pixel
Now Reading
Yanni, Louis et Marine

Yanni, Louis et Marine

Petit retour sur la polémique éclair autour du clip « Louis Boyard » du rappeur Yanni.

Il y a une dizaine de jours, un clip de rap a fait pas mal parler les cons. Yanni, rappeur d’Ivry, a dégainé Louis Boyard, 50% egotrip, 50% politique et 100% troll, à l’image du son qu’il illustre. Ce qui a fait du bruit, c’est le name-dropping en guise de refrain. A la base, c’est un texte tout à fait ordinaire : « je viens du 94, je suis un fils de prolo, j’ai vendu de la drogue, je leur serre pas la main, je vais tout baiser jeune, je me suis pris des flashballs ».

L’astuce c’est que chaque phrase est ponctuée par « comme Louis Boyard », et reste factuellement vraie. Pour le reste, c’est un morceau à la Medine. Toujours sur le mode foutage de gueule, ça passe de crottes de nez envoyées sur l’extrême droite (la famille Lepen, Papacito, etc) et le gouvernement à de l’ironie sur la théorie du grand remplacement ou la peur de l’islam. De quoi donner des rougeurs à quelques porcinets mais rien de vraiment scandaleux, en tout cas dans le monde du rap. Il a également eu le bon goût de ne pas tenter une punchline avec Fort Boyard. Niveau forme, l’instru made in MM’s-Prod fait le café en restant dans les codes actuels, pareil pour le flow. Ni pire ni meilleur, c’est dans la moyenne de ce que le gros du peloton du rap français nous apporte chaque semaine. En même temps, Yanni est avant tout le porte-parole de Red. De toute façon le titre Gramsci était un sacré indice.

Si vous le trouvez vraiment exécrable en tant que rappeur, considérerez-le comme un militant qui fait de la drill sur son temps libre, ça permet d’être plus indulgent. Parce qu’en terme de rap les communistes reviennent de loin, l’époque de Cercle Rouge Production remonte à la préhistoire. Depuis, malgré la ressemblance physique entre Jean Ferrat et Akhenaton, on n’a eu aucun élément encourageant.

coïncidence ? Je ne pense pas

Initialement, le son date du 12 août 2022. Il faisait suite à la tempête dans un verre d’urine provoquée par Louis Boyard, alors chroniqueur sur Touche pas à mon poste, qui avait révélé avoir lui-même vendu un peu de shit dans sa vie, un jour, il y a longtemps. Le morceau était complètement passé sous les radars. Mais un rappeur qui veut percer n’abandonne pas comme ça et à l’instar de Menzo, Yanni ne lâchera pas le steak.

En novembre, Boyard, cette fois invité et non plus chroniqueur (c’est fou la vie), est à l’origine d’une énième crise d’hystérie dans TPMP. En gros un clown avec le PIB de la Colombie dans la narine gauche n’a pas apprécié qu’on rappelle les cachoteries de son maître à l’antenne. Ça a créé un grand moment de télé. Le jeune député est remis en avant, le morceau aussi et… ça n’a toujours rien donné, seul Fdesouche et leurs amis désœuvrés s’en sont offusqués.

Qu’à cela ne tienne, comme Pit Baccardi, Yanni ne lâchera pas l’affaire et revient avec une version clippée. On arrive donc à la 3e tentative avec la vidéo de janvier, et là, ça prend. Il faut dire qu’ils se sont donnés les moyens.

L’artiste brandit un drapeau algérien devant une mairie, les regards sont agressifs, ça mime des coups de pied à la caméra façon Kalash Criminel en 2016, toutes les cases du street clip sont parfaitement cochées. Cerise sur le gâteau, Louis Boyard lui-même est présent en fin de vidéo. Étonnante mise en scène qui place le rappeur en employé de grec (?) apparemment très heureux d’être au service du blondinet qui ne lui accorde pas plus d’attention que ça, mais une fois encore on n’écrit pas un titre à la gloire d’un politicien sans quelques sacrifices.

Les paroles, quant à elles, demeurent inchangées depuis août. La dédicace demi-molle à Quatennens arrive toujours très peu de temps après les attaques sur Darmanin et Abad. Un paradoxe un peu ballot, bien qu’involontairement très fidèle à la ligne FI. Pas non plus d’update concernant le passage de l’homme politique sur TPMP. Aucune rime sur Bolloré ni Hanouna, c’est presque un rendez-vous manqué.

