Dix ans à chercher sur la planète quel est le…
A peine passé le seuil, on s’arrête net. Qui est à l’origine de ce chaos sorti tout droit d’un film d’Emir Kusturica, d’Alice au pays des merveilles ou de l’univers fantastique de Claude Ponti ? On esquisse quelques pas sur un passage en bois tremblant, effrayé par l’idée d’une chute entre un amas de gravois phosphorescents, une porte symbolique dans un assemblage de pièces métalliques, et le Grand Maître est là qui s’élance, enjoué, la main franchement tendue, la tignasse et la barbe en bataille, sans capuche, les yeux cachés derrière des lunettes fumées.

C’est vous ?
Oui, c’est moi.
Bisk anime les espaces que l’homme abandonne, les structures que l’on croyait vides il les prend et les transforme, fait pousser la magie entre ce qui semblait éteint, en tas. C’est un vrai cadeau qu’il nous offre. Les premiers pas à ses côtés sont de grandes enjambées, c’est large, généreux et enjoué. Bisk est inspiré, dévoré par la passion de créer. Un Gargantua contemporain. Il vous embarque dans son « tour » sans fausse modestie, c’est moi l’auteur, l’acteur, le créateur, le tenancier de ce bordel sublime. D’abord on est perdu, le regard ne sait plus où se fixer. Attention ! Excès d’informations, nous dit-il. Les paroles qu’il distille en rafale en rajoutent une tartine. Tu vois là, et là, là aussi, etc. C’est grandiose.

Lorsque le regard enfin se pose après cinq bonnes minutes, on percute qu’il y a plusieurs niveaux de lecture dans son œuvre. La première est architecturale. On entre dans un espace entre ciel et terre qui fait du bien, pourquoi ? On n’en sait rien. Chez lui on ne part pas de rien, on ne fait pas table rase pour imposer son rythme, ses idées, on part de ce que l’homme a laissé après l’exploitation d’un lieu. Principalement après qu’il l’a cassé en y laissant tous ses déchets. On s’empare d’un passé qui semblerait à chacun sans intérêt mais dont Bisk, et lui seul, perçoit la beauté. Amas de gravois, portes cassées, murs déchirés, cloisons crevées, tout est prétexte à faire jaillir la beauté. Il travaille comme un aventurier, un Jason qui cherche sa toison. Pots de peinture, fer à souder, pinceaux, brosses, pelle, pioche. Il œuvre comme on fait un périple, à grandes enjambées, sans retenue, sans filtre, la création est brute.

Peinture jetée, coups de rouleau, projections, marteau, pelle, burin. Il fait jaillir les formes entre les bidons d’huile écrasés, les tas de pierre blanchâtres, les briques cassées, les pièces métalliques, les piles de déchets. Son regard est un point de vue, une ligne de fuite qui cerne les quelques détails qui vont faire d’un amas de fenêtres cassées un monstre aux yeux tracés en trois coups de bombe, un bateau au creux d’une vague qui balaye l’immeuble jusqu’aux tuiles du toit, des compositions hétéroclites aux forces mystérieuses, affiches bleues arrachées dans le métro, morceaux de polyester, toiles qui ondulent dans la brise. Ça coule, ça dégouline, ça vibre. Ses compositions sont des voyages qui font de vous un Ulysse dans des mers de décombres. On respire, on souffle, on prend de la hauteur avec au fond de soi le rire de celui qui a quitté la terre pour s’installer au deuxième niveau. Là où le cœur est en paix. Chacune de ses œuvres est une rébellion. Contre qui, contre quoi ? Ça relève sans doute de la métaphysique. Quel pied !

En deuxième lecture, on quitte l’architecture, le volume pour entrer dans le détail, la peinture, la sculpture. Les références à l’histoire de l’art assaillent, on y côtoie les fantômes de l’art Brut, Émile Ratier, Jean Dubuffet, André Robillard, le facteur Cheval, il y a partout du Picasso qui traîne, c’est un nouveau voyage qui s’affiche. On prend le temps encore de digérer et on s’accroupit, on reste aspiré par un détail, on s’enfonce dans des œuvres qui arpentent le temps comme celles suspendues dans son musée, là c’est du Kadinski, plus loin une photo de sa copine rhabillée en néopunk avec une multitude d’objets du quotidien qui pendent, tintent, coulent, dégoulinent. Femme-spectacle qui défile. On découvre la chambre de l’artiste comme on découvre celle de Van Gogh au détour d’une couleur, d’un couloir. Devait pas y faire chaud les nuits d’hiver. On revient trois fois au même endroit pour tenter de comprendre. Il n’y a rien à comprendre mon gars, c’est de l’art. On ne sait pas. C’est juste là et ça fait du bien.

Bisk est un artiste du XXIe siècle. Un pur produit de l’avenir qui s’appuie sur une longue tradition artistique. Une construction philosophique qui se cache sous des tonnes de gravats en leur donnant ce sens particulier. De celui qui ne se dit pas mais qui transpire. Bisk est un artiste à suivre et à soutenir si l’on veut bénéficier de cette chance, de le voir encore s’épanouir et transformer, pourquoi pas, la terre entière en une scène délirante et féérique.
Foncez voir son expo/monde, « Le terrain vague de Bisk », au 15, rue Jules-Ferry, Ivry-sur-Seine.
Dix ans à chercher sur la planète quel est le meilleur endroit pour vivre et comment. Quelques dommages collatéraux et à trente ans un changement de cap qui m’a fait comprendre le dessous des cartes en termes d’économie et de politique. Passionnant. Un retour aux sources depuis dix ans qui ne me laisse plus le choix sinon de renverser la table . Maxime : « Ne jamais lâcher l’affaire. »