Journaliste spécialisée en culture et technologie, adepte de l'éclectisme et…
Le graffiti prend ses quartiers. 5000 mètres carrés, 140 artistes et des performeurs à tous les étages, pour sa troisième édition, le Zoo Art Show, à Lyon, fait dans le XXL. A l’occasion de la réouverture ce mercredi 19 mai, retour sur l’un des projets les plus ambitieux de la scène.
Antoine a beau être installé dans un bureau peinturluré du sol au plafond, la bombe à même le béton, il l’assure : « c’est mainstream à fond ce qu’on fait ! ». Sous la vision du Zoo Art Show, crew de graffeurs (un qualificatif qu’il préfère à « collectif ») à l’origine de ce show XXL qui ouvre ce mercredi 19 mai, l’art des bombes s’expose sans se donner un genre. « Pour moi, la culture urbaine est la pop culture d’aujourd’hui. Tous les gamins portent des Jordan et écoutent du hip hop. C’est la culture dominante. »
Celui qui se présente sous son seul prénom est pourtant « un gars du terrain ». « On vient de la culture graffiti, hip-hop, rock. » Ses premières amours était la scène fusion des années 90-2000. Rage Against the Machine, Limp Bizkit… « J’avais un groupe de punk hardcore mélangé avec du rap. J’ai traîné toute ma vie dans des squats de graffiti, c’est comme ça que j’ai connu des graffeurs. »
Une carrière de musicien pro et quelques dizaines d’années plus tard, Antoine se range des voitures et entre dans l’immobilier. C’est comme ça qu’il met la main sur ces bâtisses destinées à la réhabilitation à qui il offre une dépendaison de crémaillère qui sent bon les aérosols. Cette fois-ci, c’est l’ancien siège social de Panzani qu’il transforme en un squat de 5000 m². Mainstream, mais authentique.
La Tour 13 version lyonnaise
Avant d’arracher la moquette rose pour la remplacer par des coulures, le Zoo Art Show a fait ses armes sur le tas. La première édition a lieu en 2018 et regroupe une quarantaine d’artistes, pour la plupart lyonnais. « Quand on parlait de la scène lyonnaise, on voyait tout le temps les mêmes », explique-t-il, référence notamment à Birdy Kids et leurs volatiles ludiques et colorés – qu’il invitera néanmoins à la première édition. « On voulait ouvrir le champ des possibles. » Le public est réceptif : 40 000 personnes se pressent pour des files d’attente qui durent jusqu’à deux heures. « C’était comme la Tour 13, mais en plus petit », se rappelle Antoine – même si, insiste-t-il, « on ne s’est inspiré de personne, on fait les choses à notre manière ». Ce premier coup d’éclat leur ouvre quelques partenariats – l’équipe de basket l’Asvel et l’institution culinaire les Halles de Lyon fait appel à eux – et surtout les clés pour la seconde édition : leur bail est étendu pour un an. Ils s’ouvrent à plus d’artistes, plus intégrés dans le circuit professionnel et venus d’autres villes – Chanoir, Dize… Le Zoo Art étend sa toile.
S’il est dur de rivaliser avec la fraîcheur et l’entrain de la première édition, le Zoo a prouvé qu’il est désormais un acteur sur lequel il faut compter. Vinci les commissionne pour réaliser la plus grande fresque d’Europe – désormais détruite pour laisser place à la prochaine plus haute tour de Lyon. « Tu pouvais mettre 15 personnes dans la narine du gorille », s’extasie encore Antoine de cette fresque monumentale réalisée par l’artiste lyonnais Kalouf : 140 x 40 mètres à quelques mètres de la gare de la Part Dieu et ses plus de 32 millions de voyageurs en transit par an. Non sans ironie, la compagnie des transports en commun lyonnais (TCL), pourtant fervent pourfendeurs des graffeurs, réclame elle aussi son graffiti (bien élevé, Kalouf évitera soigneusement de recouvrir les fenêtres). « C’est une petite revanche et une grande fierté. On sent qu’il se passe quelque chose. Si aujourd’hui Lyon est sur la carte du street art, on y est pour quelque chose. »
Cabaret urbain XXL
Pour cette troisième édition, l’ambition est à la mesure des attentes. Grâce à ses réseaux sur lesquels il reste très discret, Antoine a dégoté 5000 m² dessiné par Tony Garnier, architecte iconique de la capitale des Gaules. Au coeur du 6ème, quartier le plus chic de la ville, à quelques pas du Parc de la Tête d’Or et en face de l’ancien musée d’histoire naturelle de Lyon, « vide maintenant », souligne Antoine en esquissant un clin d’oeil (l’espace accueuillera bientôt des ateliers de danse et d’arts du cirque).
Le crew met sur pied un véritable cabaret urbain. Ils invitent des performeurs de toutes les disciplines qui touchent de près ou de loin la culture de rue : basketteurs, boxeurs, DJ, bicrosseurs, musiciens et bien sûr breakdancers, avec notamment la participation du b-boy Lilou, co-fondateur du collectif lyonnais Pokemon Crew et icône du hip-hop. Tous donnent vie aux œuvres des quelques 140 artistes qui ont recouvert les murs, le tout sur une bande son mise au point par Groove Sparkz, DJ du milieu turntablist multi-primé, lui aussi d’origine lyonnaise.
« On voulait monter d’un niveau en terme de qualité, de comment on raconte l’histoire du graffiti, des ambiances à donner. » Pour retracer l’histoire de cet art de rue sans le muséifier, le crew met en scène les époques, les styles et les cultures sans les fixer par des mots. Surtout, ils invitent des artistes encore actifs dans la rue. « Souvent, les festivals veulent du beau, explique Seb, graffeur qui s’est joint à la conversation. Par exemple, le vandale n’est pas beau pour eux, alors que pour d’autres il le sera. » « Il a un sens, enchaîne Antoine, ce n’est pas une question de beau. »
Au fil des salles et des étages, le visiteur s’immerge dans le style vandale, s’éblouit devant les muralistes, retrouve les collages, déchiffre les lettrages 3D. Il croise des légendes, des têtes d’affiches et des nouvelles signatures sans ordre de hiérarchie : Marko93, Dize, Soone, Snake, Lady K, Eyone, Brusk, Y?not, Kalouf, Solie… « On conserve une grande part de mystère, on ne fait pas de visite guidée. On veut que les gens comprennent par eux-même. Dans un squat, personne n’était là pour te dire « eux font de la 3D, eux font des visages ». J’ai voulu conserver ça ici. Cette culture est tellement complexe que tu ne la comprendras pas en une heure. » Ceux qui veulent en savoir plus devront donc fouiller, à l’ancienne. « A l’époque, il n’y avait pas Internet. Pour connaître, il fallait trouver des VHS qui passaient par Paris et que tu mettais 6 mois à avoir. C’était vraiment la découverte. Ou tu achetais des magazines et à la fin tu savais où l’artiste était né et quel était le nom de son grand-père. »
Un show XXL qui fait du bien après des mois passés en cage et qui rassure : si en entrant dans la pop culture le graffiti a perdu de son aura rebelle, il n’a pas perdu de son essence. « Les gens peuvent comprendre ce qu’ils veulent, les artistes peuvent dire ce qu’ils veulent. C’est une culture libre », conclut Antoine.
Journaliste spécialisée en culture et technologie, adepte de l'éclectisme et de la pollinisation des idées.