pixel
Now Reading
La chronique d’Urnes c’est fini

La chronique d’Urnes c’est fini

La chronique d’Urnes, c’est fini. Dans quelques semaines chacun/ chacune ira voter, ou non. Contrairement à ce que peuvent laisser entendre les critiques exprimées ici durant ces mois, j’appelle à voter. Et à voter un candidat en particulier: Mélenchon.

(Nous avons longuement discuté au sein de la rédaction sur l’opportunité d’appeler à voter un candidat en particulier. Il nous ait apparu qu’il était honnête que j’expose clairement la conclusion à laquelle m’a mené l’écriture de cette chronique -je n’avais pas la même position en la commençant. Cette position n’engage que moi, il y a une grande diversité d’opinions au sein de Hiya!)

Le peuple des gauches est majoritaire

Bien des gens se demandent pourquoi la gauche a du mal avec ces élections. Après tout, la grande majorité sommes scandalisés par les inégalités absurdes (quelques personnes qui possèdent plus de richesses que la moitié de la population). Nous sommes tous fatigués de la gestion néolibérale du travail. Marre d’être d’éternels précaires et/ou des burn-outés en puissance. Révoltés de voir nos vieux marchandisés, les services publics maltraités. Et la police convertie en milice, seule garante de cet Ordre injuste et mortifère. Dégoutés d’entendre tous les jours insultées nos sœurs et nos frères parce qu’elles s’appellent Nedjma ou Yacine. Ulcérés de voir le langage s’inverser dans cette novlangue infecte qui gouverne. Les mots perdent de leurs sens ou disent l’inverse de ce qu’ils signifient (genre « laïc » = cracher sur un musulman ; « plan de sauvegarde de l’emploi »= licenciement massif; « modernisation » = plus de milliards pour les oligarques).

Bref, nous ne sommes pas minoritaires en nombre à en avoir ras-le-bol. Pourtant la gauche a bien du mal dans ces élections. Et c’est bien logique : ce type d’élection est, en soi, une violence faite à la gauche en général, et à celle qui émerge plus particulièrement.

Des élections incompatibles avec l’aspiration égalitaire

L’aspiration fondamentale de la gauche est égalitaire. Et les nouvelles générations entendent appliquer ce principe à la forme de prendre des décisions. Autrement dit, pour nous, être de « gauche » c’est prendre des décisions collectivement. C’est ce que nous avons fait sur les places ces quinze dernières années. De la révolution tunisienne jusqu’à la très modérée « Nuit Debout » des places françaises, en passant par le Occupy à New York entre autres multiples expériences, les peuples de « gauche » se sont exprimés comme ils purent.

Et c’est encore ce que nous faisons tous les jours dans nos associations, les manifs, sur les lieux de travail où les espaces d’expression n’ont pas (encore) été anéantie. Ou ici, au sein de la rédaction d’Hiya !, où l’on apprend à se connaitre à travers des débats. Dans des milliers de lieux où ça discute, cherche des manières de faire et prendre des décisions qui ne condamnent personne à l’invisibilité.

Pour nous, être minoritaire ne veut pas dire fermer sa gueule. Or les élections présidentielles en Vème République, c’est exactement ça : gagner ou se taire. Et gagner quoi ? Un candidat pour lequel, au mieux, on ne sera pas tout à fait en désaccord. D’ailleurs, le principe même de la “gagne”, de ces éternels winners, nous dégoûte.

Rien à foutre des « hommes providentiels »

Tout ce qu’a fait de bien et de nouveau la gauche ces dernières années a été –précisément- une remise en cause radicale de cette politique verticaliste. Il s’agit d’un véritable aggiornamento mené collectivement, parfois de manière foutraque, d’autres plus ordonnées.

Nous exécrons l’idée d’homme providentiel (et que ce soit une femme n’y change rien). Car nous les avons vu défiler pendant des décennies, tous pires les uns que les autres. Charlatans et traitres, avec leurs poses de cadors et leurs dents qui raillent le parquet. « Cassez-vous tous » est le seul cri qui traverse le monde. « Que se vayan todos! y que no quede uno solo » (qu’ils s’en aillent tous, et qu’il n’en reste pas un seul) criait le peuple argentin en 2001. Vingt ans plus tard, ce cri a fait le tour du monde. Tout le monde déteste les dirigeants.

Rien ne va avec les élections présidentielles, avec la Vème République, avec la logique des partis, avec l’État centralisé, ses institutions sourdes et aveugles aux voix collectives. Rien ne va avec leurs “grands commis” technocrates qui accaparent le pouvoir au service d’un éternel “il n’y a pas d’alternative” suicidaire.

Faire barrage, malgré tout

La gauche ne peut pas se retrouver dans des élections dont l’organisation est une violence contre tous ses membres. Le boycott des élections est donc la seule position logique de gauche aujourd’hui.

