Plus le temps passe, plus on a l’impression que les sonorités west coast sont en voie d’extinction dans l’hexagone. Pourtant certains rappeurs français continuent de se prêter à l’exercice, il suffit de bien les chercher.
En France, le rap a souvent pour habitude de pomper s’inspirer de son mentor d’outre-atlantique. Pas de honte à avoir, ça reste une musique importée et lorsque c’est fait avec talent, cela donne de très bonnes adaptations, non des tristes copiés-collés. Depuis la seconde moitié des années 2000, en terme de zone géographique, le South est à souvent à l’honneur. Dernièrement l’Angleterre a fait une percée très rapide, et on pourrait continuer comme ça longtemps. Pour les amoureux de la west coast en revanche, c’est plus compliqué. Les sonorités qui ont fait les grandes heures de certains singles des années 90 sont passées de mode. Au point que les artistes restés dans ce registre sont pratiquement considérés comme une niche. Pourtant, quand on s’y penche de plus près, l’influence est toujours là, disséminée et plus discrète mais pas disparue. Et parfois on se prend à rêver et à imaginer quels rappeurs pourraient livrer un album entier axé sur ce style. En tout cas quand on a une vie de merde ça peut arriver de penser à des trucs comme ça.
Cela permettrait de varier un peu les plaisirs en ramenant une couleur pas assez exploitée ces temps-ci, mais ce n’est pas tout. Cela peut relancer des carrières, sauver de la dépression et éventuellement sauver des vies. Un MC qui part sur de la drill, de la jersey ou encore des tentatives de tubes dans la tendance du moment, est de fait en concurrence avec beaucoup, beaucoup de monde. Avec la West, ça sature moins, pas de pression. Pas de pression donc pas de stress, donc épanouissement, santé, bonheur, matin ensoleillé, les céréales avant le lait, etc.
Prenons l’exemple de Driver. Il aime le rap de manière globale, est passionné mais n’avait jamais sauté le pas du LP 100 % west. Jusqu’à ce qu’Aelpeacha lui dise selon ses propres termes « faut que t’arrêtes tes conneries, sors nous un album west coast de A à Z » Le Sarcellois est même allé plus loin dans les coulisses de Rap Jeu où il a déclaré : « la vérité c’est que moi je comptais arrêter le rap, plus faire de musique du tout, et c’est Aelpeacha qui m’a remotivé avec ce projet, vraiment je lui dois beaucoup ». C’était beau, Aelpeacha minimisait son influence, les Sales Blancs rigolaient, bref la magie de l’éthanol réchauffait les cœurs.
Driver n’est pas le seul dans ce cas de figure. D’autres ont montré occasionnellement assez d’aptitude pour qu’on soit en droit d’imaginer une sortie West de bonne facture. Voici une sélection des artistes-qui-cartonneraient-avec-un-album-west-mais-qui-veulent-pas-trop-le-faire-alors-que-franchement-ce-serait-cool. Dans la plus grande tradition des fantasmes d’auditeurs qui ne mènent à rien.
NB : la liste ne se concentre pas sur un genre en particulier, tant que c’est un style qui vient de la côte ouest des USA, on prend. G-Funk, Ratchet, Mobb Music, Jerkin, Function Music ou même Hyphy pour les plus drogués du fond de la classe.
Graya
Graya est à l’origine de cet article puisqu’il a annoncé sa retraite du rap il y a quelques jours. Cela a suscité deux réactions majeures : « merci pour les tubes avec Naps » et « c’est qui ce mec ». Mais pour votre humble serviteur, c’était un énorme regret pour une raison précise.
Depuis 2016, Graya a démarré une série de sons sobrement intitulés La Castellane, d’après le nom de sa cité. Excepté La Castellane 2, tous les autres du 1 au 5 sont produits par le brave Néné et c’est pas dégueu du tout. Les sonorités et même l’esthétique des clips vont crescendo vers l’ouest des USA et le rappeur s’y adapte parfaitement. La talk-box s’invite de plus en plus, les lowriders aussi. En plus, Graya est marseillais. Il a un décor naturel qui se prête aux clips ambiance californienne, soleil, plage, kalachnikovs etc. C’est un peu scandaleux que cette ville ait offert si peu de ponts avec la West Coast, c’est l’occasion de laver l’honneur. Et d’offrir enfin une descendance à l’héritage oublié du groupe Uptown.
Certes, au moment de le relooker pour la sortie du 1er album, son équipe a opté pour la formule Biggie. Le survet-casquette a laissé place au manteau-béret, et c’est vrai que sur un gros noir c’est toujours stylé. Mais ne vous y trompez-pas, la place de ce mec est dans une cadillac entouré de gens en bandana.
