivain (pas forcément…
Puisque nous n’avons pas encore lu le Goncourt de cette année, revenons sur un plus ancien, celui de 2017 : L’ordre du jour d’Eric Vuillard, pour essayer de comprendre ce qui fait qu’un livre marque une époque. En l’occurrence, aussi bien l’auteur que le jury du Goncourt en lui octroyant le prix nous ont alerté sur une question fondamentale de notre époque : point de fascisme sans ses financiers.
Le petit ouvrage de Vuillard fait le récit d’une réunion du 20 février 1933, où se retrouvent tous les patrons des grands groupes allemands (Krupp, Siemens, etc.) pour décider de soutenir, ou non, un dirigeant politique. Il s’agit d’estimer si celui-ci, une fois au pouvoir, préservera les intérêts des grandes fortunes ici présentes. On peut spoiler, tout le monde connaît le résultat : oui, les représentants de tous les grands groupes allemands financent Hitler.
En dehors des qualités littéraires de l’ouvrage (on peut apprécier ou pas la concision au scalpel de Vuillard), son succès tient au fait qu’il nous parle d’aujourd’hui. Et ce n’est pas un hasard si c’est un écrivain français qui décrit une scène allemande des années 30, celle-ci résonne dans la France actuelle. L’écrivain souligne ainsi un renversement majeur des années 2010 : le ralliement de plus en plus explicite et militant de grandes fortunes au fascisme. Vuillard décrit le 20 février 33 mais l’ordre du jour c’est Vincent Bolloré et Charles Gave qui promeuvent les idées racistes.
Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les grandes fortunes affichaient leurs amitiés avec la droite traditionnelle (qui inclut le PS) mais se gardaient bien d’aller au delà (quelque soit par ailleurs leurs convictions). Pour les riches, il était naturel de soutenir un quelconque Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn ou Macron, représentants plus ou moins affichés de leurs intérêts.
Aussi, la question est de comprendre pourquoi une partie de ces riches, qui constituent la condition sine qua non de la possibilité du fascisme, optent pour l’extrême-droite. Comme ils s’expliquent rarement sur leurs motivations (il est vrai peu avouables), il revient de reconstituer leurs raisonnements. Ils ne croient plus en la capacité du personnel politique actuel de maintenir le statu quo. Ils estiment que les inégalités, qu’ils ont très largement contribué à creuser, sont devenues trop insupportables. Il s’agit donc de trouver un régime politique assez violent pour les maintenir, malgré tout. En clair, un Bolloré considère qu’un Macron n’est plus en capacité de maintenir l’injustice au fondement de sa fortune. Aussi, il se préserve d’un retour de bâton qui mènerait vers une gauche re-distributive (ce qui affecterait directement sa fortune et son empire). Raisonnement aussi simple qu’implacable, autrefois résumé par la formule “plutôt Hitler que le Front Populaire”.
Lire ou relire Vuillard permet de ne pas oublier qu’une grande entreprise de déstabilisation d’un pays et/ou de prise du pouvoir ne se réalise pas sans de puissants soutiens financiers. L’ordre du jour invite à chercher lesquelles des grandes fortunes françaises ont opté pour le fascisme.