Dix ans à chercher sur la planète quel est le…
122, rue d’Aboukir, centre de Paris, un artiste dont nous avons souvent parlé dans ces colonnes, prend une nouvelle fois possession d’un espace en lui insufflant vie et noblesse. En arrachant des affiches dans le métro, Bisk transforme un bar en grotte qui nous plonge au cœur de nos profondeurs.
Entrer dans l’univers de Bisk demande du souffle.
On n’y va pas les bras croisés ni en touriste. Il faut plonger, se jeter, s’aventurer dans un monde qui vous réduit en « miettes » si vous n’êtes pas à la hauteur de la force créative qu’il déploie. Bisk est un Gargantua, une force de la nature, un ogre féroce qui prend les espaces, les arrache à la réalité pour en faire les témoins palpitants de notre temps. Il nous retourne la tête pour nous permettre de lire le monde autrement, avec plus de force, d’engagement, de conviction. Il ne plie pas aux règles d’un art que l’on fabrique, il s’approprie ce qui existe pour le transcender avec presque rien, quelques bouts de tôles, des coups de crayon, des morceaux de cartons. Nos déchets entre ses doigts deviennent des trésors hors du temps.
L’art avec Bisk amorce sa mue.
Bisk entre dans le XXIe siècle comme un bolide. L’art avec Bisk amorce sa mue. Il s’enfuit vers un ailleurs quasiment inconnu. Pour la troisième fois nous parlons de Bisk dans ces colonnes. Au fait, c’est quoi, Bisk ? Sa troisième grande œuvre nous fait descendre dans d’intimes profondeurs : « C’est toujours dans les caves de l’oppression que se préparent les vérités nouvelles », faisant référence à Saint Exupéry, dans Lettre à un otage.
122, rue d’Aboukir, c’est un bar comme un temple secret qui reflète nos perditions et nos souffrances, on s’enfonce dans des formes étranges qui sentent, le papier, la colle, l’aérosol, l’alcool. Attention escaliers glissants. Ça descend. Ça forme une carapace multicolore qui enveloppe les parois, nous dissolvent dans un sentiment de « déjà vu » ; cauchemars d’enfants, réminiscences de vies antérieures ou nous nous nourrissions d’ombres comme dans la caverne de Platon. Ici rien n’est illégal et pourtant…

Tirer des déchets leur noblesse
La cave fait aussi figure d’arène d’où sortirait un taureau de plusieurs centaines de kilos ; il y a de l’hispanique dans cette œuvre, et l’empreinte d’un Goya : des chants noirs et profonds. Des superpositions de couches de papier pliées, tordues, arrachées par Bisk aux couloirs du métro et recouvertes de signes comme dans la grotte de Lascaux. Des séances d’arrachage qui déjà sont des œuvres d’art. C’est de ces matières-là dont il a fait sa grotte. Cohérence. Tout est fait dans son art pour s’approprier les moindres témoins de nos passages pour en tirer de la noblesse. Bar, métro, affiches publicitaires, on ne triche pas avec Bisk. On prend, on tord, on plie, on transforme. On fait de l’art comme on respire sur des sommets.

Au cœur des nouveaux mondes qui se construisent
Jamais Bisk ne se retrouvera au musée, accroché avec des gants sur un mur blanc. C’est le signe de sa modernité, de l’avance pris sur son temps. Bisk a besoin d’espace, de mouvement, de douleur, de détritus. Fondation Pinault, B. Arnauld, ça relève d’une époque qu’il laisse résolument derrière lui. Il a besoin de la rue et de nos sueurs. C’est un homme de cœur et sans filtre qui donne envie qu’on lui serre la main avec chaleur. D’où vient-il, de quelle terre ? Qu’importe ! Avec ces trois premières œuvres : La décharge, Les poubelles et La grotte, il nous montre le chemin vers un ailleurs dont nous cherchons tou.tes.s les ramifications et les odeurs dans ces nouveaux mondes qui se construisent.

Bisk cumule dans les mêmes phrases l’angoisse et le bonheur
Bisk on ne le refuse pas car toujours il dit « nous », jamais il ne rejette, c’est un liant, un passeur. S’il brûle ses propres œuvres, ce n’est pas pour détruire mais pour ouvrir de nouveaux espaces, laisser la placer à de nouvelles créations. Il s’approprie, Kandinsky, Picasso, Dubuffet pour se projeter là où ils n’eurent pas le temps d’aller fouiller. Alerte ! Une nouvelle forme d’art encore non définie surgit avec lui. Il n’a pas besoin qu’on lui prête ou qu’on lui donne ce dont il a besoin. Il prend, sans violence, comme une évidence, en riant. Il cumule dans les mêmes phrases artistiques l’espoir et le désespoir, la mort, la vie, l’angoisse et le bonheur. Il dit tout ça en même temps en nous transformant. Si la complexité est une nouvelle loi du genre, il en fait sa nature en nous offrant des spectacles qui passent, repassent, traversent, circulent, s’entassent comme des millions d’interfaces qui alimentent en permanence nos systèmes d’exploitation.
Bisk est-il une IA ? Ah ah…


Dix ans à chercher sur la planète quel est le meilleur endroit pour vivre et comment. Quelques dommages collatéraux et à trente ans un changement de cap qui m’a fait comprendre le dessous des cartes en termes d’économie et de politique. Passionnant. Un retour aux sources depuis dix ans qui ne me laisse plus le choix sinon de renverser la table . Maxime : « Ne jamais lâcher l’affaire. »