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Sous le coup de la fatigue, valdinguer le monde à Macron

Sous le coup de la fatigue, valdinguer le monde à Macron

Le vilain Damanin a encore frappé. Il y a quelque jours il expliquait les violences policières par le « coup de la fatigue » de ses agents. À ce stade, ce n’est plus de la fatigue mais de l’épuisement. Il se pourrait bien cependant que, nous aussi, soyons las. Et que, sous le coup de la fatigue, on renverse le gouvernement, les institutions, la constitution. Que le monde à Macron valdingue enfin.

La liberté de circuler

Exténués, les pauvres, ils embarquent à tour de bras des femmes et des hommes qui ont l’outrecuidance d’exercer leur citoyenneté. Oui, je sais, les flics, trop fatigués, se sont endormis durant le cours sur les libertés fondamentales qui garantissent au peuple, et à chacun de ses membres, le droit de s’exprimer librement.

Trop fatigués aussi, les flics et les « responsables » politiques, pour saisir que la liberté de circuler est un droit inaliénable dans n’importe quel régime qui se réclame du libéralisme politique. Droit que tous les États « démocratiques », sans exception, violent impunément en criminalisant des personnes pour le seul fait de migrer, malgré l’article de 13 de la Déclaration universelle des droits humains de l’ONU.

Le racisme

Au bord de l’épuisement, les chers poussins se traînent dans les banlieues depuis que celles-ci existent. Les fatigués structurels ont pour mission harassante de maintenir les travailleurs pauvres, puis leurs enfants précaires, dans les quartiers qui leurs sont réservés. Il ne faudrait tout de même pas que les beaux centre-villes soient envahis de noirs et arabes (sauf les cuisines des restaurants de ces mêmes centre-villes).

Car, oui, petit détail qui échappe à la vue décidément ensommeillée de nos chers agents de police qui n’ont pas assez dormi: ces travailleurs pauvres sont essentiellement noirs et arabes. Mais, ne vous inquiétez pas, c’est vraiment que la fatigue qui a imposé cette gestion raciste des grandes villes. La pigmentation de la peau échappe au regard éreinté et, par l’effet d’une distraction liée au sommeil, la police maintient cet ordre raciste. Il ne faut surtout pas y voir à mal, un peu de repos et c’en est fini du racisme structurel de la police.

Matraquage

Exténués, nos petits poulets mignons se mettent à courir partout et matraquent à tour de bras. Alors là, surtout ne pas croire qu’il s’agit d’ordres qui sont donnés dans ce sens. C’est juste un manque de dodo. Car l’agent qui n’a pas fait dodo croit rêver quand il court. Dans ce rêve épique, il sort sa matraque et, armé de ce seul bâton, se défend de monstres qui l’attaquent de toutes parts.

Car, oui, l’agent-qui-n’a-pas-fait-dodo a peur des monstres cachés sous le lit. Courageux mais pas téméraire avec sa matraque, il rejoint les rêves de tous ses petits camarades. C’est ainsi que, dans un rêve éveillé collectif, des centaines d’agents défoncent les têtes des manifestants. Ils leur écrasent la gueule avec leurs bottes. Les rouent de coups de matraque. Leur balancent des LBD dans la tronche. Bombes, lacrymos et tutti quanti dans un festival onirique du rêve préfectoral. Il ne s’agit pas du tout d’une politique délibérée du gouvernement. Juste une mauvaise gestion du sommeil. Ça arrive à tout le monde de mal dormir.

Fatigue encore, lorsque les gendarmes interdisent au SAMU d’intervenir pour secourir des personnes blessées en urgence absolue, ce samedi à Sainte-Soline. Le commandement des forces de l’Ordre a pas assez dormi la veille. Il a donc oublié qu’empêcher de secourir c’est tuer. Aucune volonté de voir des morts, bien sûr, juste une petite migraine liée à la fatigue. Blesser puis laisser mourir.

Falsification d’État

Harassés, nos grands enquêteurs falsifient en 2016 toutes les preuves pour trouver des coupables. Heureusement pour les flics, les juges aussi sont éreintés, ainsi que l’IGPN (la « police des polices », aussi appelé la « salle de la sieste permanente »). Alors, saisi en 2021, ils prennent beaucoup, beaucoup, de temps pour enquêter sur ces policiers épuisés falsificateurs.

Le Canard Enchaîné, 22 mars 2023, p.3

Ils ont mis bien moins de temps pour enfermer plusieurs jeunes hommes des années durant jusqu’à ceux-ci puissent dire la vérité. Que voulez-vous, des petits coups de zèle au milieu de grandes fatigues, ça existe. Par hasard, ça tombe juste sur des jeunes hommes racisés. Rien à voir avec du racisme.

Allez savoir si les policiers falsificateurs continuent à exercer en toute impunité. En tout cas, ils ont reçu le soutien de leur hiérarchie. Le directeur de la Police Nationale, après avoir eu connaissance des falsifications réalisés par ses agents: « Je les défends et je les défendrai ». Ma foi, on a aussi le droit de faire une petite sieste de temps en temps. Trois ou quatre ans enfermés à un âge clef dans la vie d’une personne pour rien… et bien, quoi? On s’en fout. On veut dormir. Ils sont fatigants ces jeunes gens à réclamer justice. Et, comme on l’aura compris, chez la police et la Justice, la fatigue est consubstantielle. Ne rajoutons pas de la fatigue à la fatigue.

La fatigue change de camp

En vérité, c’est nous qui sommes fatigués. Las de répéter que non, « le monopole de l’usage de la force légitime » n’a jamais voulu dire que les agents de l’Etat ont un blanc-seing pour cogner sur tout ce qui bouge. Le sinistre l’Intérieur se croit malin en citant Max Weber. Encore faudrait-il qu’il y comprenne quelque chose.

Puis, en fait, nous sommes fatigués d’entendre des mensonges à longueur de journée. Ce même Darmanin affirme qu’il est interdit de participer à une manifestation non-déclarée. C’est faux. A l’image de ce gouvernement qui si, par inadvertance, dirait quelque chose de vrai, personne ne le croirait tant il sert de boussole inversée.

C’est nous qui sommes fatigués de tous ces politiciens, journalistes, juges, etc. Croire systématiquement plus un flic qu’un pékin. Les multiples mensonges, petits et gros, qu’assènent des policiers, que ce soit sur le nombre de personnes manifestantes, sur leurs crimes ou sur les attaques qu’ils reçoivent. Ces gens sont des menteurs patentés. Or, la parole d’un flic vaut toujours plus que celle d’une personne. Nous sommes fatigués de cet état des choses.

Humphrey Bogart et Lauren Bacall, Le Grand Sommeil (1946) d’Howard Hawks

Que leur ferons nous sous le coup de la fatigue?

De là à penser qu’il se pourrait bien que « sous le coup de la fatigue », on se mette à renverser ce gouvernement, cette constitution, sa police et toutes ses institutions, il y a un rêve-éveillé, un rêve qui ne demande qu’à se matérialiser.

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