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Pouvoir et agression. Une domination en cache souvent d’autres

Pouvoir et agression. Une domination en cache souvent d’autres

Cible d’une violente campagne raciste durant des semaines, le jeune candidat à la députation Taha Bouhafs (à laquelle il a renoncé) a aussi été dénoncé pour des agressions sexuelles. Cette scène, aussi douloureuse que complexe, interroge sur le rapport entre le pouvoir et l’agression. Elle illustre aussi qu’une domination en cache souvent d’autres.

Une campagne raciste

Plusieurs semaines durant, l’antiracisme a été sali à travers la personne de Taha Bouhafs. La campagne médiatique et politique qui le visait en a fait le symbole du pays qu’une France raciste ne souhaite pas voir émerger. Qu’elle veut invisible. Le jeune journaliste a ainsi subi tout ce que les militants antiracistes subissent au quotidien, dans un concentré d’inversions rhétoriques devenues la norme dominante (antiracisme = racisme, antifascisme = fascisme, etc.), de mauvaise foi et du deux poids deux mesures habituel. Jadot a pu ainsi parler de « juif de service » et s’en expliquer. En revanche, si Bouhafs invoque le même dispositif il serait impardonnable et interdit de s’en expliquer. Dans la même logique, il y a de bons refugiés qui exigent du cœur et de l’empathie et d’autres qui ne mériteraient que l’abandon et la répression.

Cette attaque en meute politico-médiatique, contre un jeune arabe d’un quartier populaire parce que jeune arabe d’un quartier populaire, ne doit pas être oublié. Elle a montré toute la férocité de ce monde cramponné à une France qui n’a plus rien à voir avec le pays mais domine encore grâce à ses agressions quotidiennes de tout ce qui ne lui ressemble pas.

Taha Bouhafs, cible du racisme et agresseur présumé

Cette France rance n’a cependant pas le monopole de l’agression. Le système de domination est bien huilé, il fonctionne bien au-delà de son moteur central. On peut être jeune arabe d’un quartier populaire et accumuler suffisamment de pouvoir pour l’exercer sur les autres. Et si l’on veut dénoncer le système de domination régnant, il faut aller jusqu’au bout des rouages. Il y aurait une grande incohérence de dénoncer un système permettant, parmi tant d’autres, à un Patrick Poivre d’Arvor d’agresser sexuellement des dizaines de femmes. Et ne pas croire d’autres femmes qui dénoncent, en l’occurrence le même Taha Bouhafs.

La presque totalité des femmes qui témoignent ici ont été attaqué en diffamation par PPDA (journaliste faussaire à ses heures)

L’instance judiciaire n’y suffit pas

Sans spéculer sur des décisions de justice à venir, il est nécessaire de soutenir toutes les instances qui recueillent les paroles des victimes. Et qui agissent en fonction de ces paroles. En effet, il ne peut être question de s’en remettre au seul système judiciaire singulièrement peu réceptif aux violences faites aux femmes. L’impunité octroyée récemment à des policiers qui ont abusé sexuellement d’une femme au 36 quai des Orfèvres en est une preuve flagrante parmi tant d’autres.

Cette impunité, ovationnée par leurs collègues dans la salle d’audience, indique que la Justice n’y suffit pas. Car, quoiqu’en disent les juges, hors de l’enceinte judiciaire cela s’appelle un « viol en réunion » (selon la terminologie du jugement en première instance cassé par la cour d’Appel). Tant que des juges estimeront plus pertinent d’enquêter sur les victimes plutôt que sur leurs agresseurs, la Justice n’y suffira pas.

Ovidie, réalisatrice d’un documentaire sur l’affaire du Quai des Orfèvres

Présomption d’innocence versus principe de précaution

La présomption d’innocence est indéniablement mise à mal dans les affaires d’agression sexuelle rendues publiques. Ce n’est pas pour autant son abandon mais le signe d’un grand décalage entre les outils de la Justice pour entreprendre ces crimes et leurs réalités. La présomption d’innocence doit être préservé dans la sphère judiciaire. C’est vital. Cela n’empêche pas d’autres instances sociales (ou politiques) de privilégier le principe de précaution pour un crime trop quotidien. Ce second principe entre en collusion inévitable avec la présomption d’innocence (une fois qu’il est appliqué, il va de soi que le soupçon pèse sur l’agresseur présumé). C’est aujourd’hui un mal nécessaire.

Clémentine Autain, députée (FI) sur l’affaire Taha Bouhafs

Nous ne connaissons pas le détail du cas Taha Bouhafs. Une enquête interne serait en cours. Nous nous en remettons aux alertes tirées par les instances de la France Insoumise qui ont recueillies la parole de ses victimes. Celles-ci souhaitent l’anonymat et ne pas être instrumentalisées. C’est la moindre des choses que d’entendre leurs souffrances et respecter leurs choix. Il n’est donc pas ici question de ces affaires mais de certaines questions qu’elles posent.

D’une part, il s’agit de cerner la manière dont FI a entrepris l’antiracisme. D’autre part, au-delà de son cas particulier, la trajectoire du jeune journaliste et militant, interroge sur le rapport entre accumulation de pouvoir et sentiment d’impunité dans l’écrasement des autres.

Un contexte de racisme débridé

L’antiracisme de FI n’ait apparu comme courageux que parce qu’il tranche dans une scène politico-médiatique extraordinairement raciste. Avec des votes de premier tour (de conviction) dépassant les 30% cumulées aux présidentielles, les extrême-droites sont déjà un indice probant du haut degré de racisme régnant en France.

