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Panorama : le monde du rap s’enflamme sur Twitter pour une « punchline »

Panorama : le monde du rap s’enflamme sur Twitter pour une « punchline »

Comme souvent, les punchlines de rap français agitent la raposphère, désormais jumelée à la twittosphère, et ça ne fait pas toujours bon ménage. Panorama de Jazzy Bazz, en feat avec son compair de l’entourage Alpha Wann, en est un bon exemple. Twitter s’est jeté sur une « punchline ». Decryptage. 

La phase de trop 

Les fins analystes de punchline du rap sur twitter ont sauté sur Panorama depuis le 6 janvier dernier. L’artiste, qui sort son projet le 21 janvier prochain, se retrouve objet de critiques plus ou moins bien fondées. Une bonne ambiance nauséabonde où tous les coups sont permis, même les attaques sur le physique.

Capture d’écran Twitter 6 janvier 2022

 Soit, il le fait lui-même peu avant la fameuse “punch”. Mais comme chacun sait : se moquer de soi est une chose qui peut être drôle et éthique. En revanche, se moquer d’autrui c’est le début du harcèlement et ça valide les préjugés… A croire que le petit monde du rap français perdrait toute notion de bienséance sur Twitter quand il s’agit de Panorama?

J’ai un tas de bonnes idées (ouais), si j’étais pas chauve, j’aurais eu les cheveux gominés (les cheveux gominés, ouais)

Que ce soit sur twitter ou ailleurs, Panorama reste une oeuvre de rap français et l’analyse de ses textes s’impose. Par ailleurs, tout commentateur de rap qui se respecte, sait qu’une punchline ne se résume pas à une phrase écrite par un rappeur. Ce serait trop facile et viendrait dénaturer totalement le travail de ces artistes à part entière.

Le travail d’écriture et de rythmique est au coeur de l’esthétique rapologique et des exercices de style. Ils font ainsi évoluer la musique en tant que sonorité et le langage en tant que vecteur de message.

Une phase d’un égotrip et non une punchline

Autrement dit, cette phrase s’inscrit dans un développement et ne se comprend qu’à l’aune des précédentes. C’est ce qui la différencie d’une punchline qui se suffit à elle-même. La punchline ouvre sur plusieurs possibilités d’analyses et de perspectives, mêle plusieurs images mentales et cognitives…. Bref, là c’est pas le cas. 

Pas une punchline donc, mais une phase dans un développement. Ce développement se fait sur le mode “egotrip”. Mode qui a été usé et ré usé dans le game, sans jamais poser de problème à personne. Il s’agit d’y grossir son ego, le caricaturer et se donner à voir comme étant le meilleur. D’où la phase : 

Surprenant qu’les Grammys n’aient pas encore pensé à me nominer (c’est surprenant)

Etrange que personne ne se soit dit qu’il poussait le bouchon un peu loin pour imaginer que les Grammy l’appellent 😉 

Problématique ?

Au fond, il ne dit rien de plus, mais la manière dont il le dit prête à confusion, bien évidemment. Elle n’en reste pas moins matière à approfondir la réflexion et à élargir notre culture. 

Force est donc de refaire un peu de pédagogie à la fois féministe et rapologique. On vous voit les mascus, pas la peine de vous réjouir, y aurait rien pour vous nourrir.

J’me sens violé par toutes ces femmes qui se sont probablement doigtées sur moi (ouh, ouh, ouh, rrah)J’me sens violé par toutes ces femmes qui se sont probablement doigtées sur moi (ouh, ouh, ouh, rrah).

Oui

Ce qui choque les internautes dans cette phrase, c’est le fait qu’un homme cisgenre s’approprie le terme de viol. Que ce terme soit utilisé pour signifier une expérience qui d’un point de vue étymologique n’est effectivement pas un viol.

Cela reviendrait “banaliser” la réalité. Le viol perdrait de sa gravité si il est utilisé à tord et à travers. Ainsi posé, impossible de ne pas les comprendre. Quand c’est Skia qui en parle, là, c’est sans second degré et big up à elle pour l’authenticité.  

Skia – Chercher loin – 2020
Et non

Néanmoins, il s’agit d’une phrase dans un développement où l’auteur cherche à se faire mousser. C’est un exercice narcissique. Quelle meilleure image pour incarner ce narcissisme que l’érotomane ?

