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Capitalisation des retraites, un management pervers

Capitalisation des retraites, un management pervers

Parmi les mensonges gouvernementaux sur les retraites, celui le moins traité et aussi le plus gros: le gouvernement souhaiterait « sauver la retraite par répartition ».

Un mensonge plus gros que les autres

On ne compte plus les mensonges gouvernementaux autour de la « réforme » des retraites. Ils ont atteint un tel degré d’irréalité qu’on peut juste se demander si les réunions entre ministres ne se sont pas converties en prise collective de substances hallucinogènes. Il reste cependant un mensonge, et pas des moindres, qui n’est pratiquement pas remarqué. En effet, déclaration après déclaration, tous les ministres affirment que ce vol de deux ans de vie sans travail est mené afin de « sauver la retraite par répartition ».

Aucun journaliste ne les interroge sur ce point. Or un gouvernement Macron qui souhaite préserver cette forme de financement solidaire des retraites, c’est aussi crédible qu’un Darmanin, ancien rédacteur d’un magazine de la monarchiste et très antisémite Action Française, luttant contre l’extrême-droite. Ou une Schiappa luttant contre les violences faites aux femmes sous la tutelle de ce même Darmanin. (Le chantage pour obtenir des faveurs sexuelles n’est pas une « vie de jeune-homme » mais une forme de violence particulièrement dévastatrice).

Bref, il faut faire preuve d’une (complice) naïveté pour croire un instant que la Macronie soit prête à se mettre le pays à dos afin de sauver une forme de financement qui va à l’encontre de tous ses présupposées idéologiques.

Jeu de passe-passe

Comme le révélait la lettre imaginaire d’un certain Emmanuel M. au PDG du fonds d’investissement BlackRock durant la campagne présidentielle, le véritable objectif de la « réforme » des retraites est sa capitalisation. Cette forme de financement des retraites permet à la fois de faire main-basse sur d’énormes capitaux et de réduire à peau de chagrin les droits des travailleurs.

Il faut dire, il n’y avait pas besoin de beaucoup d’imagination pour mettre en scène Emmanuel M. en grand défenseur de la retraite par capitalisation. Son soldat Le Maire ne fait pas mystère de cette intention. Et il a déjà facilité ce recours qui élargit les inégalités dans le pays. Sa généralisation formerait un fossé infranchissable entre pauvres et classes moyennes (fossé qui se surajoutera à ceux existants entre classes moyennes et riches et entre riches et ultra-riches).

Plutôt que d’avancer à visage découvert, la Macronie a fait un tour de passe-passe. Elle lance le faux-débat sur les retraites. Une passe à droite. La droite sénatoriale reprend la balle au vol et avance sur la capitalisation.

Répartition et Capitalisation

Quoiqu’en disent les sénateurs, la capitalisation est effectivement un détricotage du système par répartition. Ce dernier consiste à que les générations actuellement travailleuses versent les pensions aux retraités. La capitalisation consiste à verser une part de son salaire à un fonds d’investissement qui vous reversera votre retraite en fonction des gains obtenus. Dès lors on comprend l’intérêt pour les fonds d’investissement. Dans le cas de la France, il s’agit de pas moins de 340 milliards qui échappent à l’économie marchande du fait de son système par répartition. 340 milliards que Macron veut mettre à disposition du marché.

Jouer avec l’argent des retraites

Ainsi, des centaines de milliards constitueraient des fonds qui seront investis. Et là, nous dit la sénateur Retaillau (7200 € par mois, puis plus de 4000€ de retraite) la main sur le cœur, ce serait les investissements dont a besoin le transition écologique. Mais, bien sûr, un fonds de pension n’a aucune obligation d’investir plutôt ici que là. Un fonds d’investissement investit. Point.

Et, naturellement, cherche le meilleur rendement. C’est là tout l’avantage de la capitalisation : un gain à la Bourse et votre retraite s’amplifie. Mais, petit problème, en cas de chute dans cette même Bourse, votre retraite se restreint. Ou disparaît intégralement. En clair, il suffit que quelques tarés de traders jouent et perdent pour que les épargnes de millions de travailleurs s’évaporent.

