Pour ce nouvel épisode de « Terrain vague », direction Nancy. A l’occasion d’un concert à l’Autre Canal, scène musicale incontournable nancéienne, le duo de rappeurs a accepté de nous parler de sa ville, de sa musique et des engagements qu’il tient au quotidien. Interview.
Arto : Cotchei et Lobo, vous êtes tous les deux des rappeurs nancéiens. Même si vous avez des morceaux en solo, vous formez vraiment un duo. Est-ce que vous pourriez un peu parler de votre rencontre ?
Cotchei : Alors, on s’est rencontrés plusieurs fois avec Lobo. Déjà, nous on vient pas loin de Pompey, de Champigneulles. Mes parents finissaient leurs études à Champigneulles, donc ils ont une maison là-bas. Ma prof de CE1, c’était la mère de Lobo. Déjà, sans le faire exprès, il y a eu un lien d’écriture parce qu’en CE1 t’apprends à lire et écrire. Sa mère m’a appris difficilement à lire et écrire, et j’ai encore des difficultés [rires]. On s’est vus parce qu’on était dans la même école. Après on s’est revus au foot, en même temps. Et après c’est au lycée. Moi je suis parti à 10 ans de Champigneulles, qui est vraiment à 1km au nord de Nancy. Et on s’est retrouvés au lycée. J’ai commencé à rapper fort au lycée, Lobo aussi. On avait un copain en commun qui a dit à Lobo « Ahh, je connais quelqu’un, tu vas voir il est chaud ». Il a fait le lien et, le jour où on s’est vu, on se connaissait déjà. Et là, ça a bien matché tout simplement. Il a fallu plusieurs fois pour que ça matche [rires].
Arto : Dans le rap français, est-ce qu’il y a une influence locale avec des rappeurs du coin qui vous ont inspiré ? Ou c’est plus large que ça ?
Cotchei : Pour ma part, c’est très large. Des rappeurs du coin, pas tant que ça parce qu’il y en a pas eu beaucoup qui ont été mis en lumière ici. Il y en a un qui est de la même génération que nous, c’est Kikesa. Je pense que s’il nous a influencé dans une démarche, c’est qu’il a réussi à être productif et à sortir du lot. Son rap, en tant que tel, pas forcément. Je trouve qu’il rappe bien mais c’est pas le rap que j’aime écouter.
Lobo : Et puis il a trop notre âge pour nous influencer en quelque sorte. Et les vieux de Nancy, il y en a pas énormément, et c’est plus la fierté qu’on a eu : « Waw ils sont là, ils existent, trop fiers que des mecs rappent bien dans notre ville ». Sinon, influence rap de toute la France, de la Belgique. Un moment on se disait beaucoup, il y a quelques années, qu’on aimait bien le rap belge parce que ça nous faisait penser un peu au rap de chez nous, parce que c’est du rap un peu gris. Toute l’école de La Smala, quand Caballero et JeanJass ils commençaient également, tous ces gars-là on s’est dits : ils racontent leur vie, c’est les mêmes kiffs qu’ils ont, les mêmes influences, donc ça nous parlait. Pour ma part, j’aime autant IAM que Hocus Pocus de Nantes, que plein de choses différentes, pour les influences anciennes. Nancy nous a pas inspiré trop à ce niveau.
c’est peut-être un peu plus dur parce qu’il y a moins de scènes ici, mais à la fois c’est plus simple de mettre ton nom sur la carte
Lobo EL
Arto : Justement, Nancy est pas forcément la ville la plus connue pour le rap. Est-ce que vous avez trouvé ça plus dur de vous imposer dans le milieu en venant d’ici ?
Cotchei : Nan, moi je pense pas. Faut juste être deter…
Lobo : …Il y a pas d’excuses. Que tu viennes de n’importe où, de Paris ou des Vosges. Si t’es bon, tu réussiras peut-être. Et si réussis pas, c’est pas parce qu’on te boycotte ou que t’es de province. C’est parce que t’as pas réussi à aligner toutes les planètes et à développer tous les pôles, c’est-à-dire le pôle musical, le pôle de l’entourage, le pôle de la communication, etc. Donc c’est peut-être un peu plus dur parce qu’il y a moins de scènes ici, mais à la fois c’est plus simple de mettre ton nom sur la carte, donc nan pour moi ça a pas tant d’influence que ça.
