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Le billet du mort #1

Le billet du mort #1

Ça s’appelle comme ça parce que c’est un billet d’humeur et a priori quand t’es mort, t’en as plus rien à foutre.

Ces derniers jours ont été marqués par la mort d’une vieille dame, ce qui est plutôt normal si on se réfère à l’adage de Beanie dans Retour à la fac. Sauf que c’était la reine d’Angleterre, Élisabeth II. Ou Elizabeth II, personne ne semble d’accord sur son prénom dans la presse francophone. Il vaut mieux se fier à ceux qui ne déçoivent jamais dans les moments solennels : les Irlandais qui l’appellent Lizzy. Plus précisément quand ils beuglent en plein stade « Lizzy’s in the box, in the box, in the box ».

En temps normal, un décès est synonyme d’ambiance pas tip top. Mais quand une couronne est impliquée, il y a toujours un aspect comique. Certes, c’est regrettable. Une reine qui meurt sans que cela implique un siège, une bataille avec des épées ou au moins une guillotine, ça fait très petit budget, mais tâchons de voir le positif.

En 1er lieu cela nous rappelle à quel point les Anglais sont à la fois très proches mais aussi très loin de nous, et par là j’entends complètement cinglés. Ça revient à observer un personnage agir rationnellement alors qu’il est dans un épisode des Animaniacs, c’est rigolo mais voué à l’échec. Ainsi « les abeilles de la reine ont été informées de son décès » est une information tout à fait sérieuse.

Allons-y dans l’ordre. L’annonce de la mort en elle-même est relayée partout dans le pays, y compris sur BBC Radio Dance. Grand moment radiophonique et commentaires au niveau comme « Rest In Peace my Queen (starts to cry while twerking) ».

Internet n’a pas déçu en nous offrant des memes à n’en plus finir, du montage photo au détournement vidéo. En temps normal, c’est le black twitter le plus inventif et fatalement le plus irrespectueux. Pas ici, où les vannes se limitent à imaginer Lizzy s’embrouiller au paradis ou danser avec Pop Smoke. C’est pas mal, mais les Irlandais restent pour une fois inégalés. Ces braves alcooliques ont envahi les réseaux avec des centaines de vidéos qui les montraient en train de crier de joie, klaxonner, chanter et même se déchaîner en boîte pour marquer le coup. Injouables. Ceci étant, les Ecossais et les Gallois gagnent un bon point pour l’effort mais leur haine n’était pas aussi pure que celle de leurs voisins, c’est regrettable.

Viennent ensuite toutes les ex-colonies du Commonwealth qui ne portent pas spécialement la dame dans leur cœur. Bien sûr la colonisation date d’il y a longtemps, mais la reine, c’est une vieillarde. Déjà là à l’époque, son règne commence en 1952. Ce n’est pas juste le symbole du colonialisme anglais, ça ce serait plutôt une mascotte ou un drapeau, non, elle, c’était la proprio. Pour des raisons de « neutralité royale » elle n’a jamais condamné les violences coloniales ou le travail forcé où que ce soit. Excepté quand elle a attendu la fin de l’apartheid pour dire qu’en fait, c’était pas bien, même si voler un diamant à plus de 400 millions ça fait toujours plaisir. Ça c’est pour l’Afrique du Sud et c’est déjà pas terrible. Concernant les autres, Nigeria, Kenya, Inde, elle avait sans doute aqua-cricket*. Les nombreux massacres et tortures ordonnés ou autorisés par sa propre famille ne lui ont jamais défrisé la mise en plis.

une banderole pas piqué des hannetons

Last but not least, les Australiens. Forcément, les aborigènes la détestent, mais les blancs aussi, et ça c’est fortiche. C’est en Australie qu’on envoyait les bagnards britanniques, comme le souligne Wolf Creek 2, film d’horreur culte au pays des kangourous. A la fin, le serial killer demande à un touriste la raison pour laquelle la Grande-Bretagne a refourgué ses taulards à l’Australie. Si le touriste répond juste, il le laisse partir. Le captif fournit une explication détaillée avec le contexte historico-géopolitique de l’époque. « Faux, rétorque le psychopathe, la réponse exacte était : parce que les British sont des fils de pute ». A bien y réfléchir c’est peut-être la scène la plus réaliste du film.

