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Les Beaux-Arts sont dans la rue

Les Beaux-Arts sont dans la rue

Une brèche a été ouverte hier après-midi par les étudiants des Beaux-Arts qui nous ont gratifié d’une démonstration d’art brut, sauvage en accouchant à travers les grandes portes de la sainte institution (comme on sort d’un utérus) d’un carnaval burlesque, géant, une folie tout à la fois violente et bon enfant.

C’est toujours en mai que les choses sérieuses adviennent. Ils étaient quelques dizaines hier rue Bonaparte à tenter de rompre cette spirale addictive qui n’en finit pas de nous soumettre. Tout le monde l’a bien compris, quelque chose ne tourne pas rond dans notre système démocratique. Les réactions sont pourtant encore timides, convenues, défilés, violence, déclarations. Rien de très sérieux qui puisse ouvrir la voie à de nouvelles manières de vivre ensemble. Nous sommes dans le temps de la réaction plutôt que celui de l’action.

Quelque chose pourtant s’est passé dans ce quartier endormi du centre de Paris. Une jeunesse avide de justice et de sens qui hurlait sa colère et sa honte en tapant sur des bidons, en arborant des masques de joie de lumière . Nous refusons votre violence et votre indécence nous disaient-ils avec impertinence. Le contraste était frappant, révélateur de ce monde à deux vitesses qui arrive à son apocalypse. D’un côté l’art brut africain, victime directe de la colonisation, mort et sans âme, privé de sa substance et protégé par des vitres blindées dans les galeries inaccessibles de la rue Bonaparte et de la rue des Beaux-Arts. De l’autre un art brut vivant fait de carton-pâte, de morceaux de bois, de vieux vêtements qui vibre sous l’intensité brute et vitale de jeunes femmes et de jeunes gens en quête d’un nouveau monde. Leurs créations seront-t-elle elle-même un jour momifiées comme le sont celles de leurs ancêtres africains ?

A travers leur carnaval, les Beaux-Arts nous disent brutalement et spontanément que les changements ne viendront pas comme en mai 68 des intellectuels. Preuve en est, le centre de la révolte était à cette époque à la Sorbonne. Ces changements émergeront avec les artistes qui possèdent cette capacité unique d’hybridation. L’image, le son, les signes, les mots, les mélanges, les réseaux, des lois et des interactions différentes. Une forme de nouvelle dimension de l’intelligence et de la création qui répond à cette période riche et complexe dans laquelle nous entrons. Si leur approche est collective, les artistes possèdent aujourd’hui les clés des nouveaux bouleversements.

Trois petits tours et puis s’en vont. Ce carnaval portait les prémisses d’un vrai changement. Mais cette balade dans le quartier latin a besoin d’une suite, absolument. Laquelle ? L’occupation des Beaux-Arts. Construire un vrai lieu de contestation du pouvoir comme la Sorbonne le fut en 68. Un lieu de croisement ou viennent se confronter tous les arts, de l’opéra aux arts de la rue, spectacles, débats, échanges, croisements, échanges entre toute la planète qui comme en France est en effervescence. Le lieu de naissance d’une intelligence collective mondiale qui ouvre enfin de nouveaux horizons face à l’arbitraire verticale et dépassé de nos dirigeants. Le temps passe, les luttes s’intensifient, la colère monte, mais nous resterons les victimes des « vieux singes » de la politique si nous restons dans la colère et le ressentiment. Il est temps, sans céder à l’isolement, de reprendre la main sur un monde que l’on sait cupide et défaillant. Construisons de vrais rapports de force qui nous feront basculer dans une nouvelle réalité du monde. Où est la clé ? Au-delà des milliards de petits « egos », trouver les ressorts d’une nouvelle intelligence collective animée à la fois par le chaos, la rigueur et l’exigence. On s’y met ?

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