La réforme qui rassemble contre elle tous ceux qui tiennent à leur retraite aurait-elle le même effet dans le rap français ? C’est une question que personne ne se pose, il est donc urgent d’y répondre.
« Tu sais, je traîne avec beaucoup d’enculés, j’en suis un moi-même et il n’y a presque que ça autour de moi. Sur cette grève, les manifs et tout, personne n’a râlé, même quand ça leur compliquait la vie. C’est vraiment des mecs qui pensent qu’à leur gueule en temps normal, mais là ils étaient ok ». C’est à partir de cette réflexion d’un vendeur de formations trading qu’est né cet article. Il est vrai que la mobilisation et le rejet général du report de l’âge légal de départ en retraite battent des records historiques dans l’hexagone. Sachant que le rap français est un milieu d’enculés par excellence, autant vérifier si ce constat s’y applique de la même façon. Ou si comme pour d’autres sujets, la déception serait au rendez-vous. Évidemment il ne s’agit pas de convoquer des rappeurs pour leur extorquer un avis sur une réforme du gouvernement. Ni de scruter une quelconque réaction sur leurs réseaux sociaux -n’en demandons pas trop non plus. Simplement, en observant les lyrics des années 90 jusqu’à aujourd’hui, on peut se faire une petite idée de leur opinion sur le sujet. Pour une fois, bonne surprise : il y a quasi-unanimité sur la question.

PAS DE RETRAITE DU TOUT
« Il parait qu’on ne doit pas compter sur la retraite » découvrait Dezef dans J’aurais pu. Difficile de lui donner tort. L’info circule depuis pas mal de temps dans le rap français et chacun en tire les conclusions qui s’imposent. Quelques uns visent des solutions parallèles : « je sais que je toucherai pas la retraite donc surveillez coffres et recettes » (Joe Lucazz – Monsieur Joe), « personne compte sur la retraite donc ça charbonne, ça coffre à gauche » (Gaye Cissokho – 3 secondes pour me racheter). D’autres plaignent les vieux qui ont vu leur niveau de vie se dégrader à vitesse grand V : « pas de retraite, ma grand-mère fait des ménages au black » (VII – L’ange en décomposition). Ce qui permet des petites astuces pour la jeune génération : « frérot y’a plus de retraite, arrête d’arracher des vieilles » (Kery James – A la Ideal J).
Toujours dans un souci de pédagogie, Jul précise « si demain j’arrête, j’aurai pas de chômage, j’aurai pas de retraite » (C’est maintenant), un sort partagé par tous ceux qui vivent en dehors du salariat classique. Même son de cloche pour Greg Frite sur Enjailler : « je travaille depuis tant d’années et j’aurai pas de retraite comme toi, j’y suis condamné ». Plus lapidaire, S.Pri Noir déclarait « sur la retraite on s’assoit » dans 60G et ça explique que beaucoup aient mal au cul.
On en place une pour ceux qui de toute façon n’ont pas le choix vu les conditions de travail avec Mokobe sur Ca passe tout seul (« tu travailles au black, t’as pas de papiers, la retraite c’est mort ») et les rentrées d’argent hasardeuse avec Ben PLG sur Mon Frérot (« doute, bénéfice, dette, j’aurai sûrement pas de retraite »).
Concernant les employés classiques, ce n’est pas mieux selon Fabe, « on cotisera pour la retraite qu’on n’a pas » (Le bonheur). Dans Le clin d’œil du borgne, Lucio Bukowski sortait la notice détaillée pour les plus sceptiques : « l’avenir appartient à l’argent de poche de l’actionnaire donc respire un grand coup, ta retraite c’est comme YouPorn, tu la toucheras jamais ». Bien vu Lucio, bien vu.

