Le berger de Cargèse s’en est allé… L’amour d’Yvan Colonna pour l’île de beauté et son combat pour son indépendance ont éveillé les consciences identitaires en son sein. Lors de ses obsèques, des milliers de personnes venues de Corse et d’ailleurs ont accompagné Yvan jusqu’à la chapelle familiale à Cargèse. Sa disparition élève aujourd’hui l’indépendantiste au rang de mythe. Entretien avec Patrizia Gattaceca, amie d’Yvan mais aussi chanteuse, interprète , auteur-compositeur, comédienne et enseignante à l’Université de Corse.
« Les Corses savent vraiment qui était Yvan. » affirme fièrement d’une voix chantante Patrizia Gattaceca, 64 ans. Celle qui a hébergé, un temps, Yvan lors de sa cavale, il y a près de 25 ans. Accusé de l’assassinat du préfet Claude Érignac et condamné à la réclusion à perpétuité, le berger nationaliste a toujours clamé son innocence : « Il y a ceux qui ont suivi toute l’histoire avec l’arrestation. Puis, son inculpation sans preuves matérielles. Pour autant des preuves à décharge existent dont on n’a jamais tenu compte. Et pour ceux qui ont suivi les procès également, ils ont vu là un homme, un combattant, se battant pour défendre son innocence avec les siens. À l’époque, on avait vu fleurir sur les murs de l’île : « Gloria a te Yvan ».
Celle qui a aidé le berger en cavale « par solidarité et entraide », parle d’un homme intègre et sincère : « Cela a été une joie, un honneur, d’avoir pu le côtoyer d’aussi près et d’avoir passé du temps avec lui. C’était quelqu’un qui aimait vraiment sa terre, les siens, son peuple. » avant de poursuivre, « Il était certes indépendantiste comme je le suis. Mais ce n’est pas parce que nous sommes indépendantistes que nous sommes des assassins. Mon combat je le livre à travers mes oeuvres, mon enseignement de la langue afin de tenter de préserver notre culture. »
« Ils ont arrêtés la moitié de la Corse »
« Pourquoi Yvan se met en cavale en 1999 ? Il faut bien savoir que lorsque les brigades anti terroristes ont mis la main sur le dossier, ils ont arrêtés la moitié de la Corse. C’est une figure pour dire que plus de 500 agriculteurs ont été interpellés et ont fait plusieurs années de prison pour rien…les pauvres…donc tu te dis si je rentre je ne sors plus. » poursuit Patrizia, le souvenir intact deux décennies plus tard. Quinze années ont été nécessaires pour obtenir le non lieu.
L’enquête s’est entremêlées de concurrence entre les services de police, de multiples scandales notamment de surveillance pimentée d’ambition politique. Au détriment des Corses. Yvan Colonna ,lui, portera le poids du préjudice de cette affaire jusqu’à ses derniers instants.
« Yvan est soutenu par le peuple toutes convictions politiques confondues, nationalistes ou non«
Patrizia Gattaceca
« Pour nous, Yvan était un rebelle, il était courageux. Il ne voulait pas se remettre aux mains de la justice car il n’arrivait pas à y croire en cette justice justement. On a mis beaucoup de personnes derrière les barreaux. Que l’on a relâché en pleine nature des mois voire des années après sans aucune compensation, sans excuses, sans rien. Avec des juges corrompus, comment voulez-vous que l’on croit à la justice ? Evidemment qu’il est soutenu par le peuple toutes convictions politiques confondues, nationalistes ou non. »
L’île sous haute tension
« Avec tout ce que j’ai entendu sur lui, je me dois de rétablir la vérité. Yvan c’était quelqu’un qui aimait les enfants, la nature, c’était un berger ! Il était droit et avait des valeurs fortes qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. Connaître les conditions dans lesquelles il est mort, ça m’a ébranlé. Comme ça a ébranlé un tas de gens. »
L’île était sous haute tension pendant plusieurs semaines suivant l’agression à la prison de Arles, le 02 Mars dernier. L’esprit fédérateur du célèbre indépendantiste n’a jamais quitté sa terre.
Des milliers de personnes ont manifesté leur soutien et leur colère dans les rues enflammées de l’île. Puis se sont rendues pendant 3 jours à Cargèse pour défiler. Des personnes issues de tous horizons : la montagne, la plaine, la ville. Nationalistes ou non.
En quittant l’île de beauté le 17 Mars dernier, Gérald Damanin a promis l’autonomie à ses habitants d’ici la fin de l’année. Néanmoins, il a précisé que la Corse restera française, le 21 Mars dernier sur RTL.
Par deux fois, la volonté nationaliste corse s’est exprimée dans les urnes à hauteur de quasi 70% des voix. « Le discours de l’autonomie on attend de voir ce qui va se passer. Aussi, il faudrait qu’on arrive à se mettre d’accord entre nous. Ensuite, l’autonomie ça dépend ce qu’on y met dedans. Il y a plusieurs formes d’autonomie. On est en Europe et on voit bien qu’il y a que la France qui traîne la patte. Les régions autonomes elles existent de partout. Donc c’est quoi le drame d’une autonomie en Corse ? Et surtout il faut mettre la langue comme enjeu de l’autonomie. En tant qu’acteur culturel, je suis déçue car pour moi la langue est un combat essentiel. »
Un peuple déterminé à poursuivre le combat
Le combat pour faire reconnaître et prospérer l’identité n’aura jamais quitté le berger de Cargèse jusqu’à son dernier souffle. Le gardien du troupeau ( il connaissait le nom de chacun des animaux qui le composait ) est désormais l’ange gardien du peuple corse. Un peuple déterminé à poursuivre le combat. Celui de la préservation et principalement la reconnaissance du patrimoine corse. « Mon combat est culturel. La culture pour moi c’est tellement quelque chose de politique, dans le sens où Défendre un projet politique sans la langue et sans la culture pour moi ça n’a pas de sens. Ce qui donne un sens au projet politique c’est justement l’identité. » explique la lauréate d’une Victoire de la Musique ( Meilleur album de musique traditionnelle « Les Nouvelles Polyphonies corses ») en 1992.
L’indépendantiste élevé au rang de mythe
« Je ne veux pas qu’Yvan soit mort pour rien. Si au moins sa mort peut faire avancer les choses, je me dirai qu’il n’est pas mort pour rien. Maintenant, Yvan est devenu un mythe pour nous, il entre dans l’histoire. Il a marqué une page de l’histoire violente malheureusement de la Corse. Et il entre dans l’histoire par la grande porte. »
De nouvelles manifestations sont d’ores et déjà annoncées pour les jours à venir en Corse. Malgré le deuil, la colère demeure.
« Il y a toute une génération de jeunes qui ont grandit avec le nom d’Yvan qui revenait sans cesse comme un symbole, comme un symbole de l’injustice de l’État. » Un indépendantiste élevé aujourd’hui au rang de mythe…
