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Fête ou Guerre? Le mortier, un (feu d’) artifice sémantique

Fête ou Guerre? Le mortier, un (feu d’) artifice sémantique

Le langage médiatique utilise très fréquemment l’expression « tir de mortier » pour désigner des feux d’artifice envoyés, souvent à tir tendu, sur les forces d’ordre. Il s’agit d’un abus de langage qui fait passer du champ sémantique de la fête à celui de la guerre. Une arnaque des sens qui cherche à légitimer la violence policière, dont les meurtres.

Depuis des années, et bien sûr plus singulièrement la dernière semaine, si l’on en croit les titres des journaux, les policiers sont attaqués par des tirs de « mortier ». Selon le dictionnaire (NRTL), un mortier est une « Pièce d’artillerie à tube court, à fort calibre, destinée à envoyer des bombes, des grenades, des obus. ». Ainsi, l’utilisation de mortier consiste à envoyer des projectiles à fort potentiel mortel ou à létalité étendue. Le mortier est un synonyme de canon, dont il se distingue éventuellement par un manque de précision de tir. Nous sommes donc clairement dans le champ sémantique de la guerre.
Autrement dit, à lire, écouter, voir la plupart des médias, des jeunes gens sont, en France, en capacité de se procurer des canons, des armes fortement létales, en grande quantité. Diantre ! Que c’est inquiétant.

Des feux d’artifice

Alors, maintenant, qu’utilise réellement les mouvement sociaux violents depuis plusieurs années? Des feux d’artifice. Chacun admettra qu’il y a une différence entre un feu d’artifice et un canon. Le degré de létalité d’un feu d’artifice est extrêmement réduit (comparé à des armes). La plupart des cas de mort sont le fait d’accidents lors de fêtes. Donc, sauf à mettre sur le même plan une fête qui tourne au tragique et une guerre, il n’y a pas lieu d’utiliser le terme de « mortier » pour désigner un feu d’artifice. Cette arnaque sémantique est une insulte à tous les peuples bombardés.

Le feu d’artifice s’inscrit, lui, dans le champ sémantique de la fête. Il faudrait donc, peut-être, sortir du registre de la guerre pour celui de la fête quand il y a utilisation de feu d’artifice. On nous rétorquera immédiatement qu’il y a des policiers blessés par des tirs de feu d’artifice. Nous connaissons la fragilité de ces personnes (les policiers habillés en Robocop) qui ont une très forte propension à se déclarer blessées, même quand leurs médecins n’y voient pas matière à ITT.

La dangerosité (réduite) de la fête

Mais, quand bien même, rappelons qu’il y a aussi toujours des blessés dans les grandes fêtes. C’est malheureux mais les grandes fêtes populaires impliquent des blessés. Habituellement, on accorde plus ou moins d’importance à ces blessés au regard de l’ampleur de la fête et la gravité des blessures constatées. Ainsi, par exemple, en Argentine, l’immense fête qui a suivi la victoire son équipe de foot au dernier mondial n’a provoqué que quelques blessés, alors que tout le monde s’attendait à plusieurs morts au vu de la folie festive collective. Ces quelques blessés -dont un grave- n’ont donc pratiquement pas occupé l’attention médiatique, puisqu’ils apparaissaient comme un impondérable de la fête.

Artefacts à létalité réduite contre armes à la létalité minorée

Faut-il pour autant dénier tout caractère d’affrontement aux tirs de feu d’artifice sur les policiers? Bien sûr que non. Ce serait tout aussi ridicule (et faux) que confondre feu d’artifice et mortier. On peut cependant concevoir un aspect festif à cet affrontement, dont l’utilisation d’un artefact destiné (lors de sa fabrication) à la fête est le signe.

D’autre part, côté policier, il faut évidement rappeler que les projectiles qu’ils envoient ne sont en rien festifs. Eux, oui, ont un degré de létalité bien plus important. Les morts, cette fois, sont toujours plus nombreux.

Mortier d’artifice et chandelle romaine, les mots adéquats

Il ne s’agit pas pour autant de dénier la dangerosité des objets, que les juristes français appellent des « armes par destination » (qui peut se référer à n’importe quel objet en fonction de son usage, plus précisément de l’intention avec lequel il est utilisé -ce qui est pour le moins problématique, l’intentionnalité étant généralement jugé par le policier, le procureur et le juge-).
En l’occurrence, nous parlons de « chandelles romaines » (le feu d’artifice) que certains professionnels de la pyrotechnie appellent « mortier d’artifice ». Voilà la brèche sémantique dans laquelle s’est engouffré le langage médiatique. Celui-ci n’a gardé que le terme « mortier », lui enlevant son substantif « artifice », le faisant ainsi entrer dans le champ guerrier, en lui retirant son caractère festif.
D’un glissement l’autre, cette sémantique permet ensuite d’affirmer qu’une bonne partie des protestataires de notre pays n’a qu’une intention: tuer du flic. Ce qui, bien entendu, légitime le flic à tuer, cette fois réellement.

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