Tout le monde n’a pas autant de panache. C’est pourquoi, à Londres, une queue de plus de 8km pour 16h d’attente s’est formée. Beckham n’a fait que 13h mais c’est parce qu’il sait feinter. Les milliers d’autres n’avaient pas cette chance. Certains se sont évanouis par manque d’hydratation, d’autres ont fait leurs besoins dans un buisson, des tarés ont apporté les cendres de leurs proches pour une sorte de speed dating funèbre, autant de preuves de l’humour anglais s’il en est.

mort ou pas, les irlandais ils ont pas le temps

Une fois arrivé à destination, vous avez le droit de regarder un cercueil pendant une minute. Même pas un cercueil ouvert où la reine aurait un maquillage rigolo et des bijoux folkloriques. Il n’y a pas non plus d’écran diffusant en boucle ses meilleures apparitions dans South Park, Y’a-t-il un flic ou Johnny English. Juste une boîte fermée qui sent le pudding périmé. Seul happening notable : le garde qui est tombé dans les pommes après des heures de service. Autant dire que ceux qui l’ont loupé ont fait le chemin pour rien.

L’équivalent de ce niveau de dévotion populaire n’existe pas en France. Il faudrait un mix entre les fans de Johnny dans la rue à sa mort et la file d’attente pour l’hommage à Chirac aux Invalides. Sauf que Lizzy n’a jamais fait de moto et qu’il n’était pas possible de se prendre en selfie devant le cercueil. Avoir une telle patience pour si peu de spectacle demeure incompréhensible. Dans l’ancien temps on se serait contenté de traîner le cadavre derrière une carriole avec des gosses qui courent derrière, la garantie d’un heureux moment de communion citoyenne pour petits et grands.

Qu’à cela ne tienne, dans l’étrange dystopie qu’est l’Angleterre, les habitants vouent toujours une vénération aux survivants de leur monarchie. Dur d’expliquer pourquoi. Un fan de rois consanguins se contente généralement de regarder Game of thrones, mais pas eux.

la mort de la reine elizabeth c'est aussi l'occaz de rappele son plus grand rôle

Il y a bien eu cet homme dans la foule qui apostrophe Charles en lui faisant remarquer l’indécence de toutes ces dépenses quand la population galère niveau loyers et charges. Mais il était bien seul, une sorte de Billy Butcher perdu parmi les cloportes. C’est pourtant vrai, malgré leur fortune estimée à 28 milliards d’euros, le train de vie ces créatures est entièrement financé par les impôts. A un moment Lizzy a même tenté de s’approprier une partie du budget des aides publiques aux hôpitaux, écoles et foyers sans ressource juste pour pimper un peu plus Buckingham Palace. A la question « qu’est-ce que l’audace », la vieille mettait à l’amende n’importe quel prof de philo, il faut lui reconnaître ça.

C’est l’autre avantage d’une mort couronnée : le coup de projo sur les dégénérés qui font office de famille royale. Pour les plus jeunes d’entre nous, une famille royale est une sorte de groupe d’influenceurs qui n’a même pas à faire de placement de produit douteux pour recevoir des cadeaux hors de prix, voyager gratos et globalement être grassement payée à rien foutre. Par exemple on a redécouvert avec plaisir le quotidien du Prince Charles, désormais nouveau roi. En bon maniaque, il exige qu’un domestique lui étale son dentifrice sur sa brosse à dents, qu’on lui repasse ses lacets, etc. Si t’es pas anglais depuis 10 générations, sous les ordres d’un chieur comme ça, tu vires anarchiste radical au bout de 10 minutes .