À cela, il faut ajouter des médias qui discourent en continue, des mois durant et en toute tranquillité, du « grand remplacement ». C’est-à-dire qui normalisent une théorie qui a déjà inspiré plusieurs terroristes suprématistes à travers le monde. Et, si on suit bien, ne peut que déboucher sur un appel à l’élimination d’une partie de la population en raison de son origine (soit, exactement, un génocide).

De plus, les enquêtes d’opinion politique (à la sortie des urnes, donc parmi les rares fiables), ainsi que plusieurs reportages immersifs, prouvent une très grande prégnance du racisme le plus crasse parmi les forces de l’ordre.

Tout cela sans compter, les hypocrisies et attaques récurrentes de la Macronie, ainsi que l’islamophobie structurante d’une bonne partie de la gauche (à travers le Printemps Républicain et d’autres officines dédiées à faire passer la stigmatisation comme une valeur « universelle »).

Antiracisme et France Insoumise

C’est dans ce contexte que plusieurs gestes de la FI l’ont fait apparaître comme la seule planche de salut électoral. Son refus de participer à une manifestation de police, sa participation à une manif contre l’islamophobie et un discours ouvert sur la Méditerranée de son leader, entre autres, ont tranché dans l’extrême-droitisation de la scène générale.

Pour autant, l’antiracisme politique est loin d’avoir toute sa place au sein de FI qui se veut pourtant à l’image des luttes sociales du pays. Et, à l’heure des répartitions des candidatures pour les législatives, le parti a très largement privilégié les logiques d’alliances partisanes, au détriment d’une chance de voir à l’Assemblée représenter l’émergence du vaste mouvement antiraciste (dont la manif Adama a été un aperçu de la puissance de fond).

L’antiracisme entre symboles et mouvements de fond

Dans ce sens, Taha Bouhafs et très peu d’autres apparaissent surtout comme des symboles. Là où un mouvement de fond cherche à déjouer le scénario de la précédente récupération de triste mémoire. (Le PS et SOS Racisme avaient, précisément, jouer de symboles pour mieux écraser le mouvement d’antiracisme politique des années 80).

Peut-être que FI n’en restera pas là. Il s’agit d’une bataille en cours. Mais l’antiracisme politique ne peut se contenter d’obtenir quelques sièges que voudrait bien lui octroyer FI. Il doit continuer à la dépasser largement et, dans le même temps, aussi lui arracher une large place en son sein. Ce n’est pas que l’avenir de la lutte contre le racisme ou de FI qui se joue là. C’est celui de l’ensemble de la gauche.

Pouvoir et agression

Disserter sur le cas de Taha Bouhafs et des dénonciations dont on ne sait pratiquement rien serait très malsain. En revanche, il convient de s’interroger sur les mécaniques de domination que les personnes accumulant du pouvoir, fut-il uniquement symbolique, exercent sur les autres.

Une femme, qu’elle soit racisée ou non, peut parfaitement exercer une domination insupportable sur d’autres, avec toutes les agressions sur les corps que cela peut signifier. C’est son pouvoir qui lui permet ces invasions. Si elle commet ces agressions c’est, avant tout, parce qu’elle le peut. L’agression apparaît comme est un appendis du pouvoir. Celui-ci peut avoir des sources très différentes, dont le prestige que peut offrir le militantisme, l’extraction sociale ou même la couleur de peau non-blanche. L’inversion des valeurs ne protège pas des hiérarchies.

Actuellement et en Occident, dans l’immense majorité des cas, les sources principales du pouvoir sont l’argent et la blanchité. Il est donc logique que les agressions proviennent en majorité de cénacles d’hommes de pouvoir, blancs et fortunés. Et il est tout aussi logique et pertinent de dénoncer en priorité ces cercles là.

Le pouvoir au sein des mouvements critiques du pouvoir

Mais priorité ne veut pas dire exclusivité. Il y a aussi des accumulations de pouvoir dans des groupes opposés en tous points à ces premiers, par exemples antiracistes et/ou antisexistes. Les abus attenants à ce pouvoir sont malheureusement loin d’être exceptionnels. Et ils sont d’autant plus difficiles à dénoncer qu’ils s’exercent dans des espaces dont la fonction première est, précisément, de protéger de ce genre d’agression. La personne agressée ajoute ainsi à sa souffrance première la souffrance d’un dilemme. Dénoncer un crime avec la certitude de son instrumentalisation par des adversaires. Qui, eux, ont rarement ce genre de dilemme, puisqu’ils normalisent l’agression sexuelle.

Il est donc impératif de casser toute forme de sentiment d’impunité attenante à l’accumulation de pouvoir. Surtout parmi les organisations qui ont pour vocation de lutter contre les oppressions et pour l’émancipation. Que des personnes concentrent une certaine quantité de pouvoir à l’intérieur des groupes, c’est probablement nécessaire à l’action (quoique ni de manière absolue ni figée). Mais ce pouvoir consenti ne signifie jamais la possession d’autrui.

Un chemin laborieux mais indispensable

L’antiracisme mené par des personnes racisées nous apprend tous les jours à voir des angles morts de l’antiracisme de principe (blanc). De même, le féminisme pointe tous les jours des formes d’oppression tellement naturalisées qu’elles n’apparaissent pas à l’œil (masculin) de bien des personnes sincèrement antisexistes par principe. Dans ce changement culturel de fond que nous vivons, affrontements de grands symboles et petites batailles quotidiennes ne s’opposent pas mais se combinent dans la construction laborieuse d’un monde un peu plus vivable pour l’ensemble du genre humain.

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