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Le rap, porte-parole des réfugié.es de Calais à la Méditerranée

Le rap, porte-parole des réfugié.es de Calais à la Méditerranée

L’actualité se concentre sur les décès tragiques dans la Manche, oubliant que ce phénomène est manifeste depuis presque 5 ans. Une fois de plus, le rap se fait porte-parole et rappelle que ni la Manche, ni la Méditerranée n’ont vocation à devenir des cimetières de réfugié.e.s. 

De Calais à la Méditerranée, les réfugié.es ne cessent d’affluer pour sauver leur vie. Malheureusement, le trajet reste tout aussi risqué avec la barre des 20 000 morts passée l’année dernière. La Méditerranée devient la frontière la plus meurtrière du monde. Comme souvent, les rappeurs donnent du corps à ceux qui en sont privés. Le rap se fait ainsi porte-parole des sans voix que sont les réfugié.e.s tant en Méditerranée que dans la Manche. 

Les raisons de l’exil 

Dès 2017, Brav propose Là-Haut à propos de ce que les médias appellent désormais “la crise de Calais”. Si exil il y a, ce n’est pas pour voir si l’herbe est plus verte ailleurs ou pour prendre les allocs, mais bien pour survivre. En digne porte-parole, l’artiste invite par son rap à mieux saisir les enjeux des réfugié.es lorsqu’ils décident de prendre mer (Méditerranée ou non).

Survivre dans un monde où les catastrophes écologiques sont de plus en plus fréquentes, que l’eau vient à manquer, que les ressources s’épuisent. “Il y a forcément là-bas, quelque chose, autre part”, comme le dit Brav. “Il va falloir survivre”, car “souhaiter le bien ne suffit pas”. Les bons sentiments ne servent à rien quand il s’agit de survie.

Brav – La-haut – 2017

Une réalité que dénonce aussi Disiz la Peste dans Poisson étrange (2017), en hommage au petit Aylan mort sur les côtes Libyennes. Au-delà du fait qu’il aura fallu ce drame pour faire réagir la communauté européenne, il interroge le rôle de l’Europe dans les guerres en cours dans les pays dont les ressortissants choisissent d’émigrer (“la croix du drone est sur toi”). Il se fait lui aussi porte-parole par le rap des réfugié.e.s décédés en Méditerranée.

Une responsabilité de l’Union Européenne

En quoi ces guerres participent-elles de la déstabilisation et des choix d’émigration, se demande Disiz. Qu’est-ce “qu’on n’a pas fait” en refusant l’asile à ces populations menacées ?

La volonté de restreindre au maximum les canaux d’immigration légale est symbolisée par le règlement Dublin III de 2013. Celui-ci précise que les demandes d’asile doivent être effectuées dans le pays par lequel chaque réfugié.e est entré.e dans l’Union Européenne. 

Les pays n’ayant pas de frontières directes avec des pays dont les populations émigrent, semblent récalcitrants à les accueillir (ex: Allemagne, Pologne, Grande Bretagne). L’Union Européenne rejette ainsi l’intégralité des demandes et des responsabilités sur les pays méditerranéens. 

Ceux-ci pratiquent ainsi des renvois collectifs de réfugiés (sans examiner leur demande d’asile individuellement) vers des pays tiers (Turquie, Bélarus…) ou le push back des embarcations en Haute mer. Cette pratique vise à repousser les embarcations déjà précaires transportant des migrants, sans les intercepter bien sûr, mettant leurs vies en danger.

« Poisson étrange » nouveau clip extrait du 11ème album de Disiz La Peste intitulé PACIFIQUE. 2017
Des accords qui ferment les yeux sur les droits fondamentaux

Ajoutons à cela qu’en 2016, l’Union Européenne a signé des accords bilatéraux avec la Libye et la Turquie pour la sous-traitance de la surveillance des frontières. Depuis, les routes centrales et orientales du continent sont également devenues plus dangereuses. 

Ces pays ne respectant pas tous les droits humains fondamentaux en pratiquant esclavage, traite humaine ou autres. L’UE se rend donc complice des traitements infligés. 

En effet, au lieu de s’assurer des conditions d’accueil et du respect de la dignité des réfugié.es, elles rejettent la responsabilité et ferment les yeux sur les agissements non conformes aux droits humains. 

C’est ce que l’on peut entendre notamment dans Bilal (2020) de Soso Maness. Il relate l’épopée d’un jeune homme à la recherche d’une vie meilleure en Europe. Celui-ci va se retrouver intercepté par une milice à Tripoli, se faire emprisonner et être témoin de tortures et de viols. 

Soso Maness – Bilal – 2020 – Réalisé par Biscuit Studio : @biscuit_studio
Un parcours migratoire semé d’embûches

Un des facteurs augmentant la dangerosité de cette route empruntée, notamment, par Bilal est que l’UE applique une politique sécuritaire des frontières. 

L’augmentation considérable du budget de l’agence de surveillance Frontex le prouve. Fort de ses 10 000 garde-côtes, son but est de surveiller et d’empêcher les traversées. Beaucoup considèrent que cela a pour unique conséquence de rendre la traversée plus difficile et risquée. 

Ce qui, par conséquent, renforce l’importance des passeurs toujours plus indispensables à la traversée des réfugié.e.s. Même s’ils n’assurent aucune sécurité au sein de leur embarcation. 

C’est le destin de deux frères, incarnés par le trio de Sniper (Blacko au refrain, Tunisiano et Aketo aux complets) dans Eldorado (2012). Obligés de sauter à l’eau par les passeurs lors de l’arrivée des garde-côtes voulant les intercepter, l’un d’eux se noie. A croire que la vie d’un individu ne vaut pas grand chose face aux enjeux géopolitiques. La sécurité de certains se fait elle pas au détriment de beaucoup?

Sniper- Eldorado – 2012 – Album Trait pour trait

Comme souvent, le rap permet de témoigner des conséquences de la mise en place de politiques d’asile non-solidaires, d’accords avec des Etats tiers et de la délégation de la surveillance à Frontex par les Etats de L’UE, et ainsi de questionner leurs responsabilités.

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