A nos Amour(s) rend compte du travail mené auprès de deux classes de terminale dans le cadre du projet Art et Culture du Festival International de Films de Femme de Créteil. Dans mon travail de cinéaste, je me nourris des autres arts et des sciences. Partons donc des contes de fée avec le « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » pour tout démonter bien sûr! Pour ce premier épisode, focus sur Cendrillon.
Le choix du conte
Pour la deuxième année, j’ai l’honneur d’être artiste associée au projet Art et Culture du Festival International de Films de Femme de Créteil. Le FIFF est co-fondé en 1979 par Jackie Buet et Elisabeth Tréhard. Il est l’un des plus vieux festivals qui défend les engagements artistiques, politiques et sociaux des femmes dans le monde, à travers leur (notre) cinéma.
Cette année, le thème qui m’a été proposé est « À nos Amour(s) ».
Avec lui, je poursuis le travail de déconstruction des schèmes sociaux, qui nous emprisonnent, commencé l’année dernière, avec la thématique de la Beauté. C’est donc au tour du « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » d’en prendre pour son grade.
Arbitrairement, j’ai choisi « Cendrillon ». L’expression « trouver chaussure à son pied » pour parler de trouver son Amour, son Âme soeur ne vient-elle pas de cette histoire de pantoufle de vair/verre? Tout le monde connait l’histoire de Cendrillon. J’ai retrouvé 29 adaptations de ce conte, en film, en animation, en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. La première faite par George Méliès, Alexandre Roou et Charles Maudru date de 1899.
Ce conte contient tous les archétypes sociaux et moraux d’une autre époque, transmis à nos enfants, forgeant leur esprit, jusqu’à nos jours.
Le pitch du conte
Celle qui ne s’appelle pas encore Cendrillon perd sa mère. Son père se remarie à une veuve, avant de mourir à son tour. On voit venir la grosse faille affective de la fille. La marâtre (dans son sens premier: la femme du père, par rapport aux enfants qu’il a eu d’un premier mariage. Dans son sens actuel, surement à cause de ce conte: mauvaise mère) et ses filles s’en prennent à celle qu’elles nomment à présent Cendrillon (habillée de haillons couverts de cendre).
Mais celle-ci reste douce et gentille car elle sera récompensée en retour. Vous voyez l’injonction faite aux filles? Effectivement, selon les contes et les adaptations, elle émeut une bonne fée ou un élément surnaturel qui va l’aider à remporter le gros lot: le mariage avec le Prince.
Un garçon qui n’a besoin de faire zéro effort pour plaire car il est riche et puissant grâce à son père. Un Prince forcément charmant qui la sauve de sa misère et des malheurs du monde. À la fin, Cendrillon part vivre avec lui et son seul job sera de faire des enfants.
Walt Disney a popularisé « Cendrillon » par son dessin animée de 1950. Réadapté en 2015 toujours par Disney, réalisé par Kenneth Branagh.
Plusieurs versions d’une même histoire
La version la plus adaptée est celle de Charles Perrault (homme de lettre du 17e siècle). Son conte est plus doux que celui des frères Grimm (linguistes du 18e/19e).
A la fin, chez Perrault, Cendrillon pardonne à ses soeurs et les marie à des seigneurs. Le conte de Perrault se conclue par deux morales. La première sur la bonté et la beauté, des qualités que doivent avoir une jeune femme. La seconde sur la nécessité d’avoir un parrain ou une marraine pour faire ses premiers pas dans le monde.
Chez les Frères Grimm, il est question de pieds tranchés pour entrer dans le soulier de vair/verre et d’yeux crevés par des oiseaux. Le conte se conclue par ce spectacle de la méchanceté et de la perfidie des belles-soeurs punies devant la foule de l’église.
Des Morales de l’histoire variables
Des fins qui mettent en valeur l’ordre social dans le premier cas et dans l’autre cas, l’ordre moral. Chez Perrault, le pardon est mis en avant car c’est une vertu chrétienne. Chez les frères Grimm, la punition visible et douloureuse rappelle celui du monde du mythe ou de l’Ancien Testament ( Dieu Méchant ).
Ces différences s’expliquent par les préoccupations de l’époque où ce conte est retranscrit et le public auquel il est destiné. Perrault s’adressait aux gens de la cour pour qui les vertus comptent et les frères Grimm, aux enfants qui doivent comprendre que la méchanceté est puni.
Si vous pensez que Charly ou les Frères G. ont tout inventé, vous vous trompez. En réalité, la toute première version de Cendrillon remonte au IXe siècle Av. J.C, en Chine, mais ce n’est qu’en 1634 qu’elle arrive en Europe, retranscrite par l’auteur italien Giambattista Basile dans son recueil « Le Pentamerone ».
Des développements passés sous silence selon les époques
Dans « La Gatta cennerentola », Zezolla est loin d’être gentille. Elle fomente le meurtre de sa méchante belle-mère avec son institutrice pour que celle-ci épouse ensuite son père redevenu veuf. Mais son institutrice et ses filles seront deux fois plus mauvaises que la marâtre tuée.
L’idée de la punition de la méchanceté est également présent dans cette version mais se rajoute la notion d’une rédemption possible. Cendrillon/La Gatta cennerentola (la Chatte cendreuse) devient gentille et rencontre son destin « magnifique ».
A chaque époque, la morale du conte évolue et ses adaptations littéraires et cinématographiques également. Il est fait de manière plus ou moins maladroite selon les adaptations.
Mais cette capacité de réécriture de notre patrimoine culturelle, pour être au plus proche de nos préoccupations sociales et morales actuelles, montre, à mes yeux, que rien n’est inscrit dans le marbre. Les cerbères d’un monde conservateur et nostalgique de son passé peuvent bien aboyer, la caravane passe.