La France n’a ni constitution démocratique ni beaucoup d’exigence de probité pour ses dirigeants. Mais, juchée sur ses certitudes, elle se permet de donner des leçons (qu’elle viole sans cesse) au reste du monde.
La France a ses petites habitudes langagières qui la préservent de bien des réalités. Imaginez un pays où un président serait élu avec plus 80%, ce que les rédactions appellent habituellement un “score de dictateur africain”, vous en conclurez qu’il s’agit d’une “dictature africaine”. Et bien, pas du tout, il s’agit du sympathique Jacques Chirac, un homme secrètement très cultivé (et à peine condamné à la prison). Il a gouverné à droite comme s’il avait été élu par des voix de droite ? Et alors ? Puisqu’on vous dit que c’est dé-mo-cra-tique. C’est la France, il ne saurait donc être question de dictature.
Ce même pays a une constitution issue du coup d’État de 1958. Ha, non, pardon, issue de “pressions militaires” qui, dans d’autres pays, seraient appelées un coup d’État. En France, non. Il aura suffit d’une boutade du Général : “pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur?” pour que la France soit une Dé-mo-cra-tie. Si c’est De Gaulle, militaire maurrassien (c’est-à-dire monarchiste), qui l’a dit, que voulez-vous de plus ? Les autres pays ont besoin de parlements très actifs pour qu’ils soient considérés démocratiques, la France non. Les députés n’ont qu’à lever la main quand on leur dit de le faire. Ça suffit largement. La France peut avoir une constitution qui prévoit d’élire un monarque tous les 5 ans, et voilà : la France est encore plus démocratique que les autres. Pourquoi ? Pour rien, c’est ainsi. Les mots “France” et “démocratie” vont très bien ensembles.
On peut taper sur tout ce qui bouge, éborgner, frapper, frapper, frapper encore. Organiser des ratonnades en plein de cœur de Paris, saccager des tentes en plein hiver. On peut être condamné par le conseil de droits de l’Homme de l’ONU, rappeler à l’ordre par son équivalent européen, dénoncer par à peu près toutes les ONG internationales : et alors ? Tous ceux-là n’ont rien compris à la Dé-mo-cra-tie. Ils ne comprennent rien aux rimes, et démocratie rime avec la France. Voilà. Et tant pis si ça ne rime pas, ça rime quand même.
Quoi ? Nous sommes le seul pays avec l’Iran, l’Arabie Saoudite et quelques autres parangons des libertés publiques à avoir des gouvernants à opiner sans cesse sur les tenues vestimentaires des femmes? Mais, enfin ! Qu’avons nous à voir avec l’Arabie Saoudite ? Eux veulent des femmes voilées, nous les voulons dévoilées. Vous voyez bien, ça n’a rien à voir. Elles ? Ce qu’elles en disent, elles ? Mais, enfin, elles veulent être dévoilées en Iran et voilées ici, vous voyez bien qu’elles ne savent ce qu’elles veulent. On s’en fout de ce qu’elles peuvent bien dire dans chaque contexte. Nous sommes démocratiques (et laïques !) : elles n’ont qu’à la fermer. Et puis, quand elles se seront dévoilées, on leur demandera de cacher ce nombril que nous ne saurions voir. Il ne faut pas exagérer, tout de même. Nous avons la chance d’avoir un président qui a bon-goût, ce serait dommage de ne pas en profiter.
Un président qui a les pouvoirs d’un monarque, intervenant même sur les tenues vestimentaires des jeunes filles ; des droits humains bafoués ou violés chaque jour, chaque heure, chaque minute, dans toutes les prisons du pays, à peu près à toutes les frontières, dans chaque “centre de rétention”, dans tous les “camps de réfugiés” informels, lors de toutes les manifestations ; des hommes politiques et leurs partis condamnés à de multiples reprises pour à peu près toutes les formes de corruption ; des oligarques qui détiennent la presque totalités des médias ; des policiers qui pissent sur la justice ; des ministres de l’Intérieur qui condamnent les décisions judiciaires ; des préfets en guerre contre la population… Pas de panique, vous êtes en France, donc en Dé-mo-cra-tie.
