Historien de formation, j'écris l'histoire au présent (comme tout le…
Les porte-paroles de la police (incluant ministres et syndicats) nous ont habitué à une défense acharnée de l’image de leur institution. Prêts à nier les évidences les mieux documentées, ils offrent toujours une image uniformément positive qui n’admet pas la moindre critique. Si on s’indigne souvent sur les mensonges éhontés de l’institution policière, on s’interroge rarement sur leurs raisons. Or cette obsession de l’image s’explique par une nécessité et, surtout, révèle une profonde crise interne à la police, rongée par des conditions de travail dégradées et l’entrisme de l’extrême-droite.
S’il y a bien un sujet qui vous black-liste rapidement en France, c’est la police. Il s’agit d’une sorte de jauge à l’aune de laquelle chacun est classé, pro ou anti flic. Cette bipolarité sans nuance occulte souvent les enjeux réels et interdit les débats sur cette institution. Celle-ci est pourtant l’un des rares services publics qui ne se réduit pas en peau de chagrin sous le coup de « réformes » qui se succèdent depuis une trentaine d’années.
L’image, une arme psychologique
Sur la fabrication de son image, la police fonctionne comme à peu près n’importe quelle grande entreprise, dotée d’un pôle communication employée à réagir à n’importe quoi qui entacherait l’image de son institution. Néanmoins, le rôle de l’image n’est ici pas exactement de vendre quelque chose mais totalement lié à sa mission sécuritaire. Si la détestation de la police est généralisée, alors il devient difficile d’obtenir des collaborations civiles. L’image de la police est directement liée à sa capacité à installer son réseau de mouchardage. Pour la Police, l’image est avant tout un outil pour obtenir la collaboration d’une partie de la population.
Paradoxalement, on observe sans cesse la même corrélation entre le degré de propagande des institutions sécuritaires et l’insécurité de ses agents. C’était particulièrement visible avec les troupes étatsuniennes en Irak. L’armée US consacrait toujours plus de ressources dans une communication destinée à se présenter comme l’ami du peuple irakien et, dans le même temps, les militaires se cloitraient dans leurs casernes toujours plus sécurisées et éloignées du pays.
Dialogue versus image uniforme
Au sein de la police, il y a un consensus sur l’importance de l’image institutionnelle. En revanche, il y a de véritables divergences sur comment obtenir une image positive. Il y a quelques mois, on a pu voir une tentative menée par un courant minoritaire, qui consiste à créer un lien humain avec une population donnée (le territoire dépendant d’un commissariat). Dans cette stratégie, le commissaire Patrick Visser-Bourdon a pris la parole publiquement pour demander pardon à une habitante maltraitée de Corbeil-Essonnes. Il s’agissait d’établir un dialogue. Celui-ci a une double fonction, à la fois de répondre à une demande sociale et d’obtenir une meilleure collaboration (le lien social permet que la population indique des informations utiles aux policiers).
Suite à cette intervention, la hiérarchie a mis le commissaire au placard. Son initiative entrait en conflit avec la stratégie majoritaire (des principaux syndicats et ministres) qui préfère une image uniforme (ce qui interdit toute remise en cause). Cette seconde stratégie ne répond pas à une demande sociale locale, elle construit une image globale (à l’adresse de toute la France). Surtout, elle s’adresse aux propres policiers. Elle est avant tout destinée à la cohésion interne de la police, qui ne doit reconnaître aucune fissure.
La cohésion interne avant tout
Pour comprendre, il faut saisir ce que les militaires appellent « l’arme psychologique ». Celle-ci s’adresse toujours à deux publics différents, externe et interne. Aux publics externes, il s’agit de lancer différents messages (d’amitié ou, tout au contraire, de peur) et en interne de renforcer la cohésion ou le « moral ». Galvaniser le moral de la troupe est une fonction essentielle, sans laquelle on ne comprend souvent pas les messages de la hiérarchie policière. Très souvent, quand un message est de toute évidence un mensonge grossier, on s’étonne (ou s’indigne). En fait, ce message est moins destiné au public qu’aux troupes, c’est le fameux « on vous couvre ».
Dans ce sens, la distance toujours croissante entre réalité documentée (les milliers de vidéos de violence policière) et le message officiel (« la violence policière n’existe pas »), est surtout le signe d’une panique interne. La cohésion est fortement mise à l’épreuve par de nombreux facteurs, dont nous pouvons relever deux.
Une dégradation des conditions de travail. Il s’agit là d’une évolution qui suit la même tendance que tous les services publics, bien que plus lentement que d’autres avec des compensations par primes et avantages. Les policiers possèdent des moyens de pression bien plus efficaces que d’autres fonctionnaires. Ils obtiennent donc des traitements très différenciés. Par exemples, ils ont été exemptés de la « réforme » des retraites et de la vaccination obligatoire. Néanmoins, la fameuse « politique du chiffre » n’en a pas moins très fortement réduit l’intérêt de leur boulot.
Le délitement interne de la police
Un flic participant à une longue enquête permettant l’arrestation d’un dangereux criminel peut avoir une représentation de lui-même qui correspond plus ou moins à l’image qui sature l’espace public (films, séries, etc.) Mais le management par le chiffre rend plus rentable de s’abstenir d’enquêter et réprimer la petite délinquance (réelle ou inventée pour les besoins du ratio quotidien d’arrestation). Autant dire que s’il s’était engagé pour arrêter Al Capone, le flic est vite désabusé par la réalité de sa besogne. Dès lors, soit il démissionne, soit des dizaines de personnes subiront dans leurs chairs les effets de sa frustration.
Le second facteur inquiétant est l’entrisme de l’extrême-droite dans l’institution. Celle-ci a toujours attiré cette famille politique. Extrême-droite et institution policière partagent un même idéal d’ordre social obtenu par la trique, aussi rien d’étonnant à ce mariage. Néanmoins, ces dernières années, il semble y avoir des secteurs ultra qui mènent une véritable stratégie de noyautage de la police. De l’extérieur, nous n’avons pu voir qu’une toute petite partie de ce conflit interne entre Blancs racistes et Noirs ou Arabes. Les rares témoignages permettent cependant d’entrevoir le degré de violence qui doit s’exercer au quotidien. Celle-ci ne peut que casser la solidarité interne à l’institution.
Image crispée
Les représentants de la police (ministres successifs et syndicats policiers confondus) s’arc-boutent de manière délirante sur l’image de l’institution. Ils sont prêts à défendre des lois qui empêchent le moindre contrôle citoyen de l’institution, alors même que les images se révèlent être les seules preuves démontrant ses crimes. Cela montre certes le pouvoir exorbitant de la police, sans laquelle les gouvernants décrédibilisés s’écrouleraient immédiatement. Mais cette obsession de l’image démontre surtout, à mon sens, une véritable crise interne. Ils cherchent à préserver, quoiqu’il en coûte, une image qui cache une institution est en plein délitement.
Historien de formation, j'écris l'histoire au présent (comme tout le monde)