Naomi Kawase est l’une des rares femmes cinéastes du Japon. Avec son premier long métrage, « Suzaku »(1997), elle devient la plus jeune cinéaste à recevoir la Caméra d’Or au Festival de Cannes.
L’univers cinématographique de Naomi Kawase oscille entre fiction et documentaire. Ses allers-retours puisent surement leur source dans ses études photographiques à l’école d’Arts visuels d’Osaka. Elle y réalisa plusieurs courts et moyens-métrages expérimentaux. Pour sa première réalisation, « Dans ses bras/Etreinte » (1992), elle a reçu à Tokyo un prix d’encouragement.
La frontière trouble entre fiction et documentaire
Dans le cinéma de Naomi Kawase le documentaire nourrit la fiction, comme la fiction nourrit le documentaire.
Le documentaire habite ses oeuvres de fiction, notamment dans la forme. Les fiction de Naomi Kawase sont souvent filmées caméra à l’épaule, en lumière naturelle et les personnages sont régulièrement interprétés par des non comédien.ne.s. Le documentaire est également présent dans les fictions de Naomi Kawase, par le fond, car les thèmes de la famille, de l’abandon, de la mort hantent le cinéma de Naomi Kawase depuis toujours.
Délaissée par ses parents et élevée par ses grands-parents, Naomi Kawase réalise des œuvres fragiles et profondément autobiographiques, traversées par des thématiques liées à la disparition des êtres, à l’absence et à la recherche d’une identité perdue.
Son cinéma saisit le caractère sacré de l’univers familier, des gestes quotidiens et des rituels sociaux. Il peint une représentation mythologique, intimiste et poétique du monde contemporain.
Espaces mystiques
L’ésotérisme est un thème récurrent dans la filmographie de Naomi Kawase.
Ainsi, les torii servent de refuge pour s’abriter de la pluie dans « La Forêt de Mogari » (2007). Dix ans plus tard, la forêt Yoshino avec son Mont qui est un lieu de pèlerinage shinto, sert de cadre à « Voyage à Yoshino » (2018). Le Bodhisattva Jizo est célébré par une danse à son honneur, dans « Shara » lors d’un festival de rue.
Dans « Hanezu, l’esprit de la montagne » le mystique est prépondérant. Le film s’ouvre sur des plans des montagnes qui entourent la ville d’Asuka, accompagnés des vers d’un poème. Des mots qui racontent le triangle amoureux des trois divinités incarnées par ces montagnes. Une histoire qui se joue en miroir avec le triangle amoureux du film. Les apparitions des fantômes habitants des cimetières, des forêts renforcent également l’univers ésotérique de « Hanezu ».
Le mystique qui se loge dans la filmographie de Naomi Kawase trouve peut-être ses origines dans l’essence même du Japon. Un pays où contes, légendes et mythes possèdent toujours une réalité physique et spatiale, dans les sanctuaires, comme dans les nombreux arbres, rivières, montagnes et autres entités naturelles divinisées. Le fait que Naomi Kawase soit originaire de Nara n’y est pas non plus étranger.
Nara, le berceau de Naomi Kawase
Tous les films de Naomi Kawase sont personnels. Il est donc naturel que Nara, la ville où elle est née, a grandi et vit toujours, soit présente dans son oeuvre.
Nara cristallise les obsessions de la réalisatrice. Berceau historique japonais, accueillant des sites majeurs du bouddhisme japonais et du shintoïsme, Nara se retourne constamment sur son passé. À l’instar des personnages qui évoluent dans les films de Naomi Kawase. Le poids de l’histoire, qu’elle soit personnelle pour les personnages, ou nationale, pour Nara, écrase et rend insignifiant le présent.
La réalisatrice joue d’ailleurs avec cette image d’Épinal de Nara, religieuse et figée dans le temps.
Nara est hermétique au progrès car contrainte par son passé. C’est le sentiment manifeste dans « Hanezu », devant les images de fouilles archéologiques d’Asuka, ancienne capitale impériale de la fin de la période Yamato.
Ce refus d’avancer se traduit dans « Suzaku », par la ligne de train qui doit désenclaver le village de Suzaku, mais qui ne sera jamais construite. Les habitants rêvant de modernité se résignent soit à poursuivre un mode de vie rural un peu dépassé, soit à déménager en ville.
Le retour à la nature
Fondamentalement, la ville n’est pas un élément positif dans le cinéma de Naomi Kawase. La ville nie la quête d’harmonie entre humains et nature, en détruisant les rapports humains.
Dans « Still the Water » (2014), le personnage d’Atsushi trouve à Tokyo une chaleur qu’il n’a pas pu percevoir dans la nature de l’île Amami où se déroule l’essentiel du film. Il déclare d’ailleurs qu’il faut adopter une attitude humble face à la nature, qu’il est vain de lui résister. Son retour à Tokyo marque un aveu d’échec, qui est un pied de nez à la vanité des Tokyoïtes.
La ville, dans le cinéma de Naomi Kawase, est une transition avant un retour à la nature. Ainsi, c’est à la campagne que les personnages mourants de « La Forêt de Mogari », des « Délices de Tokyo » et « Still the Water » viennent s’éteindre. Dans le même ordre d’idée, dans « Vers la Lumière », le personnage de Masaya se réfugie à la campagne alors que la cécité le frappe de plus en plus, après une vie à photographier ses contemporains urbains.
Dans son oeuvre, Naomi Kawase ne cesse de retrouver l’équilibre entre nature et humanité qui semble l’avoir tant affectée dans sa jeunesse passée à Nara, entre forêts et montagnes. La ville s’y exprime donc en pointillés, jamais écrasante. C’est d’abord à la nature de s’exprimer.
Naomi Kawase, l’Inclassable !
Naomi Kawase est souvent qualifiée de cinéaste protéiforme, capable d’utiliser toutes les techniques. Néanmoins sa marque de fabrique est bel et bien identifiable. Elle capture les éléments, l’ombre et la lumière. Son cinéma animiste prend son temps, promène le spectateur constamment à la frontière entre fiction et documentaire, dans un univers à la fois poétique et sensoriel. Un cinéma en marge de l’industrie cinématographique mais reconnue par celle-ci.