Pseudo de Jérémy Rubenstein, historien, chroniqueur et écrivain (pas forcément…
Le conflit en cours sur la suppression de deux ans de retraite à tous les travailleurs montre un gouvernement appliquer les techniques de communication, lobbying et propagande. La principale consiste à parler de n’importe quoi afin de, à la fois, gagner du temps et brouiller les termes du débat.
Cette technique est perverse car, alors même qu’elle interdit tout débat, elle présente le refus de participer à ces faux-débats comme une rupture démocratique. La démocratie reposerait sur le débat, sur convaincre par la discussion, si bien que refuser de discuter équivaudrait à sortir du champ démocratique. Or, face à la stratégie du bla-bla permanent, un silence de plomb s’impose.
Car de quoi est on sensé débattre quand le porte-parole du gouvernement affirme que faire grève c’est provoquer de futurs cancers chez les jeunes? Doit-on passer une semaine entre Assemblée, plateaux de télé, Twiter et autres journaux à discuter sur la relation entre la grève et le taux de cancer? Doit-on expliquer que sans grève et mobilisation, il n’y aurait jamais eu de Sécurité Sociale? Que, par conséquent, il y aurait bien plus de maladies et morts jeunes. Doit-on passer du temps à chercher des arguments, à rétablir les faits, à expliquer que Olivier Véran dit n’importe quoi? Doit-on dédier une seconde à réfuter Olivier Dussopt qui affirme que supprimer deux ans de retraite est une « réforme de gauche »?
La cancel culture au secours du débat argumenté
Pour comprendre pourquoi il convient de ne rien répondre au gouvernement, faisons un détour par la « cancel culture ». L’anti-wokisme fonctionne sur des caricatures du wokisme. Les réactionnaires attrapent quelques exemples, réels ou fictifs, et les érigent en vérité absolue du démon qu’ils combattent. Quelques étudiants d’une université perdue du fin fond des États-Unis refusent de laisser parler un professeur censé être de bonne volonté, et voilà des millions d’anti-racistes à travers le monde qui refuserions la moindre conversation. Cancel Culture, on ne peut plus rien dire. Et, surtout, on ne plus rien discuter.
Alors, effectivement, on ne va pas discuter de la validité de concepts triomphants au XIXème siècle européen qui affirmaient l’inégalité des races et l’infériorité des femmes. Et vous pouvez grand-remplacer le mot « race » par « civilisation » ou « culture », ça ne changera rien à l’affaire. Cancel. Il n’y a rien à discuter.
Mais refuser la moindre conversation dans des termes inacceptables ne veut pas dire annuler toute conversation. Au contraire, il s’agit de poser les questions dans des termes qui rendent la conversation possible et enrichissante. « Cancel » c’est l’autre mot pour exiger des termes qui rendent possible le débat.
Se taire, un impératif stratégique
Ce refus de discuter doit beaucoup aux stratégies mises en place par les lobbyistes depuis au moins les années 1970. Cela fait en effet cinquante ans que toutes les industries les plus polluantes savent parfaitement ce qu’elles font. Et, face aux premiers écologistes qui ont établi des faits, qui ont posé des éléments de conversation sérieuse sur la place publique, leurs lobbying a consisté à dilater le temps et dévier les conversations. Remettre à plus tard.
Toujours plus tard, jusqu’à ce que nous soyons encastré dans le mur. Nous y sommes. Le mur n’est plus à cinq mètres, notre humanité est dans le mur, telle une bagnole au quart encastré. Il nous reste seulement assez de force pour tâcher de retirer doucement le corps de cette impasse. Les dégâts sont déjà là, et retirer un corps d’un encastrement est forcément douloureux. Renoncer à du fossile quand plus de 80% de l’énergie est fossile, c’est douloureux.

Nous n’avons donc pas le temps de converser avec le lobby de l’énergie fossile. D’autant moins que, à l’instar d’Olivier Véran, il parlera d’autres choses. Quel temps il fait dans les étoiles? Est-on bien sûr que l’homme, bla-bla? Et que penser du « petit âge glacière »? N’est ce pas la preuve qu’il y a souvent des changements climatiques? Discutons encore cinquante ans, cette conversation s’annonce passionnante. Et, durant ce temps, nous gagnerons de l’argent, beaucoup d’argent, et vous ne perdrez que votre planète.
Combien de cheminots parmi les sénateurs?
En dehors de la question de savoir de quoi parle t-on, il faut savoir qui parle de quoi. Le Sénat décide de supprimer certains « régimes spéciaux » des retraites, dont celui des cheminots. Aucun sénateur (7 493,30 € d’indemnité parlementaire par mois) n’a été cheminot. Ces mêmes sénateurs ont trouvé juste et cohérent de préserver le « régime spécial » des… sénateurs. Au passage, le régime des retraites des policiers (52 ans qui pourrait passer à 54 ans) n’est même pas discuté. Il faut bien des tonfas pour voler deux ans de vie libre à tout le monde.
Toute proportion gardée, ils me font penser à ces scientifiques blancs européens du XIXème siècle qui ont érigé le racisme en science. De vieux bonhommes « blancs » (en fait rougeauds) qui décident que tous ceux qui ne leur ressemblent pas sont inférieurs.


Gérard Larcher (né en 1949) président du Sénat et Louis Agassiz (1807-1873), botaniste et théoricien du racisme.
Composé à plus de 70% d’hommes, le sénat décide pour une population composée en majorité de femmes (35, 1 M contre 32, 9) les plus sévèrement impactées par la « réforme ». Composé à près de 55% de plus de 60 ans (moins de 15% ont moins de 50 ans), ces gens-là décident pour l’avenir…
Face à la stratégie du bla-bla un silence de plomb
Face à la stratégie du bla-bla, un silence de plomb et une détermination de fer. Il n’y a rien à discuter.