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Quand les trailers de blockbusters s’approprient des tubes de rap et R&B vintage

Quand les trailers de blockbusters s’approprient des tubes de rap et R&B vintage

Depuis quelques années les blockbusters font la part belle aux reprises de tubes classiques de rap et de R&B dans leurs trailers. Un phénomène pas piqué des hannetons qui semble se multiplier dernièrement.

Attention, on ne parle pas d’une simple utilisation d’un tube de rap ou R&B. Ca pour le coup, ça existe depuis longtemps. Des longs-métrages qui font leurs emplettes en se payant une B.O sur mesure avec tous les hitmakers du moment, c’est presque devenu un passage obligé. Même ceux qui n’utilisent pas de nouveaux morceaux sont légion. Pour prendre trois registres distincts, C’est la fin, Deadpool et Le Loup de Wall Street ont tous eu un trailer illustré par un hit rappé mais la démarche était différente. Black Skinhead était sorti la même année que le Scorsese ; quant à Watchu want pour C’est la fin et X gon’ give it to ya pour Deadpool, ils n’étaient pas retouchés mais réutilisés tels quels. La bande-annonce laissait suffisamment de place pour avoir un petit couloir où un bout entier de couplet et/ou de refrain s’intercalait, et basta.

La nouveauté ici tient sur deux particularités. D’abord, le choix qui se porte uniquement sur des tubes vieux de minimum 10 ans (ça peut monter à 40) par rapport à la sortie du film. Ensuite, le tube en question est toujours réinterprété. Soit à travers des remix ou des reprises, soit charcuté pour mieux fusionner avec une musique de montage traditionnel. Pourtant, l’industrie du cinéma US n’est pas connue pour être spécialement portée sur la nostalgie du rap des années 90. Alors qu’est-ce qui expliquerait cette progressive évolution ? C’est finalement assez logique. On dit souvent que le rap est la nouvelle pop, or la pop a toujours été la musique privilégiée des trailers. Accessible, connue de tous et surtout : plus un titre est vieux, moins il est risqué puisqu’il a déjà fait ses preuves. Une sorte d’emballage conçu pour rendre la promo vidéo la plus confortable possible pour le plus grand nombre de spectateurs potentiels.

Le phénomène était presque inévitable mais ne se fait pas sans quelques sorties de route, forcément. Opportunisme, cynisme mais aussi parfois utilisation cohérente et sincère : sélection de 10 cas assez représentatifs.

La blanchisserie : 50 NUANCES DE GREY

L’année : 2015

Le morceau d’origine : Beyonce & Jay-Z – Crazy in love (2003)

La version retravaillée : Beyonce – Crazy in love remix (2015)

Pourquoi ? Malgré sa piètre qualité (selon la légende le film réussit l’exploit d’être encore plus nul que le livre), le 1er volet de la trilogie des 50 Nuances était présenté comme un événement mondial à sa sortie. Ne serait-ce que par rapport au nombre de lecteurs, la prod a mis les petits plats dans les grands. La première bande-annonce se devait de marquer le coup. C’est pourquoi niveau bande-son, ils ont choisi le tube planétaire Crazy in love, parce que l’amour à la folie correspondait un peu à leur histoire. Mais il fallait que ce soit une exclu. Aussi plutôt que de reprendre ou ajouter des variations au son original, 50 Nuances de Grey est allé à la source. Ils ont demandé directement à Beyonce de faire un remix qui correspondrait plus à l’ambiance du film. Comprenez par là une version gentrifiée du son. Interprétation plus douce, changement d’instru avec moins de cuivres pour laisser place à un moment piano-voix et bien sûr Jay-Z a été intégralement dégagé. Les coups de fouet ok mais le rap c’est non.

Le pragmatisme : TOMB RAIDER

L’année : 2018

Le morceau d’origine : Destiny’s Child – Survivor (2001)

La version retravaillée : 2WEI featuring Edda Hayes – Survivor (cover) (2018)

Pourquoi ? Survivor est plutôt adapté à l’héroïne. Lara Croft est une aventurière qui échappe à des coups de feu, lames, pièges fatals, animaux sauvages, chutes mortelles, on en passe. Les paroles autour du combat et de la survie (« je suis une survivante, je vais m’en sortir, je m’arrête jamais », etc) chanté par des femmes, c’était du tout bon. Même souci que pour 50 Nuances, il leur fallait une nouvelle version du morceau. Or les Destiny’s Child n’allaient pas se reformer pour un film, fût-il un chef d’œuvre (ce n’est pas le cas). C’est logiquement une reprise par d’autres artistes qui a été choisie. Pour correspondre au cliché que les rappeurs blancs combattent tous les jours, le travail de 2WEI et Edda Hayes a globalement consisté à faire une version orchestrale et beaucoup moins rythmée du tube original. De manière pratique, les instants de calme voire de quasi-silence permettent au trailer de caser ses moments de dialogue et d’action.

