Kid Pharaoh, artiste australo-égyptien, mêle lyrisme pointu et message politique à travers ses productions musicales pour dénoncer la banalisation des traces du passé colonial. Portrait d’un rappeur à la poésie décolonialiste.
Son art est porteur de réflexion. Dans ses chansons, Kid Pharaoh pousse des paroles percutantes et des rythmes puissants pour exprimer sa colère et sa révolte contre le passé colonial et les injustices qui en découlent encore aujourd’hui. «Lorsque un message jamais été entendu auparavant est livré, il revêt une grande puissance.» Comme un auteur d’hymnes révolutionnaires, le rappeur s’empare des questions coloniales rarement posées dans une poésie crue pour rétablir une vérité perdue de long temps. Marqueurs de rupture, ses mots bousculent ainsi les idéologies conventionnelles.
«La musique m’a aidé à trouver mon identité»
L’artiste de 26 ans grandit à Sydney, tiraillé entre la culture égyptienne de ses parents et australienne du monde extérieur. «J’étais différent, je ne ressemblais pas à mes camarades. Et petit, j’essayais d’être comme les autres pour m’intégrer. Mais quand tu commences à devenir un adulte, tu retournes à tes origines.» Né d’une passion seulement personnelle, son rap fleurit à mesure que son identité se construit. «J’ai commencé à m’interroger sur moi-même en dehors du cocon familial. La musique m’a aidé à trouver mon identité, c’est elle qui m’a rapproché de ma culture.» Pour combler le vide de son enfance, Kid Pharaoh s’empreigne de son héritage ethnique et inscrit ainsi ses textes dans un bel hommage à ceux qui lui ressemblent.
British Museum
«J’ai pris tous les artefacts et je les ai rendu à la rue, à tous ces enfants qui me ressemblent.»
British Museum
Si l’Histoire est condamnée à se répéter, c’est une poésie vouée à son contraire que l’artiste porte. Dans sa dernière chanson «British Museum», il revendique alors l’histoire de l’Égypte antique et pointe du doigt l’exposition illégale des trésors égyptiens au musée britannique de Londres. «Pourquoi tu as un tout un mur rempli de mon histoire ? Où as-tu eu cela ?» L’artiste livre toute une ode de riposte aux colonisateurs de son pays. Comme un fantasme tordu de douce vengeance au rythme effréné et accompagné d’humour, la chanson se divise ainsi en trois chapitres : «Venger les ancêtres», «L’occupation égyptienne au Royaume-Uni», et «La restitution». L’artiste met en scène le retour par la force des objets pillés par les Britanniques, dont la présence en Égypte aura durée plus de 70 ans, de l’occupation au protectorat britannique. «Je veux dénoncer tous ceux qui sont responsable de la banalisation de ces vols». Habillé de comédie et de mélodie populaire égyptienne, le message y est bien audible : en exposant depuis Londres ces trésors égyptiens pillés de leur Terre, le passé colonial s’affiche en fierté.

Jesus looks like me
Dans la restitution de la vérité historique, se niche la dignité. Kid Pharaoh l’aura bien compris, et sa chanson «Jesus looks like me» en témoigne. Articulée comme une tirade, l’artiste y accuse la fausse représentation du Christ, vecteur de la notion de suprématie blanche et appelle à revoir les traces du colonialisme dans le façonnage de l’Histoire. «J’ai grandi avec la représentation de Jésus en tant qu’homme blanc. C’est ainsi qu’il me paraissait», témoigne l’artiste qui s’est alors soigné de ranimer cette question de représentation faussée, depuis longtemps banalisée : «Peau claire, long cheveux, yeux bleus. S’il vous plaît, dites moi qui est cet homme. Un Jésus caucasien. Je n’arrive pas à croire que vous ayez essayer d’en faire un blanc. Peau mate, cheveux bouclés, gros nez. C’est plutôt cela. Alors qui est cet homme que je vois ? Parce que je sais que Jésus me ressemble.»
«J’ai l’impression que ma couleur de peau n’est pas à la hauteur d’une vraie représentation.»
Jesus looks like me
Un Jésus blanchit
Intrépide, Kid Pharaoh déroule les mots pour déconstruire l’histoire mal racontée, mal représentée et toutes les traces illégitimes qui demeurent vivaces encore aujourd’hui. Il dénonce la mainmise blanche sur la mémoire caricaturiste de Jésus, et sa négligence de l’homme moyen-oriental qu’il fut. Et pourtant, l’image la plus diffusée du Christ, reproduite partout, sur tous les supports, des peintures aux vitraux, calendriers, livres, est sans-gêne celle d’un homme blanc aux yeux bleus, cheveux et peau clairs. Une fausse conception blanche initiée par les artistes européens à l’image de «l’Occidental».

«Quel est le message ? Ils ont pris notre liberté, maintenant ils revendiquent même Jésus. Ils ont colonisé ma religion, tenté de me rabaisser. Je pense qu’ils veulent que je loue de fausses idoles pour m’achever, faire tomber tout mon peuple et effacer toute mon histoire.»
Jesus looks like me
À la hauteur culottée d’une réécriture de l’Histoire et d’une négligence de celle des Moyens-Orientaux, ce glissement s’est produit bien sereinement. Aujourd’hui universel, cette vision européenne d’un Christ blanc a de ce fait influencé toutes les parties du monde par le biais du commerce et à mesure de la colonisation et de l’esclavage. Elle est venue définir ce à quoi ressemblait la figure centrale du christianisme. Extrêmement subtil, le message ainsi envoyé est celui d’un racisme impérissable.
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