Véritable pionnière dans la représentation des communautés noires à l’écran, Euzhan Palcy a été la première réalisatrice noire produite par un studio d’Hollywood.
Une vocation précoce
Euzhan Palcy nait en 1958 au Gros-Morne, en Martinique. Elle est passionnée de cinéma. C’est d’ailleurs à 10 ans qu’elle a décidé de devenir réalisatrice.
Je ne me suis jamais posé de question concernant ma couleur ou mon sexe en faisant ce métier parce que quand j’ai décidé de le faire, je devais avoir entre 10 et 12 ans.
Euzhan Palcy
En 1975, la télévision martiniquaise lui donne sa première chance. Euzhan Palcy a 17 ans et elle réalise un téléfilm, La Messagère.
Après ce premier film, Euzhan Palcy s’envole pour Paris, encouragée par son père dans son amour du cinéma. Il lui recommande aussi de s’inscrire à l’université. Écoutant les conseils paternels, elle décroche, à la Sorbonne, une maîtrise de théâtre et de littérature, un diplôme d’art et d’archéologie. Elle suit également des cours sur l’Opéra. Elle étudie en plus à l’École Louis-Lumière et se spécialise en tant que directeur de la photographie.
En 1983, Euzhan Palcy n’a que 25 ans quand elle réalise Rue Cases-Nègres. Il s’agit de l’adaptation du roman autobiographique éponyme de Joseph Zobel, paru en 1950. La Rue Cases-Nègres raconte l’histoire d’un enfant martiniquais dans les années 1930. Il découvre l’école tandis que sa grand-mère travaille dans des plantations de canne à sucre.
À la lecture de ce livre, à 14 ans, Euzhan Palcy est frappée par cette histoire qui se déroule en Martinique dans les années 1930. L’environnement et ses personnages lui semblent si familier.
En 1983, Euzhan Placy a tenu sa promesse d’adolescente. Rue Cases-Nègres est en salle et fait un triomphe. Le 3 mars 1984, la réalisatrice devient la première femme cinéaste à recevoir le César de la meilleure première œuvre.
Ce film social, poétique autant que politique, reçoit 17 prix internationaux. Dont le Lion d’Argent du meilleur premier film et le prix d’Interprétation féminine à la Mostra de Venise.
L’appel Outre-Atlantique
Le succès de Rue Cases-Nègres traverse l’Atlantique et lui ouvre les portes d’Hollywood. En 1989, Euzhan Palcy réalise Une Saison blanche et sèche. Un film sur l’apartheid en Afrique du Sud qui dénonce la ségrégation. Elle devient la première réalisatrice noire à être produite par un grand studio hollywoodien : la Metro Goldwyn Maye. Elle est également la première femme à diriger l’icône du cinéma Marlon Brando. Une Saison blanche et sèche lui permet d’être nommée aux Oscars en 1990.
Dans les films américains, Euzhan Palcy remarque que les comédiens noirs interprètent toujours les rôles les plus dégradants, les plus ridicules. Par ailleurs, dans les films occidentaux, l’image des Noir.e.s ne varie guère de celle des américains.
Cette constante la choque et la révolte.
Ainsi, Euzhan Palcy décide de rentrer en France et de se replonger dans la réalité de la vie martiniquaise. Ce retour aux sources prend forme à travers la création de Simeon, en 1992. C’est un conte fantastique et musical antillais. Entre la vie et la mort, le fantôme d’un musicien, poète est captif d’une jeune fille dont il ne peut se délivrer qu’en accomplissant une bonne action. Kassav’ compose la musique du film pour en faire une œuvre complète et fondamentalement antillaise.
Le cinéma est une arme très puissante pour détruire ou pour au contraire anoblir, émanciper, permettre d’évoluer et de découvrir des choses. C’est ce cinéma qui m’intéresse.
Euzhan Palcy
Un combat harassant
En 1975, arrivant à Paris, avec ses rêves et ses désirs, Euzhan Palcy prend conscience qu’elle est une femme et noire.