L’hommage : US

L’année : 2019

Le morceau d’origine : Luniz – I got 5 on it (1995)

La version retravaillée : Michael Abels & Luniz featuring Michael Marshall – I Got 5 On It (Tethered Mix from US)

Pourquoi ? Parce que Jordan Peele. Contrairement à d’autres de la liste, le cinéaste est réellement fan du morceau d’origine. Ce n’est pas juste une astuce pour illustrer ses images. C’est la seule musique de la sélection à avoir une utilisation intradiégétique : les personnages écoutent réellement ce morceau dans leur voiture. Ce n’est pas un montage spécial trailer, la scène est identique dans Us. La version volontairement déformée pour un rendu angoissant devient ensuite un des thèmes principaux du film. Côté business, la démarche reste une équation qui n’inclut pas les artistes originaux ; le studio négocie avec la boîte qui possède les droits du morceau et basta. Cependant ils ont tenu à créditer tout le monde lorsqu’ils ont inclus la nouvelle version sur leur B.O officielle composée par Michael Abels. Pour la petite histoire, le producteur du son de base s’était lui-même déclaré agréablement surpris de son utilisation. Clou du spectacle, Luniz a pu surfer sur ce renouveau inattendu en créant eux-même un remix inspiré de la version du film, intitulée I Got 5 On Us. La boucle est bouclée.

Le forceur : SHAZAM

L’année : 2019

Le morceau d’origine : Eminem – My name is (1999)

La version retravaillée : c’est « juste » une version épique et amputée de l’originale, au point que le trailer avait été simultanément posté sur la chaîne youtube d’Eminem.

Pourquoi ? En réalité il y a un peu d’effort même si on reste sur du forcing. Shazam est un superhéros qui a pour particularité d’être en réalité un ado. S’il veut se transformer, pour avoir le corps, le costume et les pouvoirs, il doit dire tout haut le nom « Shazam ». D’où le rapport avec « my name is ». Et le ton plutôt ironique qu’on peut éventuellement leur reconnaître comme point commun, même si l’humour d’Eminem est autrement plus sombre et provoc. Certes c’est un rapprochement de boomer assumé, mais il y a une connexion logique.

La discrétion : CANDYMAN

L’année : 2021

Le morceau d’origine : Destiny’s Child – Say my name (1999)

La version retravaillée : non-officielle

Pourquoi ? Parce que Jordan Peele, encore. Il ne réalise pas mais co-scénarise et produit le film. C’est à peu près la même logique que l’utilisation du classique I got 5 on it dans Us. La version Candyman de Say my name est plus aérienne, plus dépouillée, tout ça dans le but évident de la rendre inquiétante. Cependant c’est avant tout le film de Nia DaCosta, qui n’a pas voulu forcer le trait : le son n’est pas dans le film, où ce serait trop grossier. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec la saga, Candyman est un tueur surnaturel qui apparaît lorsque l’on prononce son nom 5 fois devant un miroir. Sur un trailer ça marche, mais balancer un gros « say my name, say my name » à chaque fois, bof bof niveau subtilité.

Le récidiviste : SHAZAM 2

L’année : 2023

Le morceau d’origine : Eminem – Business (2002)

La version retravaillée : c’est « juste » une version épique et amputée de l’originale. Par contre ce film intéresse très peu de gens puisqu’entre temps tout le monde a vu ce que valait le premier. Le trailer n’a donc pas été posté sur la chaîne youtube d’Eminem.

Pourquoi ? Parce qu’on n’est pas chez des perfectionnistes. On ne change pas une équipe qui gagne, la formule a marché 4 ans avant ; aucune raison de s’emmerder. On reprend tranquillement un autre tube d’Eminem et peu importe si cette fois les lyrics sont complètement déconnectés des images, on s’arrange comme on peut. « It’s showtime » pour les moments d’action, « let’s get down to business » quand les méchantes apparaissent et fatalement « introducing the star of our show, his name is… » juste avant que les héros crient « Shazam ». En toute logique Bryan du service marketing a réalisé que « marshall » et « shazam » étaient facilement interchangeables phonétiquement et voilà le résultat. Ah, et les « hell yeah ! » de Dre font évidemment partie de tout ce qui a été coupé.

