Il a fallu attendre 2010 pour qu’une femme reçoive l’Oscar de la meilleure réalisation avec le film Démineurs. Cette femme est Kathryn Bigelow. Elle a signé plus d’une dizaine de longs-métrages dominés par le genre comme le fantastique, l’action ou le polar. Son cinéma met en scène principalement des univers considérés comme masculins.
Je ne crois pas trop au concept de film féminin ou masculin. Pour moi, il y a avant tout des cinéastes… Par ailleurs, considérer les films d’action comme masculins et les films intimistes comme féminins, c’est peut-être un cliché qu’il faut battre en brèche et j’y travaille.
Kathryn Bigelow
Née en 1951 en Californie, Kathryn Bigelow étudie au San Francisco Art Institute durant deux ans. Elle obtient, à 20 ans, une bourse qui lui permet d’intégrer le collectif d’artistes avant-gardistes et conceptuels Art & Language. Elle choisit alors de bifurquer vers le cinéma et étudie à l’université Columbia University School of the Arts, dont elle sort diplômée en 1979.
Mon passage de la peinture au cinéma a été très conscient. La peinture est une forme d’expression raréfiée qui touche une audience limitée, le film, un extraordinaire outil social qui atteint des foules énormes.
Kathryn Bigelow

L’univers masculin avec ses failles
Cowboys, surfeurs, policiers, militaires… Le cinéma de Kathryn Bigelow est faite d’une abondance de mecs.
Mais des virilités impulsives, animales, damnées. Dans Aux frontières de l’aube (1987), le héros après une drague incitante, est mordu par la jeune vampire. Il est donc condamné à dépendre de sa créatrice pour survivre car il refuse de tuer pour se nourrir. Ce cow-boy très « mâle », passe de prédateur à proie. Kathryn Bigelow réécrit le mythe du vampire et inverse les rôles.
Des amitiés masculines ambivalentes. Dans Point Break (1991), la relation entre Johnny Utah, le flic infiltré et Bodhi, le gourou de la bande de surfeurs braqueurs est trouble. Johnny Utah séduit, fasciné par Bodhi, ira jusqu’à l’extrême-limite (sous-titre français du film) au point d’en oublier sa mission.
Des superhéros. Dans Démineurs (2009), le protagoniste un frimeur joue les gros bras avec ses collègues soldats. Mais Kathryn Bigelow scrute au plus près ce héros de guerre et nous révèle au fur et à mesure du film, ses craquelures, son immaturité, sa peur qu’il cache sous son épais costume, et aussi son impuissance face à la mort.
Ultime pied de nez, la cinéaste prend même soin de filmer son retour « au pays », auprès d’une épouse et d’un enfants délaissés. Kathryn Bigelow démystifie complètement cette figure héroïque en rappelant que pour sa famille, ce soldat est avant tout un père absent.
La présence des femmes
L’univers du cinéma de Kathryn Bigelow est considéré comme masculin. Mais les femmes y occupent une certaine place où l’adrénaline ne rime pas forcément avec testostérone.
Dans Blue Steel (1990), Jamie Lee Curtis incarne une flic confrontée au machisme de son père violent, à l’institution policière misogynie et à un trader psychopathe. Une jeune femme « musclée » qui affronte ces différents univers et degrés de sexisme et de violence. Plus Badass, tu meurs !
Avec Zero Dark Thirty (2012), l’ouverture donne le ton : à l’issue d’une séquence de torture apparaît Maya. L’ultraviolence ne bouleverse pas l’experte, car c’est « une tueuse », capable de diriger un groupe de soldats. Contrairement à l’héroïne de Blue Steel, les hommes l’écoutent. Comme un écho à l’évolution de la cinéaste, depuis son Oscar, au sein de l’industrie hollywoodienne.
Ce qui importait était d’avoir un personnage très fort. Maya n’est pas définie par un homme ou par une relation sentimentale. Elle est définie par ses actions
Kathryn Bigelow
Dans Strange Days (1995), la science-fiction se fait d’abord l’expression du male gaze, ce regard de cinéma qui sexualise le corps des femmes. Une scène de sexe érotisée par la vue subjective de l’homme devient viol. Dans la plupart des films, le viol est sexualisé parfois, volontiers gratuitement. Kathryn Bigelow fait tout l’inverse. Elle le conscientise. Son héros ressent ce que la victime ressent à travers les yeux de l’agresseur.
La critique sociale
Toujours dans Strange Days, l’éveil des consciences s’incarne à travers le personnage de Lornette Mason (Angela Bassett), chauffeuse de limousine, femme afro-américaine forte et indignée qui, après la découverte d’une grave bavure policière, prône une incendiaire révolution. Kathryn Bigelow introduit dans son film d’anticipation, une dimension clairement politique qui s’inspire de l’affaire Rodney King, à Los Angeles.
Cette révolution, on la retrouvera une vingtaine d’années plus tard avec Detroit (2017), récit bouleversant des émeutes raciales survenues dans la ville éponyme en 1967. La cinéaste dénonce sans détour les violences policières et le racisme qui gangrènent la société américaine.
Pour Kathryn Bigelow, associer violences policières, racisme systémique et violences sexuelles coule de source. Politique, son oeuvre porte un féminisme fustigeant toutes les formes d’oppression.
Il faut comprendre que je fais partie de cette famille de cinéastes qui sont motivés par l’idée de participer à quelque chose qui est plus grand qu’eux-mêmes, qui les dépasse. Une opportunité comme Detroit, qui permet de parler de violences policières, d’étudier le racisme systémique en Amérique, de recréer des événements vieux de cinquante ans pour leur donner une résonance contemporaine, c’est une chance énorme pour moi.
Kathryn Bigelow