C’est ce qui est arrivé, entre autre, aux fonds de pension qui avaient massivement investit dans Enron. Sa faillite en 2001 s’est accompagnée d’une perte sèche de leurs retraites de centaines de petits épargnants. Avec la crise financière de 2008, ce sont de centaines de milliers d’États-uniens qui ont perdu leurs retraites. Près d’un million doivent alors retourner au travail malgré leur âge avancé, dont 104 000 ayant plus de 75 ans. Gageons que François Patriat (7200€/mois et confortables retraites) distribuera des exosquelettes aux pensionnaires d’EPAD afin qu’ils retournent au turbin.

Une capitalisation à bas bruit

La capitalisation réelle des retraites se passe sans le moindre débat (pas même un faux-débat macroniste). En effet, ce sont plusieurs mesures prises depuis une dizaine d’année qui ont facilité les fonds de pension qui, de fait, ont imposé le système.

Les gouvernements successifs agissent là de la même façon qu’avec tous les services publics. Sachant que nous sommes pratiquement tous en faveur de services publics robustes, au lieu de discuter de leur intérêt, ils en réduisent l’investissement afin de les dégrader. Résultat, par exemple, s’ils en ont les moyens, les parents auront tendance à mettre leurs enfants dans des écoles privée au vue de la dégradation de l’école publique.

De la même manière, au lieu d’augmenter les salaires (par exemple en obligeant l’alignement des salaires des femmes à ceux des hommes), ce qui aurait effet d’augmenter mécaniquement les pensions de retraite, les gouvernements n’y touchent pas. Ainsi, la pension se dégrade. Et, ceux qui ont les moyens placent en fonds de pension… Ni vu, ni connu, la solidarité a disparu.

Les exploités poings et mains liés à l’exploiteur

Plus pervers, et très peu commenté, la capitalisation des retraites à un effet sur les conflits sociaux. En effet, à partir du moment où les retraites sont indexées sur les performances boursières, aucun travailleur n’a intérêt à faire grève puisque le fond de pension dont dépend sa retraite pourrait se voir affecter. Par ailleurs, ce même fond de pension peut parfaitement décider d’investissements qui seront néfastes pour le travailleur.

Par exemple, le fonds exigera un rendement abusif d’une entreprise, mettons de nettoyage. Afin d’obtenir ce rendement, le management dégradera encore plus les conditions de travail des employées. Face à cette injustice, que devrait faire la femme de ménage si sa retraite dépend de la performance de l’entreprise qui l’exploite? Protester ou faire grève c’est risquer de perdre sa retraite. Plus pervers encore, améliorer les conditions de travail pourraient coûter, rendre l’entreprise moins performante, et donc la faire plonger dans la bourse, c’est-à-dire diminuer la retraite.

Certes, le cas hypothétique d’une travailleuse qui aurait une épargne dans un fond de pension qui aurait investi dans sa propre entreprise reste improbable. Le plus sûr c’est que ce fonds investira dans d’autres entreprises, voire dans d’autres pays. Autrement dit, la travailleuse exploitée chez elle, aura tout intérêt que d’autres se fassent encore plus brutalement exploités ailleurs.

Capitalisation des retraites, un management pervers

L’incertitude propre à la Bourse devient un outil de management général. En effet, la peur de voir s’effriter ou disparaitre sa pension de retraite incite les travailleurs à éviter tout conflit social. Celui-ci pouvant se convertir en une perte de valeurs boursières. Or, aucune avancée sociale s’est obtenu autrement qu’en établissant un rapport de force face au capital. Toute la perversité du fonds de pension consiste à intéresser le travailleur à sa propre exploitation. Et, ainsi lui retirer son seul moyen de pression.

In fine, c’est convertir tout le monde en des porcs. Faire un monde de porcs qui ont intérêt à exploiter les autres. Voilà ce qu’est la capitalisation des retraites.

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