L’année : 2023

Le morceau d’origine : Drake – Started from the bottom (2013)

La version retravaillée : non officielle

Pourquoi ? A ce stade, la question serait plutôt « pourquoi pas ». Comme pour Em, le son a droit à un lifting niveau instru pour faire plus superhéroïque. La différence principale avec le premier film c’est que maintenant Shazam partage ses super pouvoirs avec la Shazam Family. Ils forment donc une équipe de superhéros. Et ils sont tous des orphelins adoptés. C’est à ce moment là que Willy (le collègue de Bryan) a eu lui aussi son illumination. Les personnages principaux sont partis de rien : « started from the bottom now we here ». Le héros débarque entouré de sa famille : « started from the bottom now my whole team here ». Faut pas s’emmerder dans la vie.

Le hors-sujet : TRANSFORMERS – RISE OF THE BEASTS

L’année : 2023

Le morceau d’origine : Biggie – Juicy (1994)

La version retravaillée : non-officielle pour le moment

Pourquoi ? Sur le papier il n’y a aucun foutu rapport à part la présence d’un gorille robot, mais ce serait plus insultant qu’autre chose. Si on tient à tout prix à trouver un rapprochement, disons que la franchise Transformers a toujours eu du mal à être prise au sérieux, dans la mesure où ses héros sont des robots/extraterrestres géants qui parlent et se changent en voitures. Le dernier volet de la saga de Michael Bay date de 2017, la tentative de reboot Bumblebee de l’année suivante. Ça n’a pas pris, d’où les 5 ans écoulés depuis. Rise of the beasts a pour mission de relancer la franchise en marquant sa différence. Il n’y a pas de blagues de cul dans cette bande-annonce et les jeunes héros parlent suffisamment peu pour ne pas passer pour des idiots. Le choix d’une nouvelle version de Juicy pourrait se justifier par le côté à l’ancienne vu qu’on ressuscite une saga, et le choix d’un classique connu de tous apporte une certaine légitimité. En revanche c’est un des changements d’instru les plus radicaux de la liste. Le beat d’origine n’a strictement rien qui s’accorde avec les images, ni avec un film d’action. Il est clair que des gens très sérieux se sont réunis, ont cherché un tube qui symboliserait la renaissance d’une saga, n’ont rien trouvé et ont opté pour Juicy uniquement en retenant quelques lyrics. « It was all a dream » n’a rien à foutre là mais prend sens quand le mec découvre la voiture et caresse le volant, il deviendra donc quasiment le slogan du film qui revient juste avant ce qui ressemble à l’affrontement final. Le culte « and if you don’t know, now you know » (le « nigga » a été viré) correspond à la 1ère transformation sous les yeux ébahis du héros et revient pendant l’affichage final du titre. Le reste est placé au pifomètre : « spread love, it’s the Brooklyn way » illustre une course-poursuite qui part en couilles (qu’on espère tournée proche de Brooklyn du coup) et « I’m blowin’ up like you thought I would, call the crib, same number, same hood, it’s all good » arrive pendant des affrontements sur la route entre gentils et méchants Transformers à coups d’explosions. Sans doute que quelqu’un a juste retenu « blowin » et n’a pas spécialement compris le reste de la phrase. Michael Bay n’est peut-être plus de la partie, mais le battage de couilles, lui, ne quittera jamais Transformers.

Le bourrin : FAST X

L’année : 2023

Le morceau d’origine : Bones Thugz N Harmony & Biggie – Notorious Thugs (1997)

La version retravaillée : non officielle pour l’instant mais il y a un twist, cf ci-dessous