La suite est très prévisible : les cadres du RN se déclarent scandalisés. Leurs attachés de presse également, cf les réactions de Gilles-William Goldnadel, Eric Naulleau, Elisabeth Levy et toute la joyeuse troupe des TPMPitres. Réflexe quasi pavlovien qui leur fait un point commun de plus avec les canidés, les génies mordent à tous les appâts sans exception. Pour eux le clip est à la fois une apologie du terrorisme, un appel au meurtre et une propagande arabo-islamiste-grand-remplaciste. Le menu best-of, ni plus ni moins. La stratégie a fonctionné, Yanni a bien pris soin de placer l’annonce de la sortie de son EP en fin de clip pour profiter à fond, le piège se referme. Légère faille dans le plan, si on veut chipoter : très peu de médias reprennent le nom du rappeur, ils concentrent avant tout leurs attaques sur le député. C’est le jeu.

Dans la sphère rap, le morceau n’a pas spécialement tourné. Pas assez dur pour vraiment choquer, pas assez parodique pour vraiment faire rire. D’autant qu’il s’inscrit dans une longue tradition de titres basés sur des noms de politique.

On peut citer ceux qui la jouaient attaque frontale. Sniper avec Fadela (pour Fadela Amara), Diam’s avec Marine, Beocea avec Manuel Valls, Joey Starr avec Sarko, Iron Sy, Dadoo et encore Joey Starr sur Sarkozy.

Viennent ensuite les vanneurs. Infinit qui raille Christian Estrosi, La Fouine qui rappelle le côté escroc de Chirac, Veerus idem… D’ailleurs les politiques ne s’y trompent pas : Estrosi a attaqué Infinit en justice. Pas rancunier, le rappeur lui a offert un remix avec Alpha Wann, Nekfeu, Alkpote, Greg Frite, Millionnaire, Jeune Zmaël, Eff Gee et Mr Agaz. Un citoyen exemplaire.

La blague peut aller jusqu’au contrepied total, comme Don Choa qui déclarait son amour à Rama Yade (et pas qu’une seule fois) ou Sofiane qui promet une lune de miel dans le 93 à Marion Maréchal Lepen.

Ajoutons aussi les name-droppings gratuits où le nom du politique n’est présent qu’en raison d’un jeu de mot ou d’une évocation lointaine ou indirecte de sa réalité. Carjack Chirac de Niska et XVbarbar, Merci Chirac de Seth Gueko, Sarkozic de Sinik ou La nouvelle vie de Jacques Chirac de Lalcko et M24.

Il existait une exception avec Lacrim sur Jacques Chirac. Il a expliqué avoir choisi ce nom car il l’apprécie : « je le trouve lourd, charismatique, le plus charismatique des présidents français, je le kiffe ». Pour autant le morceau ne contient strictement aucune référence à l’ancien président et le rappeur ne s’est heureusement pas rabaissé à défendre en musique l’auteur du discours sur le bruit et l’odeur. Rétrospectivement ça aurait simplement dû s’appeler Benzema vu que le légendaire « c’est nwar, arrête », concernait un extrait.

Plus récemment, certains ont poussé le côté gimmick absurde plus loin. Milano Stryker est parti d’un sketch de l’humoriste Haroun pour en tirer un gimmick autour de la démarche de la patronne du Rassemblement National. Le résultat est un simple morceau dansant avec un refrain rigolo sans vraiment de critique sur la fille de Babe. Accompagné d’un clip où des danseuses ont un masque à son effigie. Allez, on va dire que le back « attention, y’a Marine Lepen » peut servir de garde-fou au cas où des gens croiraient à une pub 1er degré pour le RN.

Fin 2021, Fadoo s’est illustré avec ses 2 freestyles Jean-Luc Mélenchon. Le modèle est simple. Un couplet egotrip puis un refrain dans la continuité (« on n’aime pas la police, on veut gouverner le monde ») où chaque mesure finit par « comme Jean-Luc Mélenchon » avec des mecs arborant un masque de JLM. Sur le second freestyle, même formule mais « j’aime pas la police » laisse place à « on est insoumis » et la formule fonctionne toujours.

C’est celui qui se rapproche le plus de Yanni et qui l’a peut-être inspiré, va savoir. La construction est exactement la même, la spontanéité en plus. Les clips sont vite devenus viraux sur les réseaux. A la différence des titres précédents, le rappeur ne se moque pas du leader de la FI. Aucune comparaison n’est pensée comme négative, cela relève plus du clin d’œil amusé.