CA ARRIVE TROP TARD
Sur le principe, la retraite permet à quelqu’un de profiter de son temps après des années de boulot. Sauf que sur une vie entière le ratio retraite vs travail est aussi équilibré que le match Australie-Samoa, et ça c’est pas jojo. C’est pourquoi Greg Frite insiste sur la chance de ceux qui peuvent s’épanouir pendant leur vie active : « psartek si tu fais ce que t’aimes, que t’attends plus ta retraite » (Psartek). Même utopie chez 47Ter : « si ça faisait la paire, nos rêves dans la vraie vie, on ferait ce qu’on veut sans attendre la retraite pour le faire » (Maintenant).
Kery, lui, souligne l’aliénation de ce type de routine et l’absurdité de son but final : « métro, boulot, dodo, appellent-ils ça avoir une vie stable ? C’est ce style de vie qui leurs donnent cet air détestable, froid jusqu’à l’effroi, d’hiver en été, mais en qui ces gens ont foi ? Ils courent alors que l’état ne fait que reculer leurs retraites » (Sans abri).
Mais ce qui revient plus souvent, c’est l’association automatique de la retraite avec les problèmes de santé. Fatalement, c’est compliqué de profiter de ses loisirs quand tout fout le camp dans ton corps. Jugez plutôt ce joyeux florilège : « j’ai des rides et des poches sous les yeux, les cheveux poivres et sels et l’arthrose m’en veut, à chaque check-up ça ne va pas mieux, j’ai la Carte Vermeille et la retraite, je suis vieux » (MC Solaar – Sonotone), « bientôt le cancer de la prostate, dépôt de bilan, maison de retraite » (Swift Guad – J’ai vieilli) « je vivote de petits boulots comme la plupart, pour la retraite et le cancer, on s’entendra plus tard » (Lucio Bukowski – Le chant du pendu), « ah, elle sera belle ma retraite, 60 balais, criblé de dettes, sans compter les maux de tête, si on y arrive peut-être » (Le Bavar – Aucun conseil), « ils privatisent des emplois, ils t’annonceront la retraite en même temps qu’un cancer généralisé » (Brav – Revolving).
Le tout avait déjà été parfaitement synthétisé par Akhenaton dans Il n’y a pas d’autre alternative : « la retraite est bien loin et après c’est la mort ». C’était en 1990. On pourrait croire que le constat d’AKH est le plus triste de la liste mais pas vraiment. Deen avec « la retraite pas avant 60 ans » sur Blue Magic et « les politiciens nous parlent en chinois, taffer 42 piges pour la retraite, quelle charmante histoire ! » de Katana sur Anticonstitutionnel restent les plus déprimants. Au moment où ils ont écrit, leurs chiffres étaient déjà cauchemardesques. La réforme actuelle, c’est minimum 43 annuités et une retraite à 64 ans pour les plus chanceux.

MORT AVANT LA RETRAITE
La suite logique du constat précédent, c’est bien foutu quand même. D’abord l’idée qu’on atteindra tous l’âge de la retraite ne repose sur aucune garantie, comme le souligne le philosophe Maska sur Rien n’t’appartient : « on s’imagine à la retraite bien qu’on puisse partir à tout âge ». Une sorte d’update du classique « certains se demandent de quoi la journée suivante sera faite mais personne ne pense au fait qu’il peut finir 6 pieds sous terre avant de kiffer sa putain de retraite » de Weedy sur A tous mes frères.
Puis vient le gros du peloton, qui illustre à sa façon les études expliquant que « le risque de mort avant la retraite est bien plus élevé chez les hommes pauvres ». « Dans 10 ou 15 piges je suis mort ou en retraite, 6 pieds sous terre, la vie, ça vaut cher » (Niro – Live in the ghetto), « je m’embarque dans des drôles de sales affaires, je sais même pas si je verrai la retraite » (La Fouine – Si maman si), « génération crash test, je suis pas trop sûr du projet, ni qu’on arrivera à la retraite » (Veerus – Crimes Censés)… Et encore ce sont les plus optimistes, ils ne font « que » s’interroger sur leurs chances d’être encore en vie. D’autres ont largement dépassé ce stade : « je toucherai ma retraite au cimetière, genre c’est pas trop tôt » (Taipan – Plus rien à foutre), « j’en vois crever d’un cancer à quelques mois de la retraite » (Paco – Mode avion), « on voit des gens taffer pour crever à 3 mois de la retraite » (Davodka – Aller Simple). Furax Barbarossa ajoute son grain de sel, « qui t’es pour me dire de taffer comme une laitière, j’aurai pas assez d’heures pour la retraite que je serai déjà au cimetière » (Demain c’est là), a priori il n’était pas fan des pubs télé de La Laitière. Ajoutons aussi le tranchant « on repousse l’âge de la retraite, le taf fatigue et tue nos mères, trop tard, bientôt le seul pot de départ sera l’urne funéraire » signé Oli sur Entourage remix. Oui, le Oli de Big Flo et Oli. Si ça c’est pas une preuve de l’union sacrée contre cette réforme on ne sait pas ce qu’il vous faut.
N’oublions pas Fuzati qui rappelle que même les cadres sup peuvent se faire léser avec un grand B : « à bac+5 je me ferai sûrement 5000€ par mois en ne dormant plus et cumulant 35 stages à la fois, souvent je me dis que ma retraite est comme la femme de ma vie, je risque d’être mort avant de la toucher » (Perspectives). Une consolation comme une autre.