Le vrai souci c’est que Graya appartient à l’écurie 13e art, et leur vision du single type est à des années-lumière de tout ça. Dans Réincarnation, son dernier album en date, plus aucun morceau n’a cette couleur, par contre il y a un énième feat de Ninho avec un énième clip tourné en boîte et une énième absence d’originalité. Mais il a aussi des tresses sur la tête, donc tout n’est pas perdu. Quant à sa retraite, ce ne serait pas le 1er ni le dernier à revenir sur sa décision.
Lil So
Moment anecdote. En 2020, au cours d’une release party où presque toute la team 13e art était présente, les rappeurs se succédaient sur la petite scène du club où se déroulait la soirée. La plupart faisaient du semi-back sur des morceaux dansants et chantonnés. Puis une voix teigneuse se fait entendre et un gros « JE FAIS MOUILLER TES BITCHES, JE FAIS MOUILLER TES BITCHES » retentit suivi d’un rythme et d’un phrasé qui tranche complètement avec les ambiances autotunées précédentes. En se rapprochant un peu, se distingue une petite silhouette que le reste du crew dépasse d’une bonne tête, et surprise c’est une rappeuse. C’était la 1ere fois que je voyais Lil So en live. On ne va pas sortir la phrase type « c’était la seule fille et elle a rappé avec plus de couilles que tous les autres réunis » mais pas loin. Autre satisfaction : l’instru façon DJ Mustard type beat qui lui convenait parfaitement.
Même avantage de localisation que son comparse Graya, et malheureusement mêmes obstacles. Non seulement sa 1ère sortie officielle se fait attendre, mais en plus les quelques sons qui ont été balancés depuis YZ sont orientés chant/tube du moment. Et une sorte de drill marseillaise. C’est dommage. Il y a toujours eu une tradition de kickeuses westeuses énervées, quasi-absente en France. Il est temps que Ste Strausz ait une héritière digne de ce nom alors bougez-vous le cul chez 13e Art svp.
Infinit
Ce nom peut surprendre ici tant le MC est associé à une image de découpeur habituellement rattachée à l’école New Yorkaise, même si c’est un cliché. Oui, Infinit a peu posé sur des sons made in L.A ou Bay Area. Il y a eu les sirènes des prods de Sud-Est et Ma Version des faits ainsi que celles de Weedim à l’époque de Plusss, sans plus. Mais il reste un technicien qui par définition est un RTT (Rappeur Tout Terrain). Lors d’un challenge en studio, son défi était de faire un morceau typé West Coast et le résultat a été plus que convaincant. Comme Nubi à l’époque où ses compères Grignois le ramenaient dans leur univers, il se trouve que son flow assez fluide se marie plutôt bien avec ce type de beat.
En plus, il est Niçois. Même chose que les Marseillais, le décor naturel est là, autant en profiter. Bonus non négligeable : dans son exercice de style, il place la phrase « je viens clore le débat comme dans L’Ultime Souper ». Une double référence avec la traduction littérale du titre de l’album de Snoop Tha Last Meal et un renvoi au film L’Ultime Souper. Le long-métrage racontait l’histoire d’un groupe d’amis qui invitent des droitards (racistes, bigots, réacs en tout genre) à dîner pour débattre avec eux. Sauf que s’ils ne parviennent pas à leur faire changer d’avis, à la fin du repas, ils les empoisonnent avec du vin. On pourrait donc avoir un running gag de parallèles farfelus entre classiques West et cinéphilie tordue. Appétissant.
Rohff
Est-ce vraiment utile d’argumenter ? Roh2f n’est pas identifié comme un rappeur west par le grand public mais c’est bel et bien un bousillé du secteur. Capable de citer des rappeurs de la Bay Area tristement boudés dans l’hexagone, fanatique de 2Pac d’où l’influence de All Eyez On Me sur ses double-albums, prêt à faire un remake du Good Day de Ice Cube et reprendre Black Superman (pour illustrer le biopic de Biggie mais on n’est plus à une contradiction près)… Évidemment, il aime aussi le rap au sens large, ce qui explique l’absence de sortie entièrement dédiée à ce style. Et pourtant, qu’est-ce qu’il y aurait gagné, surtout ces dernières années. Si vous calez ses couplets même les plus récents sur des faces B de rappeurs contemporains de L.A, Sacramento, Oakland ou San Francisco, ça rattrape même ses pires phases.
