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Hip-Hop Cinéma : Episode #13 – Sarah Maldoror, l’Insurgée !

Hip-Hop Cinéma : Episode #13 – Sarah Maldoror, l’Insurgée !

Avec son premier film en 1968, Sarah Maldoror est l’une des premières femmes noires à oser le cinéma. Son œuvre poétique et politique est une ode aux luttes de libération des trois continents colonisés :  l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine

Maldoror

Née d’un père guadeloupéen et d’une mère gersoise, le 19 juillet 1929 à Condom dans le Gers, Sarah Ducados voit le jour.

Très tôt, elle choisit son nom d’artiste en référence aux Chants de Maldoror du poète Lautréamont. Un hommage à l’auteur dont la poésie novatrice et flamboyante influencera grandement les surréalistes.

Avec un tel nom, Sarah Maldoror est une réalisatrice qui inventa des images à la beauté convulsive pour défendre ses idées et qui porta glorieusement le poétique au-delà de toutes frontières.

Maldoror devint la cinéaste militante, entière et exigeante avec une œuvre de combat. Malgré les résistances des producteurs et la difficulté pour financer ses projets, elle réalisa une trentaine de films qui portent tous la marque de sa personnalité incandescente, à l’image du pseudonyme qu’elle s’est choisi.

Sarah Maldoror

Le théâtre

Avant de devenir la pionnière du cinéma panafricain, Sarah Maldoror débuta sa carrière au théâtre, à Paris.

Il faut lutter contre le regard des autres, il peut être terrible.

Sarah Maldoror

Sarah Maldoror aurait voulu être tragédienne, mais quels sont les rôles pour une actrice noire ? Comment en finir avec les rôles de servante?

Par conséquent, en 1956, elle fonde la troupe Les Griots, avec la chanteuse haïtienne Toto Bissainthe, l’Ivoirien Timité Bassori et le Sénégalais Ababacar Samb. La première compagnie de théâtre noire, afin de s’offrir des rôles et de faire connaitre les auteur.trice.s noir.e.s.

La compagnie joua notamment Les nègres de Jean Genet, mis en scène par Roger Blin, puis La tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire, mis en scène par Jean-Marie Serreau.

Le cinéma

Sarah Maldoror comprit dès la fin des années 1950, l’enjeu de l’audiovisuel pour les luttes de libération.

En 1961, grâce à une bourse de l’Union Soviétique, elle alla étudier et se former au cinéma, à Moscou. Là-bas, a-telle pu affiner son esthétique, sa sensibilité de visionnaire, de cinéaste?

Les réalisatrices africaines – 40 ans de cinéma TV5 Monde

Ses films se caractérisent par une grande subtilité dans le traitement des sujets, par une qualité esthétique et un souffle poétique constants. Dans la trentaine de ses documentaires et films, Sarah Maldoror a toujours posé un regard situé, une vue de l’intérieur où les femmes comme les hommes concerné.e.s se reconnaitront.

Le cinéma est un art, il s’inscrit dans l’histoire du temps présent

Sarah Maldoror

Alger, l’Afrique

Alors que la guerre au Vietnam occupait tous les esprits, Sarah Maldoror décide avec son compagnon Mário Pinto de Andrade, poète et cofondateur du Mouvement Populaire de Libération de l’Angola de s’installer en Algérie. Afin de donner, d’Alger, une visibilité aux guerres de décolonisation africaines, notamment en Angola, en Guinée Bissau, en Guinée Française et au Cap Vert.

À Alger, elle fait ses premiers pas comme assistante sur « La Bataille d’Alger » de Gillo Pontecorvo.

Puis, Sarah Maldoror réalisa Monangambée, son premier film en 1968, co-écrit avec Mário Pinto de Andrade. Un film sur la torture et, de façon plus large, sur l’incompréhension entre colonisés et colonisateurs, pour lequel elle obtient le prix de la meilleure réalisatrice aux Journées Cinématographiques de Carthage en 1970.

Avec ce premier film, Sarah Maldoror érige son cinéma de combat. La dénonciation de l’ignorance et le mépris de la culture des colonisés, la torture et l’emprisonnement des opposants à la colonisation avec en contrepoint la célébration de l’engagement des femmes et la solidarité humaine face à l’oppression.

Monangambée

Monangambée s’inscrit dans le projet du « troisième cinéma », théorisé par Fernando Solanas et Octavio Getino. C’est un cinéma contestataire, incitatif, qui vise avant toute chose la décolonisation de la culture et du spectateur opprimé.

Adapté d’une nouvelle de l’écrivain angolais José Luandino Vieira, Monangambée plonge dans les premiers jours de la résistance. Le film met en scène la cruauté de la domination coloniale à travers les incompréhensions de langage entre colonisateur et colonisé.

