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Mohamed Mbougar Sarr: éblouissant Prix Goncourt 2021

Mohamed Mbougar Sarr: éblouissant Prix Goncourt 2021

Chaque mois de novembre, le monde littéraire est en émoi quand l’Académie Goncourt décerne son prestigieux Prix. Le lauréat 2021 est le jeune et brillant écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr pour son quatrième roman La plus secrète mémoire des hommes.

A bien des égards, le prix Goncourt 2021, décerné à Mohamed Mbougar Sarr pour son roman La plus secrète mémoire des hommes, est un symbole. Le jeune écrivain né en 1990 est sénégalais, mais surtout l’ouvrage est coédité par deux maisons indépendantes. L’une est française l’autre sénégalaise.

De plus, il intervient 100 ans après la première attribution de ce prix à un écrivain Noir, René Maran, couronné pour son roman Batouala en 1921. Mohamed Mbougar Sarr se défend toutefois d’incarner un symbole. A ses yeux, le Prix Goncourt récompense un ouvrage, pas son auteur. Il admet toutefois que les symboles sont parfois nécessaires et bénéfiques. Chacun restant libre de s’y identifier ou non.

Le choix enthousiaste du jury est pourtant fort. Il sublime la diversité et la richesse de la Francophonie, ce qui n’est pas rien, disons-le, au sein d’une société nettement divisée et fracturée. Au-delà du débat sur la symbolique, le Prix est incontestablement mérité. C’est bien là l’essentiel.

La quête labyrinthique du Labyrinthe de l’inhumain

Le narrateur, jeune écrivain sénégalais vivant à Paris, n’a qu’une obsession : retrouver Le labyrinthe de l’inhumain. Ce livre perdu et oublié du mystérieux TC Elimane, lui aussi sénégalais, littéralement disparu après la publication en 1938. L’histoire est librement inspirée de celle du malien Yambo Ouologuem qui avait reçu le Prix Renaudot en 1968 pour Le devoir de violence.

Un temps encensé par la critique, le livre fût ensuite fustigé pour plagiat et l’auteur disparût de la scène littéraire. Notre personnage remonte ainsi le temps pour élucider les mystères de cette œuvre fantôme. Ce faisant, il replonge dans les tourments et les conflits du siècle passé.

Il nous embarque dans sa labyrinthique épopée de Paris à Dakar, en passant par Amsterdam et Buenos Aires. Le récit est une subtile mise en abîme de Mohamed Mbougar Sarr lui-même questionnant avec une étonnante maturité le destin d’un écrivain africain en exil. «Il (TC Elimane) a trouvé dans la littérature son pays, peut-être le seul ».

Un grand livre, qui ne parle de rien

« Un grand livre ne parle jamais que de rien et pourtant tout y est». Clairvoyante déclaration de l’un des personnage du roman. Les critiques sont dithyrambiques et unanimes : La plus secrète mémoire des hommes est un grand livre. Il ne parle de rien ou presque et il y a tout dedans (n’était-ce pas là l’ambition ultime d’un certain Flaubert ?).

Mohamed Mbougar Sarr navigue entre narration classique, récit fantastique, critique littéraire, extrait de journal intime et roman épistolaire. Bien que les changements de narrateurs soudains surprennent, l’auteur ne nous perd jamais dans son labyrinthe narratif. Il ose même à plusieurs reprises s’adresser indirectement au lecteur pour amplifier la puissance de son récit.

Parfois crue mais jamais vulgaire, truffée de références au passé, historique et littéraire, l’écriture est résolument moderne. Alors que le jeune écrivain glisse ci et là quelques réflexions satyriques sur notre époque, il ne la méprise jamais, évitant un larmoyant et facile passéisme.

Mais qui nous apprend tout

Le roman est également un hommage aux femmes, acclamant avec subtilité et délicatesse leur émancipation et indépendance à travers l’un des personnages principaux, l’écrivaine Siga D mais aussi des personnages secondaires comme Aïda ou la poétesse haïtienne.

Roman initiatique, l’histoire de la recherche de ce livre maudit qu’est Le labyrinthe de l’inhumain est une analogie de la quête de soi, de notre propre vérité. A de nombreuses reprises l’écrivain nous renvoie face à nous-mêmes, à nos craintes et nos doutes avec justesse et pudeur.

Invitation à mieux se comprendre, La plus secrète mémoire des hommes est avant tout une brillante et érudite déclaration d’amour à l’écriture. Une ode à la littérature qui affiche l’ambition de la remettre à sa juste place ; au centre de nos vies.

Pour reprendre l’auteur lui-même sur le plateau de l’émission La Grande Librairie alors que son présentateur François Busnel lui demande à quoi sert la littérature : « La littérature ne sert pas à trouver de réponses, mais à poser de meilleures questions ».

Touché. Bravo, Monsieur Mbougar Sarr.

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