Ce n’est pas la mienne. J’estime que quand bien même nous serions la grande majorité à boycotter ces élections, son gagnant continuerait à nous maltraiter avec la morgue qui caractérise tous ces gens. Rien ne changerait et tout continuerait dans cette pente mortelle dans laquelle nous somme entrainés depuis des lustres.

Macron, Zemmour, Le Pen ou Pécresse, avec des nuances, continueront à user de la force pour écraser nos voix. Ils poursuivront le saccage des biens publics au bénéfice de quelques milliardaires, renforceront les censures, etc. Le pouvoir de nuisance de l’appareil d’État est encore bien trop fort, les Gilets Jaunes en ont fait l’amère expérience répressive. Aussi, notre boycott (si tenté qu’il soit très massif, ce qui n’est pas du tout assuré) ne pourra pas se convertir en pouvoir.

L’abstentionnisme, position optimiste pour nos temps obscurs

L’abstention me semble faire preuve d’un trop grand optimisme par rapport aux pouvoirs institutionnels. Pour ma part, j’appelle à faire barrage. À voter Mélenchon. Je ne crois guère aux promesses de la FI mais pense qu’elles les engagent assez pour nous offrir des marges de manœuvre. Ceux-là au pouvoir, ils auraient du mal à nous envoyer les CRS écraser nos voix. La France Insoumise au gouvernement permettrait de respirer. Elle serait probablement un moyen de retrouver et élargir des marges de manœuvre à tous les niveaux (place publique, associations, entreprises, communes, etc). Car il s’agit de retrouver ces espaces afin de décider de notre présent. Sans attendre des promesses d’avenir (de FI ou d’un autre) qui n’advient jamais.

Même battu, un Mélenchon au second tour c’est un Macron affaibli

Quand bien même Mélenchon serait battu par le banquier d’affaire, sa présence au second tour signifierait beaucoup. Elle favoriserait un rapport de force qui nous ouvrirait des marges de manœuvre depuis trop longtemps constamment réduites. Et, tout au moins, nous nous éviterions deux semaines d’entre-deux-tours où blanc-facho et facho-blanc occuperont l’ensemble des médias avec leurs crachats quotidiens. C’est toujours ça de gagné.

Pas de barrage au second tour

Il reste à être clair sur un point. Si le candidat de gauche était absent au second tour, il n’y aurait alors d’autre alternative que le boycott. Il est hors de question de voter Macron quelque soit la menace. Si Zemmour lui faisait face, il faudrait se rappeler que Macron n’a cessé de favoriser sa popularité. On ne vote pas contre le couteau en s’en remettant à qui l’a affûté et nous l’a placé sous la gorge.

Chasse aux migrants, ratonnade au cœur de Paris. La plus grande répression depuis la guerre d’Algérie, avec des morts, des dizaines d’éborgnés, des milliers de blessés, des milliers d’inculpés, des dizaines de milliers de personnes terrorisées. La justice instrumentalisée pour mâter la liberté d’expression populaire.

Mise à l’index permanente des citoyens de confession musulmane. Loi séparatiste dans la citoyenneté, créant des citoyens de seconde zone. Dissolution d’association de protection juridique de citoyens musulmans. En somme, une politique discriminatoire évidente et assumée (« vous êtes molle, madame Le Pen« ).

Des journalistes explicitement visés par les policiers dans les manifs, des tentatives de perquisition dans des rédactions (en particulier pour protéger le protégé du président, Alexandre Benalla). L’interdiction de fait, quand ce n’est pas de droit, de documenter les violences policières. Une concentration inédite des médias dans les mains des plus grands bénéficiaires de la politique économique de Macron.

État d’urgence permanent. Creusement sans précédent des inégalités.

La liste des horreurs est longue de ce fondé de pouvoir des plus riches.

Plutôt le déluge que ce barrage là. Si le fascisme doit passer par les urnes, il passera. Ce ne sera en tout cas pas en votant Macron qu’on l’arrêtera. La seule alternative électorale est donc Mélenchon.

Post-scriptum : l’ironie n’est pas un cynisme

Cette chronique a pris un ton, avec plus ou moins de réussite (ce n’est pas à moi d’en juger), assez satirique. Ce n’est certainement pas du cynisme ou une attitude désabusée que j’ai cherché à transmettre. C’est un (sou)rire que j’espère engageant face à la catastrophe climatique et à la montée du fascisme.

Cette chronique m’a aidé à prendre une décision face aux élections. Maintenant que je l’ai prise, il serait malsain de la poursuivre.

PS2: Je suis intellectuellement favorable au langage inclusif (qui peut décemment accepter une règle grammaticale qui fait de cinquante femmes et un homme un groupe masculin ?) Mais cela reste pour moi et bonne partie de ma génération une langue étrangère, bienvenue mais pas la mienne. Je galère déjà avec l’orthographe (dont le lectorat averti aura remarqué la précarité).

View Comments (0)

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Scroll To Top