Cotchei : Nan ça a pas d’influence, après nous c’est pas tant notre objectif d’être connus. Si déjà il y a un bouche-à-oreille qui se fait en Lorraine… parce que nous on est très local. Moi je pense que j’ai déjà percé à ma petite échelle. Quand des rappeurs me donnaient le micro et que maintenant je suis à leur place à l’Autre Canal, déjà je pense vraiment que mes objectifs sont accomplis… que j’ai envie de réaccomplir à chaque fois parce que chaque jour il faut se prouver que t’as envie de vivre.
Arto : Vous faites partie des membres fondateurs du collectif « Les gars du coin ». Pourquoi cette initiative ? Vous aviez envie de mettre en avant des mecs de la région ?
Cotchei : Oui et non. On avait un groupe qui s’appelle Saloon.
Lobo : C’est ça, on était 5.
Cotchei : On allait beaucoup à Strasbourg et, à un moment, on a eu une scène ouverte à Strasbourg qui nous a super inspiré, qui s’appelait le Freestyle Mondays et qui existe encore.
Lobo : C’étaient des open mics avec des musiciens.
Cotchei : Nous, on a reproduit ça en fait, on avait toute la structure là-bas. On se buttait là-bas et on s’est dit faut faire la même chose à Nancy juste. En faisant ces open mics et ces scènes ouvertes qu’on faisait le lundi ou le mardi, ça a ramené plein de monde. Le bar était blindé. On avait déjà une petite aura grâce aux premières parties qu’on commençait à faire. Le rap renaissait un peu aussi de ses cendres.
Lobo : C’est ça, 2013-2014 même 2015 il y avait un renouveau. C’était un peu après les Nekfeu et tout.
Cotchei : On faisait toutes les premières parties des rappeurs, plus ou moins, et on avait plein de rappeurs autour de nous, mais qui faisaient pas encore de concerts. Avec ces scènes ouvertes, ça nous a tous lié. Je pense que ça a créé un truc très social aussi dans notre rap. Ces soirées-là ont ouvert le Saloon aux Gars du Coin, donc le Saloon a disparu pour Les Gars du Coin.
Lobo : C’est né des soirées et après on a essayé de se chauffer à faire les concerts les plus carrés possible, passer d’une première partie à 3-4, en passer à 11-12-13. Mais c’était à géométrie très variable : « Ok qui rappe ce soir ? Qui a des morceaux ? Qui a des feats ? ». Et ça a duré un petit boût de temps comme ça. C’était plus simple au final d’être à deux. C’était aussi le début de la vingtaine, chacun à des idées, des rêves plein la tête. Là on est plus fin de vingtaine, c’est plus la vie qui te rattrape. Il y en a qui ont choisi de faire du tatoo, il y en a qui bosse à l’usine, il y en a qui font encore du rap. Chacun est parti dans son petit coin.
Arto : Vous êtes très impliqué auprès de la jeunesse du coin, je pense en particulier aux ateliers d’écriture que vous organisez ensemble. Vous pouvez en parler un peu plus ?
Cotchei : De base, on a tous les deux continué à faire du rap mais comme un sport du dimanche, c’est-à-dire que pendant qu’on faisait nos études, d’un coup le week-end, une fois par mois, ou deux fois par mois ça dépendait, on avait des concerts. Mais on faisait soit des études ou soit on travaillait. Moi j’ai fait des études d’agriculture. Lobo il était plus à la fac de lettres. Il a commencé à travailler, à être bibliothécaire. Moi j’ai commencé à travailler en tant que paysan/agriculteur. J’ai kiffé à mort mais d’un coup il y a eu le confinement. On commençait à se dire avec Lobo avant le confinement : « Pourquoi pas une année on essaye ». On commençait déjà à avoir des ateliers grâce aux open mics qu’on faisait, puis à nos relations et à notre manière d’être tout simplement. Dans notre manière d’aborder le rap, il y avait déjà un côté très social.
