Pseudo de Jérémy Rubenstein, historien, chroniqueur et écrivain (pas forcément…
Entre poudre de perlimpinpin et escobars, notre système économique repose tout entier sur des mensonges. Ceux-ci sont organisés de manière à ce que lorsqu’un scandale n’est plus dissimulable, il est présenté comme une pomme pourrie. Mais si celle-ci parvient à se dissimuler si longtemps, c’est bien parce que les autres sont véreuses.
Pour une personne dont la langue maternelle constitue, tout à la fois, la patrie, le lieu des engagements, des soulagements et le gagne-pain, découvrir un nouveau mot est une fête. Et quand ce terme est si adapté au temps, la jubilation est totale. Et quand il résonne si étrangement avec la poudre de perlimpinpin, alors c’est l’extase.
Escobar: « Personnage hypocrite, sachant utiliser d’adroits subterfuges pour arriver à ses fins ou les justifier » nous dit le dictionnaire du CNRTL. Il y a aussi un verbe, escobarder (agir en escobar) et un substantif, escobarderie, se référant à la pratique de l’hypocrisie.
Scandales et révélations de choses sues
Il y a peu, un collectif international de journalistes révélait les agissements d’une entreprise israélienne spécialisée dans les manipulations. Entre autre, cette entreprise a payé un journaliste de BFM-TV afin qu’il diffuse de fausses informations. On a ainsi appris que, habituellement, BMF-TV était censé diffuser de bonnes informations. Une révélation.
Ce scandale médiatique ne fait pas beaucoup plus de bruit que différents scandales antérieurs, en particulier ceux sur l’évasion fiscale. Le travail journalistique est fait. Et on peut même n’être qu’admiratif devant la capacité à mener des enquêtes très complexes et internationales. Ce qui demande un effort de coopération entre rédactions et beaucoup de temps, sans parler de la capacité à traiter les fichiers qui constituent l’essentiel de la source.
Alors pourquoi ces révélations ne provoquent, chez le grand-public, qu’une vague indifférence? Que les riches ne payent pas d’impôt, on s’en doutait un peu. Que BFM-TV dise n’importe quoi, aussi. Ce ne sont pas des révélations mais des confirmations (avec des documents sourcés, différence importante avec le « savoir », ou le soupçon, antérieur).
Si demain on apprenait que l’irresponsable de la République (sous la Constitution de la Vème Répu, le président est irresponsable), outre la poudre de perlimpinpin qu’il répand depuis des années, en aspire une autre de poudre, serait-ce une « révélation »? Oui, car il n’y a aucune preuve à ce propos. Non, car ça ne surprendrait pas grand-monde.

La pomme pourrie dans un panier de pommes véreuses
Panama Papers! LuxLeaks! Leaks! Tous ces leaks sont importants, il ne s’agit pas de remettre en question le travail d’enquête. Mais de replacer le scandale là où il se situe réellement. Le scandale n’est pas l’évasion fiscale, c’est l’optimisation. Le scandale est légal. C’est le panier de pommes, et non pas la pomme pourrie. Sans les mécanismes d’optimisation, il n’y aurait pratiquement pas d’évasion. C’est la frontière entre les deux, sur laquelle insiste tant journalistes et politiques, qui émousse le scandale. Car, en définitive, que ce soit légal ou non, le scandale c’est que le commun des mortels soit proportionnellement bien plus taxé que les plus riches.
De même, que Rachid M’Barki, le journaliste de BFM-TV diffuse la propagande d’oligarques russes (via l’entreprise israélienne qui, elle-même, sous-traite à un intermédiaire français, dans une cascade de sous-traitance tout à fait typique des externalisations vantées par l’économie dominante) n’est pas si scandaleux. Le scandale c’est BFM-TV. Si les énormités de M’Barki peuvent passer sans problème des années durant, c’est qu’elles de dépareillent pas du programme général de la chaîne.
Son directeur, Marc-Olivier Fogiel, peut crier à la fraude autant qu’il voudra. La fraude c’est sa chaîne. La maltraitance de l’information c’est lui. Rappelons que, dans les sociétés qui se veulent démocratiques, les informations sont essentielles afin que la citoyenneté puisse s’exercer en connaissance de cause. Combien d’informations diffusées par BFM sont utiles à cet effet?
Autrement dit, à chaque nouveau « scandale » ou révélation, ce qui nous est présenté comme une déviation du système, apparaît bien plus comme une parfaite illustration de ce même système. L’évasion fiscale est la forme aboutie -la plus « optimisée »- de l’impôt des plus riches. Les escobarderies de BFM sont l’info telle que la chaîne la comprend (dire n’importe quoi au service de lobbys).
Le mensonge au cœur du système. L’escobarderie est consubstantielle au néolibéralisme
Plus les riches s’enrichissent, plus la société s’enrichit. Les chefs d’entreprise ne créent pas des plus-values (la somme volée) sur le travail de leurs employés, ils créent des emplois. L’État ne peut rien contre le problème des inégalités, l’État est le problème. Une entreprise privée fera toujours mieux et plus vite qu’une entreprise publique. Une entreprise privée coûtera moins qu’une entreprise publique. « Croissance », « gain de productivité », « innovation » « PIB », etc. etc. Autant de mots clefs biaisés, de phrases mensongères, d’idées reçues sciemment diffusées afin de faire croire à l’inverse de ce qui est. Orwell était petit joueur.
Le néolibéralisme s’est très tôt plus intéressé à se vendre qu’à prouver une quelconque efficacité. C’est pourquoi un néolibéral, qu’il soit banquier, politicien, économiste ou même artiste finit toujours par parler comme un vendeur de bagnole. « Vous ferez des économies en achetant » « vous polluerez moins en roulant ». Le néolibéral est un escobar.
Arracher des dents est la seule réalité, et le seul objectif réellement obtenu, du néolibéralisme. Il est donc naturel que seuls les escobars le défendent. Il faut équilibrer le budget des retraites. La réforme permettra plus de justice sociale. La réforme favorisera les femmes (oups ! la langue d’un ministre a fourché et il a dit une partie de la vérité : la réforme défavorise, bien évidement, encore plus les femmes).
Le système escobar, le mensonge au cœur de l’économie
Que voulez-vous, il est impossible à un néolibéral de dire la vérité car s’il le faisait seul 0,00001% de la population, qui bénéficie à plein de son système, pourrait le suivre. Et encore, nombre de ceux qui en bénéficient pleinement peuvent avoir conscience du risque de tout casser, y compris le capitalisme (sans même parler de la planète que le capitalisme dans son ensemble, et non pas le seul néolibéralisme, a pour vocation de détruire). Car le néolibéralisme est, avant tout, une forme de rapacité aiguë du capitalisme.
Mais, avouer que toute la restructuration de l’économie, de la politique et de la culture, repose sur de purs mensonges depuis cinquante ans, entrainerait une telle remise en cause que c’est bien le capitalisme dans son ensemble qui serait en péril. La pomme pourrie du néolibéralisme pourrait bien entraîner dans sa chute l’arbre vérolé du capitalisme.