Pourquoi ? Depuis le début, la saga Fast & Furious a toujours été liée au rap et au R&B, que ce soit dans les choix de bande-son (le plus appuyé étant See you again pour l’hommage à Paul Walker), l’esthétique façon clip ou les artistes présents au casting, du simple guest (Cardi B, Ja Rule) au rôle récurrent (Ludacris). D’habitude, les films commandent des morceaux originaux, et la B.O du prochain ne fera pas exception. Sauf que pour le trailer du petit nouveau, c’est différent. Fast X marque le début de la fin de la franchise ; le film divisé en 2 volumes est présenté comme le dernier. La team F&F n’étant pas particulièrement portée sur la finesse, il leur fallait 3 éléments essentiels : un côté tristounet, un côté épique et un lien avec les bagnoles. Notorious Thugs a été l’élu. Le fait qu’il s’agisse d’un titre posthume de B.I.G et l’ambiance générale du morceau remplissent le premier critère. L’instru est complètement réorchestrée (guitare électrique, violons, la totale) pour accentuer à peu près tous les moments-clés de la vidéo. Enfin, pour le rapport avec l’aspect vroum-vroum et boum-boum, c’est simple. La phrase « let’s ride » revient en boucle, « armed and dangerous, ain’t too many can bang with us » arrive pour les bastons et fusillades, avec en renfort l’inévitable « what you gonna do, fight or run ? ». Les enfants sont formidables. Au moment où sont écrites ces lignes il est trop tôt pour savoir si une partie de cette version sera présente dans le film lui-même. En revanche, ils ont dévoilé une autre reprise présente sur la B.O, signée YG, Ty Dolla $ign et Lambo4oe, intitulée simplement Let’s Ride.

Le troll : CRAZY BEAR

L’année : 2023

Le morceau d’origine : Grandmaster Melle Mel ‎- White Lines (Don’t Don’t Do It) (1983)

La version retravaillée : non officielle pour l’instant mais il y a un happy end, cf ci-dessous

Pourquoi ? Crazy Bear a pour titre original Cocaine Bear. Tiré d’une histoire vraie exagérément déformée pour les besoins du film, il raconte les déboires de personnages aux prises avec un ours devenu complètement fou suite à sa consommation de plusieurs pains de cocaïne tombés du ciel. Le pitch est déjà très con mais le choix de morceau est à la hauteur. White Lines ainsi que sa version longue sont initialement des classiques du rap US qui, derrière la sonorité festive, mettent en garde contre l’usage de la coke en soirée. Pour la petite histoire, le premier jet ne comportait pas les « don’t do it », rajoutés plus tard pour rendre le son plus radio-friendly via un message de prévention. Une version officieuse dira même que le morceau ne dénonçait rien du tout et se contentait de faire l’apologie de ce qu’Emmanuel Macron appellerait un lundi soir comme un autre. Dans tous les cas passer une version boostée de White Lines dans ce trailer relève du troll absolu. Ce serait comme si Nuage de fumée passait pendant la bande-annonce de La Beuze. Ne garder que les « white lines » sans les « don’t do it », utiliser les « higher baby, get higher baby » pour illustrer les moments de bravoure d’un ours sous coke qui grimpe un arbre ou poursuit une ambulance face à des victimes hystériques, ça se pose là. Mais ce n’est pas tout. Le film a dévoilé sa bande-son avec un remix officiel de White lines, plus précisément le « Cocaine Bear Remix ». Forcément. Et c’est bien entendu Pusha T qui s’y colle, relayant les images du trailer dans une vidéo officielle. Sachant qu’à l’époque du groupe The Clipse, Pusha rejetait l’étiquette de « cocaine rapper » considérant que c’était trop réducteur, de l’eau a coulé sous les ponts. De l’eau et de la poudre. Ses couplets enchaînent les jeux de mot et métaphores les plus cramés possibles, multiplient les clins d’œil amusés à l’histoire du film, bref c’est sa récréation et ça fait chaud au cœur. D’autant que Melle Mel l’a félicité pour sa reprise.

La nostalgie : NINJA TURTLES – TEENAGE YEARS

L’année : 2023

Le morceau d’origine : A Tribe Called Quest – Can I Kick It ? (1990)

La version retravaillée : quasiment identique à l’originale mais c’est la partie qui sample Lou Reed qui est mise en boucle pour ne garder que le côté le plus tranquille du morceau.

Pourquoi ? Plusieurs raisons. D’abord il y a le fait que les Tortues Ninja sont indissociables de New York ET des années 80-90. Invoquer un classique d’A Tribe Called Quest (originaires du Queens) tombe sous le sens. Ensuite, vous commencez à connaître la technique par cœur : une phrase emblématique est retenue et bastonnée plusieurs fois car elle est jugée parfaitement à l’image du film. Ici c’est sans surprise « can I kick it ». Enfin, il y a l’élément Seth Rogen, ado dans les années 90 et indécrottable fan de rap. C’est sa boîte qui produit le film, ce qui explique à la fois la direction artistique choisie, quelques éléments de casting (Post Malone double Ray Fillet tandis qu’Ice Cube se charge de Superfly) et sûrement aussi la chanson du trailer.

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