Dix ans à chercher sur la planète quel est le…
Les questions que nous posent le conte philosophique, Matrix, n’ont jamais été si proche de notre actualité. Au-delà de la fiction cinématographique et de ses mises en scènes hollywoodiennes, cette allégorie semble nous proposer une lecture du monde en train de se construire, une projection de ce que pourrait-être notre quotidien dans un avenir plus proche que nous le pensons. Destruction de l’environnement, Cyber surveillance, précarisation, dépendance, tous les ingrédients qui fondent le scénario de Matrix se dessinent, là précisément sous nos yeux avec ces questions centrales : Sommes-nous en train de céder à une forme d’esclavage ? Zion est-il une illusion dans une illusion ou un véritable espace de résistance ?
Changer de dimension
En libérant l’information, c’est une page blanche que la révolution numérique nous propose. Un nouvel espace comme une énigme à penser. Un « non considéré » qui échappe encore à notre connaissance. Rien de moins qu’une nouvelle écriture du monde à faire émerger comme les mésopotamiens l’ont fait il y a trois mille ans. Personne n’a encore pris la réelle mesure du pas gigantesque que nous devons franchir pour être à la hauteur de ces forces multiples qui se moquent de nos gesticulations souvent naïves sinon pour les retourner à leur avantage comme le font spécialistes des arts martiaux et nous clouer au tapis dans l’impuissance la plus totale. Il nous faut accéder à un nouveau niveau de conscience pour sortir de la « captivité » promise. N’est-ce pas la question centrale ? Celle sur laquelle devraient se concentrer tous nos efforts ? La question de la « dimension » du monde, notre capacité d’en accepter la multiplicité, d’admettre la disparition d’une réalité globale. Et c’est sur ce point précisément que nous alerte Matrix : « Ne croyez pas ce que vous voyez, interrogez-vous sans cesse pour savoir ce qu’il y a au-delà de vos perceptions. »
Nous n’avons pas encore pris la mesure du combat que nous devons engager face à un monde qui n’a plus de centre et qui face à des adversaires qui depuis les années 70/80 ont pris sur nous une avance qui se compte en années lumières. Tant que nous défilerons dans la rue avec des banderoles en criant des slogans, tant que nous nous limiterons à une horizontalité réduite à des petites communautés telles que les ZAD, insuffisantes pour produire une contre-société. Tant que nous regarderons en spectateur les 1% de la population rafler toutes les ressources mondiales, alors sans aucun doute nous finirons comme des esclaves.
Serons-nous capables de changer d’échelle, de changer nos représentations, de comprendre que nous n’avons plus en face de nous un Richard Nixon pendant la guerre du Vietnam ou un De Gaulle face aux révoltes étudiantes en 1968. Nous sommes face à une « machine » dont la somme des éléments est un produit impalpable et inconcevable à nos esprits encore bridés. Comment l’appréhender ? C’est l’expérience que nous devons tenter pour trouver la force de s’y opposer. Faire l’expérience inconnue de sa représentation. Plus qu’une réflexion c’est une expérience totale qu’il nous faut vivre, physique, intellectuelle, sensible, sensorielle, spirituelle. C’est une remise en cause de toutes nos échelles de valeurs, de toutes nos convictions. Sommes-nous prêts à la tenter ? La question est grande ouverte. Un trou béant.
La nécessité de penser un ailleurs
Il y a cinquante ans la magie des monde virtuels était à portée de main. Un nouveau milieu de communication, de pensée et de travail pour les sociétés humaines permettant de mettre en commun nos imaginations et nos savoirs. Cet espace de nouveaux possibles a été abandonné (pourquoi ?) à des prédateurs qui ont fait du cyberspace une illusion, une « super-télévision » à but mercantile plutôt qu’un espace d’intelligence collective pour renouveler le lien social dans le sens d’une plus grande fraternité. Enfermés entre le repli identitaire des extrêmes et l’uniformité bien-pensante de la mondialisation financière nous acceptons aujourd’hui sans broncher les effets dévastateurs sur nos écosystèmes de ce monde « hors réalité » piloté par des multinationales sans âmes. Dramatique échec pour la communauté des humains.
Prendre la pilule rouge c’est accepter d’affronter la violente réalité de ce monde en cours de dévastation. Le défier. Seuls ceux qui ont été “débranchés” de la matrice vivent dans le monde réel, les autres ne vivant que par leur perception illusoire. Disons-le autrement : le récit sur lequel notre monde est fondé a besoin d’être radicalement déconstruit pour changer notre perception et apporter de nouveaux éclairages aux questions que la modernité nous posent. Sortir de l’illusion qui nous paralyse pour raconter une nouvelle histoire c’est d’abord prendre conscience que le récit qui nous anime est tronqué. L’histoire est une fiction racontée par et pour les vainqueurs. Celle qui fait aujourd’hui référence a été écrite par les occidentaux depuis la découverte des Amériques en occultant toute une partie de l’humanité.
Il est temps de prendre en compte « l’autre partie » pour raconter une « autre histoire. » Bienvenue au royaume de Zion. Sion, la terre promise, l’ultime rempart aux armes de destruction massive qui menacent de détruire les derniers vestiges de l’humanisme et de l’indépendance humaine. Zion c’est l’espoir de se sortir du tunnel dans lequel le système ultra libéral, l’occidentalisme compassé, la virtualité nous enferment. Zion est le « lieu » de notre indépendance face à ce monde terrifiant. Un lieu pour les esprits conscients qui refusent la simulation. Un espace de résistance qui réhabilite le psychisme humain, ouvre la voie vers la liberté, redonne à l’humanité une âme.
Avez-vous noté que ce monde souterrain dans le film Matrix est majoritairement peuplé de noirs, d’homosexuels, de marginaux, de ceux que le système n’accueille pas pleinement et qui sont le plus à même de se réveiller sur les anomalies de nos représentations. Sortir de la matrice, se débrancher, se réveiller. Peut-être qu’en dernier recours ce sont les exclus qui détiennent les clés pour nous sauver la mise, pour fédérer les citoyens qui vivent dans leur chair ces dysfonctionnements et qui de fait détiennent les clés de la résistance et par ricochet de la connaissance. N’est-ce pas par à travers leur résistance et leur liberté de conscience que nous deviendrons libres ? Avons-nous d’autre choix qui celui (dixit le philosophe Antonio Gramsci) d’associer le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté pour identifier ensemble les anomalies dans le code source, les failles dans le système pour sortir de l’ombre dans lequel cet esclavage nous plonge.
Dix ans à chercher sur la planète quel est le meilleur endroit pour vivre et comment. Quelques dommages collatéraux et à trente ans un changement de cap qui m’a fait comprendre le dessous des cartes en termes d’économie et de politique. Passionnant. Un retour aux sources depuis dix ans qui ne me laisse plus le choix sinon de renverser la table . Maxime : « Ne jamais lâcher l’affaire. »