Lobo : Avec Les Gars du Coin, on avait déjà fait quelques ateliers en prison, dans des MJC, des trucs comme ça. Ça a aidé. Comme il disait dans les « Machines à rappeurs », c’est le nom d’événement qu’on organisait, il y avait des gens qui venaient nous voir des fois, du genre : « Je suis prof là, venez dans ma classe ». Du coup, on a bien étoffé un répertoire sans le savoir et, au moment du confinement, on s’est dit : « Ok, essayons de vivre de ça ».
Cotchei : Et ça a marché direct. On a envoyé 100 mails chacun, plus ou moins. On a dû faire ça en mai-juin, c’était encore le confinement un peu. Moi j’ai travaillé en tant que maraicher un peu. Puis en septembre, quand ça a repris, ça a pop direct. J’avais trois taffs : j’étais pion dans un collège, j’étais maraicher en même temps et j’avais le taff là avec Lobo.
J’envisage toujours de voyager, d’aller partout dans le monde. Mais nous ici, on a une base ultra solide
Cotchei
Arto : Il y a vraiment une volonté de s’engager auprès de la jeunesse nancéienne ou c’est plus dans un esprit de rencontre au sens large du terme ?
Lobo : C’est un peu mélange. Je pense qu’on a pas de volonté de mentor, d’encadrer la jeunesse, où qu’elle soit.
Cotchei : Moi j’ai fait animateur professionnel, donc il y a un truc quand même. Peut-être que j’aurai jamais d’enfant dans ma vie mais c’est un peu comme si il y avait plein de ptits frères, de ptites sœurs. Je kiffe ce côté-là. Mais là où il a raison, c’est qu’il faut pas en faire une généralité. Le but c’est plus de voyager grâce à l’écriture. En fait, on a pu vivre de notre rap au moment où vivre de son art c’était un peu compliqué parce qu’on œuvrait dans les lycées et qu’avec le confinement, il y avait plus de concert, il y avait plus rien. Du coup on s’est rendus compte avec Lobo qu’on était plus ou moins privilégiés parce qu’on pouvait travailler, faire des ateliers d’écriture, rapper un peu, même si c’est pas que ça, c’est aussi de la pédagogie et autre. Comme c’étaient nos premiers pas professionnels en tant qu’autoentrepreneurs dans les actions culturelles, ça nous a identifié comme rappeurs qui peuvent aller dans les écoles, rappeurs un peu institutionnels qui font un peu profs. Du coup, il y a eu un peu un bouche-à-oreille entre les profs, la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles). Même dans l’Autre Canal ici, ils se sont passés le mot qui font qu’il y a eu une belle synergie et qu’on est beaucoup dans les lycées aujourd’hui.
Lobo : Moi je pense que c’est plus un mélange à la fois de curiosité et d’égoïsme. On est super curieux dans la vie, on a envie de rencontrer tout le monde : le mec qui parle tout seul dans le tram, j’ai envie de connaître sa vie. Parce que ça m’intéresse les humains et je trouve ça inspirant pour ensuite écrire des trucs dans mes propres textes. Ça c’est un peu le côté égoïste, même si les deux sont liés. C’est-à-dire que je fais les ateliers pour les jeunes, et pour les vieux puisque des fois on est dans des Ehpad, parce que je pense vraiment ça va leur apporter quelque chose, une petite bouffée d’air, une autre manière de voir les choses. On a un côté un peu « enfants bien éduqués », on arrive à poser des mots calmement, on arrive à des fois à être des échappatoires pour certaines personnes. Et je me sens vraiment utile dans ce que je fais, sinon je le ferais pas.
Arto : Pour finir, comment vous envisagez l’avenir ? Vous comptez rester à Nancy ou vous envisagez bouger un jour ?
Cotchei : J’envisage toujours de voyager, d’aller partout dans le monde. Mais nous ici, on a une base ultra solide.
Lobo : On est trop bien installés professionnellement dans nos relations, et amicales aussi. Ça fait 27-28 ans qu’on habite là. C’est dur de partir ailleurs. Il faut repartir à zéro. A la fois c’est bien, on peut faire un truc qu’on a jamais fait, changer de nom, arriver avec une nouvelle identité. Alors qu’ici, on est catalogués un peu. Mais tu sais ce que tu perds et tu sais pas ce que tu gagnes. Et puis on est bien à Nancy.