L’enterrement est aussi l’un des rares moments où toute la portée est forcée de se réunir au grand complet alors qu’ils peuvent autant se blairer que les frères Pogba. Le monde entier peut alors constater que la malédiction qui les fait vieillir plus vite que la moyenne n’est pas une légende, mais ce n’est pas tout. En situation de tension et de stress, on a tendance à faire n’importe quoi. Y compris devant les caméras. Le grand gagnant a été le prince Andrew, dont la main a glissé sur le cul de sa fille, sans doute par réflexe. Sachant que sa mère avait claqué près de 13 millions pour étouffer plusieurs scandales d’agressions sexuelles et que même son implication avec Epstein est passée sous le radar, c’était peut-être un hommage inconscient qu’Andy lui a rendu, et ça réchauffe le cœur.

post insta publié la veille de l'annonce de la mort de la reine elizabeth, du génie

Côté héritage, évidemment Charlie échappe aux taxes sinon ce serait pas marrant. En revanche Lizzy leur a laissé une surprise : une lettre qui ne doit être ouverte qu’en 2085. Et tu peux être sûr que ces cons là vont réellement attendre cette date. Le seul twist qu’on espère c’est qu’il y ait juste marqué « I killed that bitch Diana lmao fuck you all #ForeverQueen » mais la lettre date de 1986 et Lizzy n’a malheureusement pas la classe d’Olenna Tyrell.

Elle ne s’en va pas sans laisser de cadeaux au monde extérieur. Le combo funérailles, couronnement, passation de pouvoir, changement d’illustrations sur les pièces de monnaie et autres passeports va coûter « entre 1,4 et 6,9 milliards » aux contribuables. Pour cause de deuil national, la banque alimentaire a fermé ses portes toute une journée. Moins sévère mais dans le même esprit, une fois leur avion posé en Angleterre, les représentants des ex-colonies étaient privés de voiture et d’escorte s’ils voulaient se déplacer pour rendre hommage. À l’inverse les chefs d’état US, français, allemand, italien, canadien, israélien (mais aussi l’empereur du Japon, comme quoi c’est vraiment les plus blancs de l’Asie) ont bien entendu eu droit à un traitement de faveur.

C’est à cela que l’on reconnaît les vrais grands de ce monde. Même après leur mort, ils continuent de pourrir la vie des plus pauvres mais aussi des basanés, y compris quand ils sont riches.

une mort, un billet, une humeur

Ne soyons pas 100% mauvaise langue. Cette mort a permis à Nicki Minaj d’être parfaitement dans les temps pour la sortie du Queen Mix de son morceau Super Freaky Girl et à Alain Chabat de parodier un énième caprice du Prince Charles pour annoncer sa nouvelle émission. C’est l’essentiel.

En parlant de la France, il est assez étrange que médias, élus, classe politique et dernièrement la RATP aient parlé à ce point d’une affaire qui ne concerne personne. Sauf peut-être Stéphane Bern mais il a désormais une solide carrière d’acteur à gérer. Le plus dommage, c’est qu’il n’y a pas longtemps, on a eu nous aussi un décès de personne âgée qui valait le détour.

A l’hôpital de Strasbourg, un homme de 81 ans est mort. Ok le décor est banal mais la mise en scène beaucoup moins. Il est décédé après plus de 20 heures passées sur son brancard sans que personne ait commencé à le soigner. Pas par négligence, mais parce que, comme les soignants l’avaient signalé la veille, ils manquent cruellement de personnel.

On avait du suspens, du désespoir, une course contre la montre, un twist surprise et c’était une production 100% française qui en disait vachement long sur l’état du pays. Médias et politiciens auraient pu s’en emparer et en tirer 3 semaines de débats et reportages… Mais bon, le malheureux ne fait pas le poids face au blockbuster anglophone, une histoire comme ça c’est grand max un téléfilm de France 3 ; face à une James Bond Girl, c’est peine perdue. Pas assez sexy ni vendeur, trop anxiogène. Et en plus il n’a même pas de nom.

Restons fair-play. Bravo à Lizzy malgré tout pour avoir assuré le dernier virage en distançant à la fois Drucker, Balladur et Lepen. Ce sera tout, car pour paraphraser un pote « pour certaines personnes ça sert à rien de dire R.I.P vu que dans l’endroit où ils vont, a priori il fait plutôt chaud ».

*ce sport existe réellement, c’est dire à quel point ce pays est foutu

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