Le morceau Louis Boyard sonne à première vue comme une sorte de fusion entre Fadoo et Medine. Mais la présence du député dans la vidéo change tout. Pas parce qu’il commet « un manquement à sa fonction parlementaire » en figurant dans un clip de rap. Dans la mesure où ladite fonction est à peu près aussi respectable qu’un Candida*, il y a de la marge. C’est dans l’autre sens que ça coince. La présence de l’élu transforme fatalement la chose en un éloge assez gênant de sa personne.

RIP Michael K. Williams

Il existe tout un triste historique du rap français inféodé à la gauche institutionnelle, autrement dit le Parti Socialiste. Pour les plus jeunes qui ignorent de quoi il s’agit, rappelez-vous la réplique de Weasel à Deadpool avant que le héros vêtu de rouge parte affronter les méchants : « je pourrais t’aider, mais j’en ai pas envie ». C’est une synthèse assez fidèle de leur ligne politique. Quand le rap hexagonal explose, ces braves gens se disent que c’est un bon moyen de récupérer des voix de banlieue à condition que leur discours n’aille pas trop loin. Cela a souvent lieu via les paillassons de SOS Racisme qui ont toujours eu leurs entrées à Skyrock.

Bien sûr Boyard ne semble pas aussi nocif que ces saletés, pour l’instant. Mais ce genre de séquence ranime des traumatismes terrifiants pour quiconque a vu de ses yeux Ärsenik chez Yannick Jadot voire pire. Certains d’entre nous font encore des cauchemars en se rappelant Disiz, Kery James et Diam’s qui chantent les louanges de Ségolène Royal. Avant de tous déclarer des années après qu’ils regrettaient amèrement de s’être faits manipuler ; c’était un peu tard.

Restons réalistes, nous en sommes encore loin. En outre les droitards ont promis à Yanni des poursuites judiciaires et il s’est ramassé le traditionnel tombereau d’insultes et menaces sur ses réseaux. Ça suffit à le rendre un minimum sympathique. Surtout que de l’autre côté, il n’a pas vraiment eu beaucoup de soutien du monde du rap, public inclus. Normal, vu sa faible notoriété et l’aspect très éphémère de la polémique. En revanche il y a aussi eu des réactions consternantes de la frange la plus conne des auditeurs. Ceux-là condamnent fermement son clip, regrettent qu’il mélange rap et politique (sic), estiment qu’il répand la haine avec ses appels au meurtre. Ils régurgitent l’argumentaire de la droite au mot près sans même s’en rendre compte, c’est magnifique.

Ce qui est choquant du point de vue du RN et ses affiliés ne devrait pas l’être du point de vue de l’auditeur de rap lambda. Déjà parce que c’est la honte, et aussi pour des raisons d’habitude. Les rappeurs s’expriment de façon assez directe, parfois familière, parfois encore plus explicite. Il n’y a aucune raison logique de pleurnicher si le même ton est employé lorsqu’un sujet plus concret est abordé. Sinon un jour on se réveillera dans un monde où des demeurés exigeront le retrait de passages qui visent les autorités en général, même les plus anecdotiques. Les plus attentifs noteront que c’est déjà arrivé sur le clip de Bande Organisée. La scène de moins de 10 secondes où des petits caillassaient une voiture de police pendant le couplet de Soso Maness a été censurée d’un commun accord entre les syndicats bleu marine et l’équipe de Jul. Ce serait un cauchemar que ça devienne la norme.

Certains seraient tentés de défendre Yanni en invoquant des grands rappeurs engagés, des prises de position dans des morceaux classiques… C’est gentil, mais on ne devrait même pas en arriver là.

Pour rappel, dans l’ancien monde, quand des rappeurs avaient une panne d’inspi, ça donnait le morceau ci-dessus. Notons que l’on ne parle pas de rappeur dits conscients, encore moins politiques ou spécialement engagés. Leur public n’était pas moins jeune ou moins bourge que l’auditeur gentrifié actuel. Simplement, s’ils se réunissaient en studio en voulant s’amuser un peu, ils aboutissaient le plus naturellement du monde à un concours de gros mots où la cible était toute trouvée.

Une insulte par mesure, allusions sexuelles les plus dégueulasses possibles, quota rachitique de phrases un peu plus concrètes (« videz les pénitenciers », tout ça), le bingo est là. On ne le répétera jamais assez : ce genre de son était d’une banalité totale, presque considéré comme un thème « trop » facile qui ne choquait personne. Et c’était très bien comme ça.

*Ce n’est pas une faute d’orthographe.

View Comments (0)

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Scroll To Top