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Les mots captifs – Eux

Les mots captifs – Eux

La campagne présidentielle approche de son terme. Plus que jamais, la classe politique française cherche des ennemis, des personnes responsables des maux de notre pays. Ce sont « eux » qu’ils dénoncent : eux les immigrés, eux les chômeurs, ou encore elles les femmes voilées. Mais que se cache derrière ce mot captif ?

Lui, elle.s, eux, c’est l’autre. Celui qui, au fond, n’est pas tout à fait comme nous. Celui qui, du fait de cette différence, est mis à part. Cette stratégie de relégation n’a rien de nouveau, et surtout, rien d’anodin. Elle poursuit ses propres objectifs politiques et électoraux.

L’invention de l’autre

Dans un morceau adressé à son fils (« Deviens génial »), le rappeur Vald y fait référence :

« Pour l’unité, faut des ennemis communs/Une tête de turc pour se faire des copains »

Dans ce contexte, l’autre est une construction sociale, une invention permettant de mieux renforcer le « Nous ». En aménageant des frontières arbitraires pour délimiter les siens, on fait naitre la différence. Face à l’altérité devenue indésirable, le sentiment d’appartenance se trouve exalté.

Un nouveau nous contre eux

Seulement, à force de taper sur la figure de l’altérité (aussi multiple qu’elle puisse être), celle-ci se construit dans l’opposition. Elle forge son identité en réaction à son exclusion. En d’autres termes : si tu ne veux pas de nous, alors laisse-nous constituer notre propre appartenance, mais contre les tiens.

C’est le sens de l’interlude de Laylow, intitulé « C’est Eux Contre Nous » :

« Ni tes amis, ni cette p***** d’société t’fil’ra un coup d’main, tu comprends ? C’est nous contre eux »

C’est précisément l’expérience partagée de la relégation (celle par les amis, par la société), vécue par l’artiste, qui fait naître une nouvelle identité collective. Celle de ceux qui ne sont pas conviés au grand « Nous » solidaire et uni à cause de leur différence.

Dépasser la binarité

Ces conceptions de l’appartenance se conçoivent uniquement dans l’antagonisme, la dissimilitude. Dans cette optique, l’autre est la condition sine qua non de soi. Ils forment les deux faces d’une même pièce.

D’autres artistes souhaitent dépasser cette vision, en imaginant un « Nous » qui n’a pas besoin d’un « Eux » pour exister. Ils y voient une manière de réconcilier les gens de toutes parts, comme Médine dans un tweet :

Capture d’écran Twitter – 31 mars 2022

Le rappeur invite à se penser collectivement dans l’inclusion plutôt que dans le rejet, dans l’amour plus que dans la haine. Il refuse l’antagonisme communément accepté selon lequel il faut détester l’autre pour s’aimer soi-même (en tant que groupe). Un retournement de perspective qui rappelle que les autres ne sont pas uniquement l’antithèse des siens.

Ce pont entre les êtres, la journaliste Juliette Fievet l’exprime elle aussi en concluant son émission Légendes urbaines par sa célèbre phrase : « Par Nous, pour Tous ». Pas de « Eux », mais une invitation à faire partie d’un tout, d’un ensemble qui se construit par-delà l’altérité.

L’humain en partage

Si l’autre est une création de la société, notre nature est bien humaine. Comme l’enjoint Abd Al Malik : 

« Sache que Eux […] c’est nous ».

L’artiste brise la discontinuité arbitraire tracée entre « Nous » et « Eux ». Un simple renvoi à notre commune condition humaine qui, par nature, nous lie toutes et tous.

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