En somme, Rohff est dans le même cas que Driver sauf qu’il n’a pas son Aelpeacha pour jouer les anges sur son épaule et l’orienter vers son glorieux destin de westeux. Et il y a fort à parier que personne de son entourage ne va lui sortir une phrase qui commence par «faut que t’arrêtes tes conneries » et qui se termine par un ordre direct. La vie est mal faite. Cependant les plus blasés peuvent se consoler avec une playlist de tous les morceaux west qu’il a déjà sortis, éparpillés dans sa discographie, du Son de la hagrah à Bitch n’a pas de cœur.
KPRI (feat Mini, Noma et Jolly)
Par principe, il fallait des Lyonnais dans cette liste. Pour ceux qui débarquent, Lyon a toujours été un bastion de la Funk qui a refusé de céder un centimètre à tout autre genre musical. Ils existent, mais la Funk reste au-dessus. La filiation est logique. La preuve avec Pass Pass ; si vous n’êtes pas un vieillard ou un maniaque, ce nom ne vous dit rien mais c’était un groupe revendiqué west coast. Sauf que Lyonzon n’a strictement rien à voir avec ça. Génération et influences différentes, les instrus minimalistes et/ou drill règnent en maîtres et la lean a remplacé le cognac depuis longtemps. Sur le papier rien n’indiquait que KPRI, plus jeune membre du crew, serait celui qui se rapprocherait le plus des racines historiques de la ville. Pourtant le miracle a eu lieu. D’abord un peu timidement, sur le clip Cactus où en plus de parfaitement s’intégrer sur le beat du magicien Fakri Jenkins, le rappeur tape un C-Walk. Détail amusant, il dit « je tape un pas de Funk », c’est adorable. Sur Volant, rebelote sur la toute fin, alors que la sirène lancinante se balade sur l’instru, il exécute à nouveau ses pas de danse le plus tranquillement du monde.
Pareil pour les collègues Mini & Noma, qui sur Cactus et Cactus 2 s’en donnent à cœur joie même s’ils ne dansent pas. Idem pour Jolly sur Zone 51, dans un autre style. Kpri reste à ce jour le plus attaché à ces types de sonorités puisque même quand il fait une reprise de Gims, le beatmaker Amnezzia la modifie suffisamment pour sonner L.A. Cela ne dénature pas l’identité de sa musique puisqu’on reste dans le sombre malgré tout. Mais si un jour il est d’humeur plus taquine, ce sera l’excuse parfaite pour sortir un clip ensoleillé qui s’appelle KPRI Sun et ça c’est pas donné à tout le monde.
La Fouine
Dans une autre vie, Lahouni était très porté sur la Californie. C’était même son 1er amour rapologique, il n’a découvert New York et le Sud que seulement après. Son tout premier album comportait de gros indices sur ses goûts. Le single Quelque chose de spécial nous montrait qu’il est possible de danser le C-Walk en restant assis et vous pouvez vous amuser à reconnaître certains guests des westriders français de l’époque (le Foulala à 2’35, au hasard). Jusqu’au point où un génie lui avait demandé s’il était le « Snoop Dogg français » dans une émission sur MCM. Essentiellement parce qu’il était grand et maigre. Du même acabit que le catastrophique « vous êtes un peu le Eminem français » que tous les rappeurs blancs se tapent une fois dans leur carrière, mais on va dire que ça compte.
Sauf que ce 1er album est aussi celui qui a le moins bien marché. Juste après il s’est recalibré sur la tendance de l’époque, est tombé amoureux du deuretisawousse comme ses collègues, et ce fut la fin d’un beau rêve. Dommage parce que le bruit courait qu’il voulait faire une sorte de triple mixtape où il poserait sur des classiques : une partie New York, une partie South et une partie West. Ça n’a jamais eu lieu.
Petit bonus : il pourrait re-feater avec les vétérans de L’Skadrille qui eux aussi, le temps d’un morceau, avaient prouvé leur amour de la westside aux côtés de Manu Key.
Carson
MC du 94, Carson n’est pas limité à un seul style mais comme d’autres de la liste ses penchants pour la ville des anges et sa région ne fait aucun doute. Sur chacune de ses sorties se trouve au moins 2 ou 3 morceaux qui y renvoient directement. Sans parler des évidences comme 94310 qui reprend Deep Cover, des invités comme Driver sur Roule avec nous, des choix de titres comme Crenshaw, des clins d’œil « je viens de la west coast de l’Algérie »… Avec Infinit c’est le seul de la liste à être trop maniaque pour abandonner les multisyllabiques et les punchlines. Avec une grosse option name-dropping crapuleux pour Carson. Que ce soit pour comparer la poitrine de persos de One Piece, s’identifier à Schoolboy Q ou évoquer la vie sexuelle de Gérald Darmanin, c’est souvent marrant et parfois très crasseux.