Tournée en noir et blanc et rythmé par le jazz avant-gardiste de l’Art Ensemble de Chicago, le film met en scène uniquement des acteurs noirs non professionnels. Il montre le système colonial sur les corps noirs qui y sont meurtris par la torture. Mais dans un subtil jeu de lumières, de poésie et de danse, ses personnages finissent par se libérer de l’emprise coloniale et de ses représentations surannées.

Sarah Maldoror sur le tournage Des fusils pour Banta, 1970.

Des fusils pour Banta

En 1970, Sarah Maldoror était en Guinée Bissau, engagée dans le maquis. Elle tourna Des fusils pour Banta.

Son film oscille là aussi entre fiction et documentaire et est également co-écrit avec Mário Pinto de Andrade. Mais ce film, à nouveau produit par l’Algérie, ne sera jamais exploité en salles.

Sarah Maldoror s’insurge d’être traitée comme un soldat par les généraux de l’époque qui remettent en question le rôle attribué aux femmes combattantes dans le scénario. Elle fait l’expérience de la censure et revendique sa liberté de réalisatrice.

Jusqu’à ce jour, les rushs du film n’ont jamais été retrouvés.

Sambizanga

En 1972, Sarah Maldoror tourne Sambizanga, son premier long métrage de fiction en République du Congo. Le scénario a été co-écrit également avec Mário Pinto de Andrade et raconte la répression de militants avant la création du Mouvement de Libération de l’Angola. C’est une œuvre politique et poétique qui met à l’honneur le point de vue d’une femme à la recherche de son mari militant, détenu et torturé par la police secrète portugaise au début de la lutte d’indépendance.

Récompensé par de nombreux prix, notamment le Tanit d’or du festival de Carthage, le film marque de son empreinte l’histoire du cinéma en Angola et sur le continent.

Avec Monangambée, Des fusils pour Banta et Sambizanga, Sarah Maldoror signe une trilogie sur l’expérience révolutionnaire. Mais à la suite d’un désaccord avec la hiérarchie du FLN au pouvoir, Sarah Maldoror quitte l’Algérie. Certaines sources mentionnent qu’elle a été emprisonnée puis expulsée du pays. Elle s’installe en France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et continua à faire des films.

Sarah Maldoror sur le tournage de Sambizanga, 1972.

Retour en France

De retour en France, passionnée de culture et de poésie, Sarah Maldoror décida de se consacrer à la réhabilitation de l’histoire noire à travers ses figures intellectuelles et artistiques les plus marquantes.

Comme autant d’outils au service de la révolution culturelle et politique africaine, elle réalisa de nombreux portraits de celles et ceux dont elle était l’amie ou la muse. Comme leurs mots l’accompagnaient, portaient la mémoire de l’esclavage et façonnaient la réalité postcoloniale du point de vue des colonisés, elle a les mis à l’honneur avec son oeil de cinéaste.

Léon-Gontran Damas, Édouard Glissant, Assia Djebar, René Depestre, Louis Aragon, Toto Bissainthe, ou encore Juan Miró et Alberto Carlisky se dévoilent dans son objectif et l’intimité de sa caméra.

Sarah Maldoror consacra cinq films documentaires à l’immense œuvre d’Aimé Césaire, dont Le Masque des mots, en 1987.

Aimé Césaire lui écrira ces mots:

A Sarah Maldoror… qui, caméra au poing, combat l’oppression, l’aliénation et défie la connerie humaine

Aimé Césaire

L’héritage

La cinéaste a célébré l’engagement des artistes, des militant.e.s en immortalisant leur art comme autant d’actes de liberté. Dans ses films, comme auparavant dans l’univers théâtral, Sarah Maldoror s’est saisi de la poésie des autres pour la mettre en mouvement.

Au-delà de ces grands portraits documentaires, elle a réalisé, en plus, près d’une vingtaine de films dédiés à la lutte contre les intolérances et les stigmatisations de tous types, comme avec documentaire Le Racisme au quotidien en 1984.

Des adaptations d’ouvrages tels que Le Passager du Tassili d’Akli Tadjer ou L’Hôpital de Léningrad de Victor Serge complètent une filmographie dense et engagée.

Décédée à Paris le 13 avril 2020 des suites du coronavirus, Saral Maldoror est la pionnière du cinéma qui a façonné un nouvel imaginaire africain, nourri par une nouvelle représentation du corps noir, par la place majeure que revendiquent les femmes dans les combats à mener. Elle reste l’inégalable passeuse de la survivance d’une pensée humaniste et sensible.

Tous les sujets traditionnels sont possibles, mais c’est le comment qui se pose, pour aller à l’encontre des images bornées qu’ont les gens de l’Afrique. Il nous faut montrer l’Afrique telle qu’elle est. Dans ses beaux décors comme dans sa misère, même si la désillusion est grande de voir qu’on s’est tant battu pour en arriver là.

Sarah Maldoror
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