Continuous le tour du monde du graffiti. Partons à la découverte de l’anti-style avec Shipa venu de Russie.

Bonjour Shipa, tu as 35 ans et tu es originaire d’Arkhangelsk au nord de la Russie. Pourquoi avoir choisi ce nom dans le graffiti ?
Ce n’est pas moi qui ai choisi ce nom, mais mes amis me surnommaient ainsi à l’école, pour le défaut d’élocution qui est passé avec le temps, mais le nom est resté ;-).
Depuis combien de temps fais-tu du writing ?
J’ai commencé à m’intéresser au graffiti vers 1998. Cela dit je ne dessinais pas beaucoup, j’aimais aussi le break dance, comme beaucoup de mes camarades à cette époque.


Dessinais-tu avant ?
J’ai peint dès mon plus jeune âge. En effet mes parents sont des personnes créatives. À la maison il y avait toujours un tas de peintures, de marqueurs. Mais aussi de la littérature artistique. Après je suis allée dans une école d’art.
Que recherches-tu lorsque tu créées des lettres ?
Avant j’étais fan des wild styles, des lettres tordues et obscures. Maintenant j’essaie de mettre plus d’énergie dans la couleur et le sens et les lettres peuvent être les plus simples.

Qu’est-ce qu’une bonne lettre pour toi ?
De bonnes lettres, quand tout le monde peut les lire et qu’elles sont accrochées dans un endroit bien en vue)).
Comment peux-tu définir ton style ?
Style conceptuel throwie. C’est probablement une sorte d’anti-style.

Peux-tu nous en dire plus sur ce genre de style (aussi appelé style ignorant, style ghetto ou graffiti hipster) ? Est-il typiquement russe ou d’où vient-il ?
Je viens juste d’inventer ce nom. Il me semble que l’anti-style a commencé à se développer en France, c’est pas du graffiti standard, mais il y a une âme en ça.

Penses-tu que les lettres ont des spécificités propres à ta ville ? Ou bien que tout a été dilué dans un grand style international ?
Je ne pense pas, avant les styles dans les différents pays étaient différents, mais avec l’avènement d’internet, tout s’est mélangé.
Peux-tu nous décrire ou donner quelques exemples de ces styles avant l’internationalisation avec internet ?
La Russie n’avait pas son propre style, c’était plutôt une copie de l’Occident. Je pense que la culture locale a en quelque sorte influencé la forme des lettres. Par exemple, en France, le style Art nouveau est présent dans de nombreuses œuvres, aux États-Unis le pop art, etc. En Russie, beaucoup ont récemment utilisé l’alphabet cyrillique.

En discutant avec Tweso, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de typiquement russe dans la forme de ses lettres. Dans celles aussi de Dirty par exemple ou Nozer. Il m’a répondu que cela venait des anciennes traditions calligraphiques russes. Est-ce que c’est quelque chose de nouveau sur la scène de l’écriture russe ?
C’est ainsi ! Il suffit de voir que 99% écrivent leur nom en lettres latines, et non dans leur langue maternelle. Et ce n’est que maintenant qu’apparaissent des gens qui essaient de changer cela.
Tu voyages beaucoup en Russie, il y a des différences de style selon les villes ?
Je ne voyage pas seulement en Russie. Presque partout il y a des œuvres très intéressantes et tout autant de déchets. J’ai été dans des endroits où il n’y avait même pas un seul graffiti, avant que j’y apparaisse.
Où ?
C’était seulement dans les petites villes russes du sud.

Où as-tu été et quel endroit as-tu préféré ?
J’ai été en Allemagne, en Pologne, en Lettonie, en Lituanie, aux Pays-Bas, en Bulgarie, en Abkhazie, en République tchèque, en Biélorussie. Et j’espère que ce n’est que le début). Ce sont les Pays-Bas qui m’ont le plus plu. Notamment la petite ville d’Eindhoven, où s’est tenu le festival de graffiti Step In The Arena.

Si l’œuvre d’art créer un monde et que la vie imite l’art plus que l’art imite la vie, quel genre de monde voudrais-tu que ta peinture impulse ?
Dans la vie c’est le contraire qui est vrai. Le monde idéal est une utopie et le graffiti et le street art sont des arts révolutionnaires, mais il doit y avoir un équilibre. Sans bien, il n’y a pas de mal. Je veux que mon travail apporte un message positif au monde non idéal !
Peux-tu expliquer la part révolutionnaire du writing et du street art en général ?
Le writing est une forme de protestation, contre le système, sous toutes ses formes. L’art de rue non-légal vous fait prêter attention à certains problèmes sociaux.

Penses-tu qu’il s’agisse d’une chromothérapie pour la ville où la lumière monochrome domine ?
Je pense que beaucoup de gens vont apprécier et se réjouir, puisque la vie de la plupart d’entre eux est aussi grise que les couleurs de la rue. Il y a une blague sur ma ville natale qui dit que nos résidents distinguent 50 nuances de gris.
Penses-tu que le writing ne modifie que l’espace ou cela peux aussi modifier la mentalité des gens, et si oui comment cela le modifie-t-il ?
Il modifie l’espace, c’est certain, mais que cela plaise ou non dépend de la personne. Tout le monde est déjà habitué au vandalisme dans les rues, mais dans différents endroits ils ont une attitude différente à ce sujet. En Europe ils ne peuvent rien vous dire pour avoir peint dans la rue, mais en Russie vous pouvez vous le prendre sur la tête)) J’espère que la mentalité en Russie va changer et que beaucoup comprendront que c’est de l’art, pas du hooliganisme !

Pourquoi les gens pensent-ils que c’est du petit hooliganisme et comment penses-tu que ce point de vue peut changer ?
Pour beaucoup, dessiner des graffitis attire précisément par son côté non légal, écrire son nom là où c’est interdit ! Il n’y a pas d’échappatoire à cela. C’est pourquoi, même si aujourd’hui les graffitis sont entrés dans les galeries des musées, les mêmes seront peints sur l’extérieur de leurs murs, ces personnes seront toujours appelées hooligans.
Que penses-tu que le writing puisse apporter aux gens ?
Chacun son truc ! Personnellement, elle m’a apporté du plaisir, du bonheur, de bons amis, un peu d’argent, m’a ouvert de nouveaux horizons et j’espère que ce n’est pas tout.

Avez-vous un mot pour la fin ?
Picasso disait, en visitant l’exposition de dessins d’enfants : « Quand j’avais leur âge, je savais écrire comme Raphaël, mais il m’a fallu une vie entière pour apprendre à dessiner comme eux ».
Paix, amour et unité !