Le bonhomme revient avec le EP Concentré II le 4 février prochain, il est possible qu’à un moment on entende « je rappe comme un mec de la Bay », les doigts sont croisés et les oreilles ouvertes.
Avantage non négligeable, il pourrait réinviter L’Don qui semble tout autant goûter ce genre de vibe et ne rechigne pas à croiser le micro avec lui sur cette ambiance.
Freeze Corleone
Même application qu’Infinit, c’est un RTT. On peut avoir l’impression inverse vu qu’il se cantonne à une seule et même formule depuis son succès. C’est faux, dans sa folle jeunesse Freeze a posé sur à peu près tout type de faces B américaines avec une aisance non dissimulée.
C’est loin de sonner faux quand Corleone pose sur autre chose que de la drill ou des ambiances lugubres et dépouillées tout en gardant sa forme finale de Freezer en terme de flow et texte. On le voit sur sa collaboration avec Jolly du paragraphe juste au-dessus, pareil sur quelques sons de l’album commun avec Ashe 22 qui le sortent un peu de sa routine. Mais le plus gros indicateur ce sont les innombrables remix dits « Funk Corleone ». Ses couplets, pourtant pas du tout pensés pour ça, passent étrangement bien sur des samples de tubes planétaires. Ces remix non officiels avaient d’ailleurs été validés par Flem lui-même, que ça amusait pas mal. Même le remix de Freeze Rael avec des bruits de pets le faisait marrer. En plus d’être un boss du beatmaking il a quand même pas mal d’humour, gloire à lui même si cette curieuse conversation avec un type en peignoir a malheureusement été coupée de son passage dans Rap Jeu.
Amener le membre du 667 sur ces ambiances (la Californie, pas les prouts) l’inciterait peut-être à parler de femmes, voire de sexe. Ce ne sera pas nécessairement réussi mais ce sera forcément comique.
Vous pensez sûrement « si je veux un westeux accusé d’antisémitisme, autant prendre Ice Cube directement et si je cherche des mecs qui se branlent sur des noms de dictateurs j’écoute les Outlawz ». Oui mais le rap c’est aussi le challenge, c’est pourquoi notre fan de Pokemon doit aller chercher les champions US sur leur terrain. Ça implique des instrus diamétralement opposées à celles que Freeze utilise actuellement. D’aucuns relèveront que plus personne ne se souvient des polémiques d’Ice Cube. C’est tout à fait vrai, mais c’est avant tout parce que le mec portait un bandana stylé au lieu d’un durag plissé. Et parce qu’il a tenu à se distancier à vitesse grand V quand Kanye a tenté un rapprochement dernièrement. Bref il y a encore du chemin.
Gims
Parce que ce refrain existe. Voilà c’est tout. C’était les temps anciens où Gims n’avait pas encore découvert Johnny Halliday ; il expliquait qu’un de ses modèles principaux était Nate Dogg. Et ça s’entend.
Accessoirement le son date de juillet 2008 et il se posait déjà la question « en parlant d’avenir, que va devenir Sarkozy si je me décidais à faire un feat avec Carla Bruni ? Orrh, c’est une plaisanterie ». Sauf que c’était pas du tout une plaisanterie, on a la réponse puisque cet horrible feat a eu lieu. Sans surprise, ça n’a absolument rien changé du côté de Sarkozy qui vit sa meilleure vie en dépit de la partie « affaires judiciaires » qui occupe désormais autant de place que « fonctions et mandats » sur sa page wikipedia. On vit dans la pire version du multivers, épisode 48526.
En réalité il y a un autre morceau qui peut laisser entrevoir un espoir. Avant de divaguer sur Mozart, il avait fait un clin d’œil à un classique de Doc Gynéco sur VBT. Son refrain « je crois que je l’ai trouvée, la feuille à rouler, tous mes soucis dans une feuille à rouler » reprenait « j’aime la rouler, la feuille à rouler, j’aime la fumer, la fille bien roulée » du morceau Les filles du moove. Plutôt que de faire du cloche-pied derrière un public qui s’éloigne à la vitesse d’un cheval au galop, il suffit de coller au modèle de l’album Première Consultation. C’était orienté west, mais pas seulement. De l’avis de tous les participants à la conception du LP, de Kenzy à Papillon, l’autre couleur dominante, c’était celle de la variété française. Se situer à la croisée des chemins de la chanson et du rap serait une situation idéale vu les aptitudes du rappeur-chanteur dont l’identité artistique est portée disparue. La filiation est évidente : c’est comme si Classez-moi dans la variet avait été écrit pour lui.