La chose qui m’a poussée à devenir cinéaste, c’est simplement le constat que ce septième art que j’aimais tant, que je chérissais tant, et qui m’émerveillait tant, me blessait en même temps. Il me renvoyait à moi, femme noire, négresse de Martinique comme j’ai pour habitude de dire, une image très dévalorisante
Euzhan Palcy
Cette représentation dégradante des noir.e.s, EuzhanPalcy la bat en brèche dans ses films. Car elle sent que c’est de son devoir de cinéaste et sa priorité.
En 1994, Euzhan Palcy passe plusieurs mois à saisir le quotidien d’Aimé Césaire, homme de lettres et politique. Afin de faire une série de trois films documentaires : Aimé Césaire, une voix pour l’histoire.
En 1998, avec Le Combat de Ruby Bridges, Euzhan Palcy adapte au cinéma l’histoire vraie de Rudy Bridges. Elle est la première enfant africaine américaine à intégrer une école pour enfants blancs en 1960, à l’époque où la ségrégation scolaire prend officiellement fin aux États-Unis.
Immédiatement après ce film, Euzhan Palcy travaille pendant trois ans sur ce qui aurait été le premier dessin animé noir produit par un studio américain. L’action se déroule en Afrique de l’Ouest 2000 ans avant J.-C. Mais au moment de finaliser son projet, la Fox perd son studio d’animation et met un terme à la réalisation en cours.
Un combat essouflant
Peu importe, Euzhan Palcy a des dizaines d’idées et encore plus d’envies. En 2001, elle réalise The Killing Yard, un drame inédit sur la mutinerie de la prison d’Attica, qui a eu lieu 30 ans auparavant dans l’État de New York.

Au cours de l’année 2005, grâce au documentaire Parcours de dissidents, la cinéaste fait un hommage aux oublis de l’Histoire. Elle donne la parole aux Antillais de la Seconde Guerre mondiale qui ont combattu pour la liberté aux côtés du général de Gaulle. Levant le voile sur une mémoire occultée, Euzhan Palcy réalise un film émouvant et authentique. Une manière de rappeler aux jeunes générations le sacrifice des anciens pour la liberté de tous.
En 2008, elle réalise L’Ami fondamental qui met en lumière l’amitié exceptionnelle entre Léopold Sédar Senghor, homme de lettres et homme d’Etat, et Aimé Césaire.
Euzhan Palcy réalise des films jusqu’en 2010. Elle est auréolée de nombreux prix et reconnaissances, donc le dernier : un Oscar d’honneur décerné le 19 novembre 2022 par la prestigieuse Académie des Oscars.
L’envie de revenir au cinéma
Lors de la cérémonie de remise de son Oscar d’honneur, dans son discours d’une quinzaine de minutes, Euzhan Palcy exprimait son désir de revenir derrière la caméra.
Ce soir, on m’a donné du crédit pour ce que j’ai toujours dit : l’impossible est possible. Et vous faites jaillir en moi la joie de crier à nouveau. C’est mon coup ce soir, un coup d’inclusion, de fierté, de bonheur. Je félicite l’Académie d’avoir contribué à faire évoluer notre industrie et d’avoir ouvert les portes qui étaient fermées aux idées et à la vision que j’ai défendues pendant si longtemps. Cela m’encourage à élever à nouveau la voix pour vous offrir des films de tous les genres que j’ai toujours voulu faire à ma façon sans que ma voix ne soit censurée ou réduite au silence. Et, très important, mes histoires ne sont pas noires, mes histoires ne sont pas blanches, mes histoires sont universelles.
Euzhan Palcy
Il est à espérer que ce regain d’énergie de la cinéaste, grâce à cette reconnaissance, lui permettra de retrouver le chemin des plateaux de tournages. Son cinéma essentiel manque à notre monde.
Je n’étais pas derrière la caméra, en train de faire ce pour quoi Dieu m’a mis sur cette terre : diriger ma caméra, mon arme miraculeuse, comme je l’appelle, pour mettre en lumière notre humanité collective sur l’écran. Avec mon appareil photo, je ne filme pas, je guéris.
Euzhan Palcy