REVENDIQUER PLUS
La base. Actuellement les gens luttent pour simplement conserver ce qui leur reste d’acquis sociaux, mais les rappeurs rêvent parfois plus grand. La fast life est incompatible avec ces conneries comme le précise Hayce Lemsi : « la retraite à 65 pour une jeunesse qui rêve de rouler en A45 bien avant 45 » (Gennaro). Effectivement, ça ne peut pas marcher. En conséquence, nous voilà partis pour les enchères.
Alpha Wann démarre : « on me demandait « qu’est-ce tu feras grand », moi je répondais « retraite et vacances« » (Philly Flingo). Malheureusement sans chiffre cela ne peut être comptabilisé. Fianso est plus concret : « 40 la retraite, je veux plus faire du riz » (XIII), pas très sympa pour le pilaf le maffé ou le cantonais mais le riz est ici associé à la pauvreté donc ça passe. Hatik égalise : « la retraite à 40, c’est pas impossible » (Colère). Alpha revient épaulé de Doums pour relancer « fuck les 35 heures, on veut la retraite à 35 ans » (Jeunes retraités). En bon fan de Gomorra, Sch attend au tournant et joue la carte de l’espérance de vie : « on veut la retraite à 30 ans, ici on crève tôt » (Rien de lavable). Secondé par Lord Esperanza : « on pourra jamais abandonner, retraite à 30 ans sous trente degrés » (Abandonner).
Ils se feront malgré tout surprendre par Da Uzi en freestyle (« j’ai frôlé la mort, je rêve de retraite à 28 ans »), lui-même dépassé par Beeby et son audacieux « fuck taffer 35 heures, retraite 25 ans » sur En léger. Nous avons un gagnant, mais… oui, c’est bel et bien la 3e tentative qui sera la bonne pour Alpha Wann. Il remporte le gros lot avec le radical « nique se lever très tôt, j’aurais kiffé naître retraité » (Parle-moi de bénef). La retraite à un jour, imbattable. Ne jamais rien lâcher.

LES PROCHES
Deux grands axes dans les regards exposés ici : les parents et les enfants. Pour ces derniers, il n’y a aucune confiance dans le futur et encore moins en l’Etat français, d’où des mesures de précaution : « j’assure la retraite de mon fils, je veux pas le laisser vendre du cannabis, jamais » (Niska – Sous Contrôle), « je le fais pour mes gosses, pas de retraite assurée » (Niro – Contact).
Du côté des parents, même chose, personne ne s’imagine qu’ils seront gâtés niveau pension. Du coup, même réaction : « je pense à ma daronne, bientôt à la retraite, sa pension, c’est ma parole » (Beeby – Morningstar). Il y a aussi ceux qui observent désabusés, la fin de vie de leurs aïeux : « marre de voir les parents se casser le dos pour une vieille retraite de merde » (Di-Meh – Masta), « nos mères atteignent la retraite avec l’arthrite » (Nessbeal – Tout c’qu’on connaît).
Certains n’ont aucune illusion sur quoi que ce soit (ni le système ni les rapports humains en tant que tels) mais estiment qu’il faut faire le minimum : « viens pas me voir si tu délaisses tes rentp’s ou perds tes repères, ouais refré, pépère tant que tu remplis la caisse de retraite » (Vald – Lune), « je cotise juste pour la retraite de mes géniteurs » (Ekoué – 335 heures). Le choc des générations était mis en avant par Ikbal sur Mon univers : « ça deale sous les yeux du daron à la retraite, fini la traite à l’usine » où l’illicite est un moindre mal face à l’exploitation des anciens.

