Dix ans à chercher sur la planète quel est le…
Avec Walden, sorti en salle le 7 septembre 2022, Bojena Horackova signe un film fort et émouvant sur la jeunesse lituanienne d’avant la chute du Bloc communiste. Premiers émois amoureux, rêves de liberté qui s’incarnent à l’Ouest, questions sur l’exil, marché noir, la réalisatrice nous emmène avec grâce et talent dans des territoires complexes qu’elle nous invite à déchiffrer sans jamais les expliquer. Le film est porté par deux merveilleux acteurs : Ina Marija Bartaité dans le rôle de Jana adolescente, et Laurynas Jurgelis dans le rôle de Paulius.
Bojena Horackova possède cette qualité qu’elle partage avec les plus grands : faire exister ses personnages face à la caméra. Une alchimie mystérieuse qui nous fait plonger sans artifice dans l’intimité des corps. De jeunes adultes noyés dans la tristesse sans fond du Bloc soviétique rêvent de l’Ouest. Dès les premiers plans, on est happé par l’histoire. Avant tout une histoire d’amour. Qu’importe si elle se déroule en 1989 dans une Lituanie sombre et sans relief propice à anesthésier les consciences.
Ce n’est pas ce récit politique qui nous prend au corps dès les premières images, c’est la force cinématographique qui émane de cette bande d’amis, leurs échanges, leurs espoirs, leur recherche d’un ailleurs dans la force universelle de leurs vingt ans.
Ils rêvent d’un passeport
Ils rêvent de la possibilité de s’enfuir pour quitter une terre inhospitalière et sans avenir. Sont-ils pour autant convaincus que le franchissement d’une frontière physique les fera basculer dans un ailleurs porteur de tous les espoirs ? Cet empêchement qui trouve sa source dans une idéologie usée, un communisme en fin de vie, n’agit-il pas comme un catalyseur qui donne à leur existence une force, un sens ?
Leur poésie que Bojena Horackova nous restitue avec talent ne prend-t-elle pas sa source dans cet impossible ? Ils s’en nourrissent et traînent leur mélancolie comme un fil d’ariane. Serait-ce l’empêchement d’être qui leur permet de diffuser autant d’amour par leurs regards, leurs gestes ?
Que veut nous dire Bojena à travers ce come back ?
Seule Jana réussira à s’enfuir. Après trente ans d’exil à Paris, elle revient à Vilnius retrouver le lac que Paulius, son premier amoureux, appelait Walden. Et c’est ici que le film, malgré la qualité des acteurs (Fabienne Babe tient le rôle de Jana adulte), ne tient plus.
Que veut nous dire Bojena à travers ce come back ? Elle se trouve dans la nécessité d’expliquer, de donner à son film une raison d’être… Le thème du retour est un sujet en soi que Bojena semble refuser en l’effleurant. Serait-elle ambivalente sur cet aller-retour qui touche son intimité ? Enfermée entre une incapacité de justifier le régime communisme et l’effet déceptif d’une transgression. A quoi bon creuser ce point qui, s’il soulève une vraie question, ne semble pas être le sujet du film.
C’est un film sur le vent
Avec Walden, Bojena Horackova signe une œuvre d’une grande modernité qui s’inscrit dans une recherche d’absolu qui donne à tous les « acteurs » du film la liberté de faire son « propre cinéma », acteurs, spectateurs, environnement hyper présent. La nature joue le rôle de grand témoin, de récepteur. Sans la forêt, le vent, les lacs, le film n’est rien. Comme le dit Bojena, c’est un film sur le vent. Sur tout, sur rien, le temps, le passage, nos êtres, leurs manières d’être qui ne sont pas sans nous rappeler Apichatpong Weerasethakul ce cinéaste contemporain majeur qui fait communier dans un même élan, nature, culture, présent, futur, odeurs, sons, voix… en bouleversant nos imaginaires. Des cinéastes d’un nouvel âge, celui de la complexité, qui n’hésitent pas à quitter les chemins tout tracés du scénario pour s’enfoncer et se perdre, comme le vent dans la forêt, dans la complexité de notre humanité.
La liberté aujourd’hui nous dit autre chose
On aimerait que Bojena Horackova s’aventure au-delà de cette époque lointaine pour nous raconter le temps présent. Si le même fil rouge s’étire au-delà de nos consciences dans une répétition sans fin, la liberté nous dit aujourd’hui autre chose. De nouveaux univers se télescopent avec encore davantage de violence. Qui sommes-nous lorsque nous allons au-delà de frontières, hier impossibles à franchir ?
Que faire de cette saturation des corps qui nous emporte chaque jour un peu plus ? C’est là que nous attendons le cinéma et des réalisateurs comme Bojena Horackova. Faire apparaître dans la brume de leurs rêves de nouveaux langages, de nouvelles pistes pour le futur. Et pour conclure, cette phrase de Godard, un passage obligé ce 15 septembre 2022 : « Je ne veux parler que de cinéma. Pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout. »
Dix ans à chercher sur la planète quel est le meilleur endroit pour vivre et comment. Quelques dommages collatéraux et à trente ans un changement de cap qui m’a fait comprendre le dessous des cartes en termes d’économie et de politique. Passionnant. Un retour aux sources depuis dix ans qui ne me laisse plus le choix sinon de renverser la table . Maxime : « Ne jamais lâcher l’affaire. »