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Face au racisme, entretien avec Youcef Brakni

Face au racisme, entretien avec Youcef Brakni

« Dans les nouvelles générations, les solidarités se font assez facilement. On lutte contre le racisme et on se retrouve avec d’autres qui luttent sur le climat. Des alliances inédites naissent. » Youcef Brakni pour un entretien sur cette période électorale au racisme décomplexé

Entretien avec Youcef Brakni, membre du Comité Adama et militant antiraciste.

Question. Cette campagne est marquée par l’omniprésence du discours raciste. Est ce qu’une digue a sauté ? Est-ce que ça te surprend ?

Réponse. Il y a un déferlement de haine, spécialement contre les Arabes, les noirs et les Musulmans. C’est devenu la norme. Et il y a une course à l’échalote à qui dépassera Zemmour dans le racisme le plus crasse. Ceci dit, Zemmour est plus l’aboutissement d’un mouvement commencé sous Sarkozy, poursuivit sous Hollande puis Macron. Il y a eu une longue banalisation de ce type de discours. Donc, ça ne me surprend pas vraiment.

Ce qui est nouveau avec Zemmour, c’est l’attaque frontale à l’État de droit et à la démocratie. L’État de droit est vu comme un problème qu’il faudrait supprimer au nom d’une volonté populaire largement orchestré par des grands médias. La conséquence de ces débats est qu’on se retrouve à parler de « remmigration » et de « grand remplacement » sans problème.

Radicalisation de la bourgeoisie et suprémacisme blanc

Il y a une radicalisation de la bourgeoisie qui n’a pour programme que la destruction des services publics. Comme elle ne peut exposer clairement ce programme de destruction du bien-commun, elle a besoin d’un ennemi intérieur qui occupe le discours. Et on en arrive à des divergences qui portent sur la déportation (Zemmour) ou le contrôle brutal (Macron).

Cette articulation entre destruction du bien-commun et discours raciste est bien illustré par Jean-Michel Blanquer qui annonce des suppressions de postes et, en même temps, une guerre contre le « wokisme ». L’ennemi intérieur permet de s’attaquer aux acquis sociaux, ces deux éléments vont ensemble. 

C’est un aspect de la stratégie de la bourgeoisie. Mais il ne faut pas oublier qu’il reste une partie du champ politique avec un projet de société qui repose sur la suprématie blanche. C’est un projet politique qui rejoint aujourd’hui celui de cette bourgeoisie radicalisée. Projet qui implique la déshumanisation d’une partie de la population.

Révolution culturelle…

Q. Avec le Comité Adama vous êtes parvenu à faire ce que n’avait pas réussi des dizaines d’années de rap et des films emblématiques. A savoir, installer les violences policières comme un sujet politique de premier ordre. Sujet qui départage les camps politiques, si bien que chacun est obligé de se positionner sur la question. Mais la presque totalité des partis politiques se sont justement positionner derrière la police, y compris quand elle menace les autres institutions auxquelles ces partis devraient être particulièrement attachés  (je pense à la fameuse manif devant le Parlement, coups de pressions sur la Maison de la Radio, etc). Comment expliquer ce déphasage ?

R. Il y a eu une révolution culturelle. La mobilisation de centaine de milliers de personnes contre les violences policières et le racisme systémique est la manifestation évidente de cette révolution. Ça c’est passé dans les rues de Paris. Ils ont vu débarquer des centaines de milliers de personnes, et ils ont eu peur. Leur réaction est une contre-révolution médiatique organisée par des vieux éditorialistes. Brice Couturier est un bon exemple de cette réaction. [Longtemps chroniqueur à France Culture et auteur d’un récent essai, Ok Millenials !,  contre les jeunes ou ce qu’il appelle « la génération woke ». Politiquement, il était de l’extrême-gauche maoïste dans sa jeunesse, puis du Parti Socialiste, aujourd’hui réactionnaire sans parti].

… et contre-révolution médiatique

Cette contre-révolution médiatique passe par une campagne de diabolisation des figures de l’antiracisme, telle qu’Assa Traoré. Cette diabolisation fonctionne si bien que les politiques de gauche ont peur d’afficher un soutien trop marqué en faveur de ces figures de l’antiracisme. C’est là où ils font une erreur très grave. Les personnalités politiques de gauche devraient être très fermes là-dessus. Elles devraient se montrer sans complexe dans la lutte contre le racisme. Or, on les voit bégayer, s’excuser d’avoir participer à une manifestation contre l’islamophobie. Ne pas montrer une solidarité ferme avec des associations qui sont dissoutes, alors qu’elles ne faisaient que défendre légalement des personnes victimes de racisme.  

Le camp réactionnaire s’est engouffré dans cette brèche. Avec les idées les plus folles qui s’imposent comme des évidences à force d’être marteler matin, midi et soir. C’est totalement irrationnel, du coup c’est très difficile d’avoir prise, de répondre à de tels discours. Car il s’agit d’un discours complotiste, il est très difficile de déconstruire un complot dans le débat public.

La punchline sur les réseaux sociaux n’y suffira pas

Q. Que faire ?

R. Face à l’irrationalité du discours raciste, ça ne sert à rien d’essayer de débattre avec des arguments rationnels. Ou d’essayer, comme Mélenchon, de contrer le délire du « grand remplacement » par l’idée de créolisation, qui est une idée complexe demandant du temps pour l’expliquer. Un tel débat ne peut que crédibiliser l’adversaire.

Aujourd’hui la lutte contre ces idées réactionnaires se limite parfois à faire sa petite punchline pour les réseaux sociaux. Ça fait plaisir mais ça ne sert à rien. La seule chose à faire c’est de participer aux luttes populaires en espérant déboucher sur des mobilisations de masse. C’est long, c’est fastidieux, c’est ingrat. On n’a pas le plaisir facile du like, mais c’est le seul moyen.

Les partis de gauche doivent s’ouvrir aux cadres émergeant des luttes de la base

Il faut des cadres qui émergent des quartiers populaires. Comme aux USA, où des cadres telles qu’Alexandra Ocasio-Cortez ou Cori Bush (militante de Black Live Matter) ont pu émerger pour affronter frontalement la déferlante raciste. À l’intérieur du parti traditionnel, le Parti Démocrate, Bernie Sanders a permis l’émergence de ces cadres qui n’ont pas été repoussé. C’est le problème ici, les partis ne sont pas prêts à voir émerger d’autres générations avec d’autres pratiques.

Dans ces nouvelles générations, les solidarités se font assez facilement, on lutte contre le racisme et on se retrouve avec d’autres qui luttent sur le climat, et des alliances inédites naissent. À la base, dans les luttes sociales.

Dans les partis de gauche, c’est le sauve-qui-peut, chacun pense déjà à comment sauver sa place  pour les législatives. Ils veulent gérer la défaite. Ils ne se rendent pas compte que derrière la défaite nous entrerons dans un nouveau cycle de plusieurs années. Il sera très difficile de s’en remettre. Il faut laisser un espace à une nouvelle génération progressiste plutôt que d’entraver et de saboter ces nouvelles formes de lutte. Ce qui est encore malheureusement le cas dans le champ politique de gauche

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