pixel
Now Reading
Hip-Hop Cinéma : Episode #16 – Nagisa Oshima, le criminel !

Hip-Hop Cinéma : Episode #16 – Nagisa Oshima, le criminel !

Le grand public et certains médias ne retiennent que la réputation sulfureuse de la filmographie de Nagisa Oshima. Alors, je préfère parler de la pulsion créatrice initiale de ce grand cinéaste criminel.

Pour le reste, je vous envoie à son wikipedia.

J’avais fini mon droit, pris une année sabbatique, réalisé mon premier court-métrage. Mais je n’avais aucune connexion avec le milieu audiovisuel. Pour rentrer en DEA de cinéma, comme proposition de mémoire de fin d’année, j’ai pondu 10 pages sur le « cinéma criminel » de Nagisa Oshima. Bien sur je n’ai jamais rédigé ce mémoire. J’ai préféré présenter le sujet de mon long-métrage que j’écrivais alors.

J’ai, bien sur également, égaré mes 10 pages lors des différents crashes de mes ordinateurs. Ce qui m’oblige de partir from scratch, pour la chronique d’aujourd’hui.

Nagisa Oshima [大島 渚] à la Cinémathèque Française (1986)

Derrière la réputation sulfureuse

Nagisa Oshima identifie la réalisation d’un film à un crime nécessaire, perpétré à l’encontre d’une société trop sûre de ses acquis.

Enfant de la guerre, il est né le 31 mars 1932, à Kyoto. Orphelin de père à 6 ans, il a grandi avec sa mère et sa sœur. Étudiant, il se dirige vers le droit et la politique et sort diplômé en 1954. Puis il passe un concours pour entrer comme assistant réalisation au Studio Shochiku, une des majors japonaises.

En 1959, la Shochiku lui permet de réaliser ses premiers films. Mais elle se débarrasse de lui, l’année suivante, lorsqu’il commet « Nuit et brouillard au Japon »

Avec un titre hommage au film « Nuit et brouillard » d’Alain Resnais, le réalisateur de 28 ans traite un sujet politique d’actualité : le renouvellement du traité de sécurité entre Américains et Japonais. La signature de ce traité, en 1950, avait provoqué de violentes manifestations. Le film met en scène les échecs et les déchirements de la génération d’après-guerre. Aux yeux de la Shochiku, c’est un brûlot politique. Elle le retire de l’affiche quatre jours après sa sortie.

« Nuit et brouillard au Japon » de Nagisa Oshima, 1960

Ce film devient la pierre angulaire du cinéma criminel de Nagisa Oshima. Il révèle sa vision nihiliste et son manque de foi dans la politique dans sa capacité à changer le monde.

Le cinéma criminel de Nagisa Oshima

Pour le cinéaste, le désenchantement vient de ce sentiment de l’absurde, où la politique finit par se fondre avec les pulsions individuelles.

Quand j’étais jeune, j’étais en colère contre le cinéma japonais, contre le système.

Nagisa Oshima

Nagisa Oshima prend le tournant des années 1960, comme la Nouvelle Vague le fait en France. Tenté par les idéaux révolutionnaires, il prend le pouls de la société et réalise des films engagés et fauchés. Le Japon sort de l’après-guerre, la jeunesse n’a pas connu directement les conflits et les catastrophes. Cette jeunesse en plein questionnement, en quête de nouvelles aspirations et d’idéaux habite ses films et forme l’essence de son cinéma.

Un style Nagisa Oshima

L’oeil de Nagisa Oshima est moins limpide et lisse que celui de ces prédécesseurs. Sa caméra est plus vive, elle s’immerge parmi les gens, au coeur du réel comme simple témoin. Ses personnages portent leur mortalité tout en étant incroyablement vivants.

Le cinéaste est dans la rue sans chercher à faire de belles images léchées du chaos urbain ou de la misère. Il saisit le monde brutalement, nerveusement, tout en capturant des lumières magnifiques.

Dans le cinéma de Nagisa Oshima le désespoir, l’incommunicabilité et le nihilisme ne riment pas avec une mise en scène lente et contemplative. Il opte pour un rythme animé, brutal, sans apitoiement pour personne, pas de longs regards ou de longues expressions chargées de signifiant.

Une critique sociale radicale

Nagisa Oshima, dans ses films, critique la société mais de manière radicale. Sa critique attaque également les intentions et les moyens mis en œuvre par ses protagonistes.

Contes cruels de la jeunesse de Nagisa Oshima, 1959

Le réalisateur dresse le constat d’une barrière totalement infranchissable entre les classes sociales. Il conteste l’idée que la simple bonne volonté viendrait à bout des différences et de la misère.

Dans « Une ville d’amour et d’espoir », sorti en 1959, une jeune fille riche aimerait aider un jeune garçon pauvre. Du haut de sa maison familiale qui surplombe la ville, elle voit le reste du monde au travers de son prisme déformé. La vision d’un humanisme un peu naïf fantasmant la réalité des miséreux. Ce jeune garçon, soutien de sa mère malade et d’une soeur plus jeune a trouvé l’arnaque parfaite. Il vend des pigeons qui reviennent chez lui. Avec ce film, Nagisa Oshima dépeint une misère sociale qui pousse le héros à duper les gens. Il n’est pas une victime pure et sans tache à sauver. De lui même il trouve des moyens de survie pour contre-balancer le déséquilibre social.

En 1960, dans « Contes cruels de la jeunesse », Nagisa Oshima oppose les perception du monde de deux sœurs, celui de la guerre avec celui de l’après-guerre. Ce petit écart des années entre soeurs, si infime aux yeux de la grande Histoire, est pour le cinéaste absolument capital. L’ainée représente une société japonaise à la moral rigide mais aux actions molles face à une cadette, symbole de cette jeunesse qui compte aller au bout de soi.

Les amants criminels, Makoto et Kyoshi prennent leur destin en main. Le monde, la société sont niés. Ils sont emportés par un vertige immense d’expériences individuelles extrêmes. Sans se le dire, ces jeunes recherchent la mort.

En 1971, « La Cérémonie » poursuit cette œuvre de remise en cause radicale, sous couvert d’une chronique familiale. En choisissant de suivre une famille japonaise typique de la période d’après-guerre, le réalisateur veut faire ressortir les tabous enfouis dans la conscience de chaque membre. Cette famille ne va exister qu’à travers ces régulières cérémonies qui viennent rythmer la vie et chaque cérémonie vient creuser un peu plus le fossé entre ces générations. Nagisa Oshima fait de « La Cérémonie » la preuve d’un héritage raté, d’une incompréhension générale d’un Japon encore troublé.

La cérémonie de Nagisa Oshima, 1971

Derrière chaque film de Nagisa Oshima, même ceux dont le sujet semble loin de cette préoccupation, la critique radicale de la société est présente comme un fil rouge tendu prêt à se casser, symbole de la fracture sociale, mais également mentale qui obsède le cinéaste criminel.

View Comments (0)

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Scroll To Top