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De la « Haine » à « Nous » en passant par les « Misérables », une évolution du regard porté sur l’immigration

De la « Haine » à « Nous » en passant par les « Misérables », une évolution du regard porté sur l’immigration

La « Haine » de Matthieu Kassovitz, les « Misérables » de Ladj Ly, « Nous » d’Alice Diop, trois films remarquables, trois films qui marquent leur époque, trois films qui nous disent l’évolution fulgurante du regard porté par les générations issues de l’immigration sur leur place dans la société française.

La Haine, un film de rage pure

C’était il y a 25 ans. Le 31 mai 1995, La Haine, le film réalisé par Matthieu Kassovitz sort sur les écrans français, comme une grande claque. Inspiré de l’affaire Makomé M’Bowolé, il met en cause les bavures policières, et plus globalement la politique sécurité de l’époque. Un film anti flic qui met en scène la relation tendue entre les forces de l’ordre et les habitants « des quartiers ». Et ce en décrivant, au lendemain d’une nuit d’émeute à la cité des Muguets, 24 heures dans la vie de trois jeunes : Vinz le Juif (Cassel), Saïd le Rebeu (Taghmaoui) et Hubert le Black (Koundé). La haine est un film de rage pur, un électrochoc désireux de secouer le cinéma français comme les spectateurs, en leur ouvrant les yeux sur les problèmes de la banlieue. Il exprime sans filtre la violence et la désespérance d’une jeunesse marginalisée. Un film qui fait deux millions d’entrées et devient aussitôt un film culte.

Les Misérables, un film patriote

25 ans après c’est un acteur de l’intérieur Ladj Ly qui traduit à travers le film « Les Misérables » le quotidien de la cité de Monfermeil. Après des mouvements de jeunesse qui ont failli ébranler l’état suite au décès en 2008 d’un jeune poursuivi par la police, les fractures se sont aggravées. Les jeunes côtoient non plus des communautés culturelles mais des groupes radicaux qu’ils soient du côté de la religion ou de la délinquance. Les très jeunes adolescents effraient la police et semblent totalement livrés à eux-mêmes. Les limites de la loi sont franchies en permanence et derrière ces visages d’enfants se cachent la peur, le manque de repères et la colère. Les misérables dénoncent à la façon de la grande œuvre de Victor Hugo un état du monde à l’abandon ou la vertu éducative a laissé sa place au chaos.

Nous, un film qui nous relie

Une marche réunit deux millions de personnes suite aux attentats de 2015. C’est cet évènement qui inspire le film Nous à Alice Diop. Moi qui m’étais curieusement sentie seule dans cette foule, je me suis demandé quel était donc ce « peuple » dont tout le monde parlait ? Je crois que le désir de ce film part de cette question formulée dans ces circonstances funestes : qu’est-ce que ce « nous », nous dit-elle. Elle nous dresse à travers son film un portrait oblique de la France au miroir de la banlieue parisienne en suivant le tracé du RER B.C’est l’histoire de France qui se dessine dans sa complexité. Il y a l’histoire des rois, celle de la Shoah, mais aussi les mémoires des migrants italiens, puis africains, oubliées faute d’être racontées. Le film tente de dire que ce « nous » est autant une question qu’un doute, plutôt qu’une affirmation, un projet en construction. La chasse à courre, l’écrivain Pierre Bergounioux, les gens qui votent Front National, la banlieue des pavillons, celle des grands ensembles, son père, les rois de France, les mecs de cité, les enfants sont intégrés sans hiérarchie à ce « nous » qu’elle cherche.

Trois étapes décisives dans l’histoire de l’immigration

Ces films marquent trois étapes décisives dans l’histoire de l’immigration. Non pas que le regard des français ai évolué sur ce sujet. Les grandes résidences d’habitat social construites dans les années 60/70 sont toujours perçues dans l’imagerie collective comme des lieux de violence. La grande peur des banlieues revient périodiquement sur la scène médiatique. Peur des violences urbaines, de l’intégrisme religieux, des nouvelles « classes dangereuses » peur surtout de l’inconnu. Le regard porté par une majorité des français sur ces endroits dits sensibles éveille encore tous les vieux fantasmes de racisme, d’exclusion er plus récemment de remplacement. Les déclarations politiques ne sont que des instrumentalisations et la France est « en panne » sur ce sujet.

Étonnés par le regard de ceux qui filment

La Haine, les Misérables, Nous… On est en revanche étonné à travers ces trois films par l’évolution de « ceux qui filment » et de leur relation avec leur terre, leur sol, leur patrie, leurs lieux de vies qui évoluent radicalement. Sur cette question essentielle du vivre ensemble on sent clairement un changement de perspective qui tranche largement avec celle de la société française qui dans sa globalité tend à régresser en s’enfermant dans des clichés de plus en plus inquiétants. On comprend à travers cette progression que la résolution des crises tels que les violences policières, l’exclusion, etc, ne viendra pas des institutions, reflet d’une France fatiguée qui manque d’ambition, mais des enfants eux-mêmes de l’immigration qui à travers leurs souffrances et leurs oppositions ont développé une maturité, une capacité de réflexion et d’engagement qui fait honneur à notre pays. Le rejet de la diversité qui réunit presque 50% des Français reste comme une épine dans le pied de la France. Il nous prive de ressources humaines et économiques propres à nous redonner une nouvelle dimension pour entrer dans la modernité.

Fédérer, tisser du lien

Provoquer avec la Haine, patriotisme avec Les Misérables, fédérer avec Alice Diop, ces trois films nous montrent avec une extraordinaire acuité comment notre société progresse malgré les multiples archaïsmes qui continuent de l’empêcher. S’il y a bien des mondes qui vivent à la lisière les uns des autres, il existe une véritable capacité de tisser un lien et un chemin entre ces îlots plutôt que de séparer et de cliver. Merci à ces trois cinéastes qui dans des temps différents nous ont renvoyé avec talent l’image d’une société qui grâce à ses marges bouscule nos archaïsmes et réveille un possible optimisme.    

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