LES ORDURES
C’est plus rare, mais l’évocation de la retraite cible parfois ceux qui en profitent sur le dos des autres. Et dans la bouche d’un rappeur, ça ne désigne pas Gégé du PMU, plutôt le profil inverse. Ainsi El Matador soulignait la malhonnêteté de certains discours sur Polémiquement Incorrect : « ils assimilent les Roumains avec la mendicité, oublient les parachutes dorés, retraite anticipée ». Pareil pour Rockin’Squat et son « ils nous ont carotte, ils nous ont carotte, ça cumule les retraites, appartements de fonction » sur Fondation.
Mention spéciale pour Jarod sur Building. Le bonhomme donne un conseil aussi utile à l’artiste en maison de disque qu’à la majeure partie des travailleurs : « c’est pas nouveau qu’ils se font une retraite en nous bernant, gava, lis ton putain de contrat avant de le signer. »
On finit sur Niro qui apporte une précision essentielle, « une salope ça reste une salope même à la retraite ». On ne sait pas bien de qui il parle mais le morceau s’appelle Va te faire enculer, donc a priori lui il sait.

LES ANCIENS COMBATTANTS
A de rares exceptions, les rappeurs français n’ont pas directement connu la guerre. Mais ils ont des grands-parents, arrière-parents, des proches ou plus simplement savent prendre en compte la réalité historique. Forcément, le système de retraite des soldats ne les convainc que modérément.
Si Tunisiano est le plus généraliste avec « la guerre laisse des traces et une retraite à 3000 francs et comme remerciement la gratitude du gouvernement » sur Pourquoi, d’autres sont plus précis. Sans surprise c’est la question des tirailleurs qui revient. L’absence totale de paiement et de considération après avoir servi de chair à canon a marqué les esprits. Mais happy end, les 22 tirailleurs encore vivants sur le sol français auront enfin l’incroyable privilège de pouvoir finir leurs jours au pays tout en touchant le minimum vieillesse. Parce qu’avant s’ils rentraient, on leur coupait les vivres. Vous voyez l’expression « arriver 50 ans après la guerre » pour se moquer d’un retardataire ? C’est ça, mais dans la vraie vie ; ils ont dû attendre 2023 pour avoir l’autorisation ; il ne faut pas être trop pressé, ou décédé.
Cela n’a pas échappé à Mokobe sur Parole de Soninké (« et les tirailleurs sénégalais ? Tu te rappelles quand ils ont défendu la France ? Qu’ils étaient au premier rang, même pas la retraite ! ») ni Medine sur Table d’écoute (« le tirailleur national ancien combattant, désormais à la retraite, voudrait bien changer sa croix de guerre en pension nette »).
Falcko, lui, joue l’échange de bons procédés sur Charbon : « quand les tirailleurs auront le statut de retraité, peut-être que je commencerai à payer la RATP ». C’est le plus magnanime car même en fraudant les transports toute une vie, on serait encore loin du compte.

PARTIR EN BEAUTÉ
Si la retraite n’est qu’un mirage, il faut assurer ses arrières au maximum. Comme le clame Rocca : « je prendrai ma retraite dès que j’aurai mes millions » (BZR). Mentalité partagée par Alkpote sur Amour (« je prendrai pas ma retraite tant que j’aurai pas la recette ») et Shay sur Ma Retraite (« je calcule ma retraite, j’encaisse les gros chèques, vis au jour le jour ou jusqu’au jour où je serai refaite »). D’après Josman c’est la solution ultime pour réussir son existence : « faire blé avant la retraite, prendre cette putain de vie en levrette » (Bambi).
C’est là qu’intervient le fantasme du gros coup avant de pouvoir se retirer : « braco, fourgon, kalash, roquette, recette, retraite » (La Fouine – Fête des mères). Joli cursus s’il en est, bien que peu partagé sur LinkedIn.