Cette psychopathologie réelle consiste à confondre attention et séduction (pour faire court). Une personne érotomane fait une fixette sur quelqu’un et se persuade de son désir pour elle. Le fait de croire que toutes les femmes éprouvent du désir pour lui, c’est plus érotomane, donc pathologique, qu’autre chose si on veut le prendre au premier degré.

N’est-ce pas ce que chacun fait : se présenter comme le plus beau, le plus sexy, le meilleur vendeur ? Ce qu’ils appellent la vivance… 

Ninho feat Koba La D – La Vivace – 2020 – Destin

Distinguer perception et statut de victime, viol réel et viol symbolique

Ensuite, il dit avoir le sentiment d’être violé et non l’avoir subi. La nuance est subtile mais importante. Comme souvent d’ailleurs. 

Avoir le sentiment d’être violé.e est une expression. Elle décrit l’atteinte de son intégrité, du plus profond de l’être par l’irruption du désir d’autrui. Ce désir n’étant ni réciproque, ni consenti, ni même voulu, conduit à l’impression d’atteinte de soi. Cette expression permet de comprendre les viols psychiques ou symboliques notamment dans les processus d’emprise. Les phénomènes dits de « manipulation » en regorgent.

Ces viols symboliques ou psychiques induisent la perte progressive des capacités de décision, la dissociation identitaire, des phases de paranoïa… Ils se caractérisent par l’isolement, la répétition de petites humiliations, la mise en abîme de l’estime de soi, etc. Tout est une question d’entourage finalement qui peuvent observer ces signes. N’est-ce pas Shanon?

Shanon – instinct de Survie – 2021 – PerioDT

La violence a un genre, mais n’est pas sexuée

Autrement dit, le fait d’exprimer un ressenti, une perception n’est pas une affirmation d’un état de fait. La distinction est importante dans le cadre des débats actuels sur la question. Se sentir victime, attaqué.e, agressé.e devrait pouvoir s’entendre absolument, non?

Ce ressenti peut être vécu par n’importe quelle personne, quelle que soit son genre ou son sexe. Le viol n’est pas, par essence, une expérience de femmes (au sens de la sexuation). C’est une expérience féminine ou qui féminise, à savoir qui inscrit l’individu dans le genre féminin en tant qu’objet sexuel possédable. C’est le féminin en chacun de nous qui est violé.

N’importe qui peut être en position de faire vivre à autrui une expérience de viol. Si elle est réelle, c’est un crime reconnu et puni par la loi. Si elle est symbolique, elle est bien plus difficile à faire reconnaître, mais n’en reste pas moins psychiquement traumatisante. 

Le viol est un crime qui fait perdre à la victime toute notion d’elle-même. Il l’inscrit dans une dissociation de son corps et de son esprit aussi appelée dissociation interne. Ce crime génère la haine et le mépris de soi pour la victime, pouvant amener au suicide. 

Un enjeu féministe : sortir des assignations de genre sur le viol 

Le viol n’est pas réservé aux femmes. Tant que cette idée perdurera, les femmes resteront associées à des objets/victimes. Elles ne pourront pas être reconnues comme des sujets agissants et désirants qui peuvent consentir ou non. Leur corps ne sera jamais entendu comme un corps pensant, toujours réduit à son sexe, à son assignation.

Il en va de même pour un corps masculin ou féminin. Bien que l’un et l’autre diffèrent par certains aspects, ils sont tous deux potentiellement violables et violeurs. Chacun a un sexe à disposition. Le sexe féminin est tout aussi actif que le masculin à qui le connait bien.

Néanmoins, la personne qui viole se positionnera du côté du masculin. Celui-ci comprend la domination, le rapport de force, la prise d’objet et la satisfaction immédiate de ses désirs (difficulté dans la gestion de la frustration).

En revanche, la personne qui subit le viol se perçoit du côté du féminin. Celui-ci est entendu comme la passivité, l’attente, l’accueil, la soumission, voire le masochisme…

Et si cette phase maladroite de Jazzy Bazz nous invitait en fait à réfléchir sur la proximité entre l’expérience féminine et l’expérience du show bizness ? Peut être…

En tout cas, avec Panorama, le public adepte de rap français sur Twitter n’est pas en reste en termes de punchlines. Dommage de ne pas s’être arrêté plutôt sur ces phases d’Alpha Wann

J’suis axé culture jusqu’à la sépulture, j’reste le même jusqu’au décès (décès)

Quand y a une vraie guerre, tu désertes (désertes), Philly Flingo: aigle du désert (désert)

Tous les renois qui rappent creux (creux), ils nous foutent dans la merde, ils nous desservent (dans la merde)

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