Par l’urgence invoquée d’une démocratie en déroute, l’année 2022 affiche un fichu constat. Le nombre de journalistes emprisonnés a, de nouveau, atteint son record historique. Au bord du précipice de l’obscurantisme, la presse libre joue désormais sa vie.
Parce que dans un moment comme celui-ci, où la démocratie est menacée, bafouée, et piétinée – même dans les États qui la placent au centre de leur Constitution – la liberté d’informer et de s’informer semble si fragile. Dépoussiérer des dossiers politiques, déterrer des affaires de corruption, dénoncer les violations de droits ou encore pointer du doigt les « loups »… Les journalistes livrent un récit qui déraille parfois de la parole étatique.
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tord, il est de porter la plume dans la plaie. »
Albert Londres
La presse libre n’est pas meurtrie, mais sa tombe est bien creusée. En 2022, le nombre de journalistes emprisonnés dans le monde a en effet atteint un nouveau record. 533, selon le dernier rapport annuel de Reporter Sans Frontière (RSF), dont 83 non professionnels et 18 collaborateurs des médias. Une augmentation de plus de 13 % par rapport à 2021, qui s’explique notamment par un plus grand ciblage des pouvoirs autoritaires contre les défenseurs de l’information.

Contre-pouvoir essentiel
Plus de la moitié des journalistes emprisonnés est détenue dans seulement cinq pays : la Chine, pire délinquante, la Birmanie, l’Iran, le Vietnam et la Biélorussie. Seule la République Islamique d’Iran ne faisait pas partie du ce sinistre palmarès en 2021. Mais depuis le début de la révolution iranienne, le 16 septembre 2022, les multiples répressions contre la presse l’ont projeté au 3ème rang des plus grandes prisons au monde pour les journalistes. À tour de bras et par dizaines, les autorités auraient enfermé 34 journalistes, sous couvert de lutte pour l’intérêt général. Dans la presse locale, ce ne sont pas moins d’une soixantaine de professionnels recensée derrière les barreaux de Téhéran.
Si dans un système démocratique la presse libre est un contre-pouvoir essentiel, elle est fondamentale dans les régimes autoritaires. « Ce nouveau record du nombre de journalistes détenus confirme la nécessité impérieuse et urgente de résister à ces gouvernements sans scrupules et d’étendre notre solidarité active à tous ceux qui incarnent l’idéal de liberté, d’indépendance et de pluralisme journalistique», écrit ainsi Christophe Deloire, secrétaire général de RSF dans un communiqué de presse. Les motifs de détention insensés et non creusés, comme « diffusion de fausses informations », « espionnage », ou encore «appartenance à un groupe terroriste», pleuvent sur les journalistes. Meilleur moyen pour couper court aux critiques et discréditer l’opposition.

La Chine délinquante
C’est en Chine que l’on trouve le plus grand nombre de journalistes emprisonnés appartenant à la même rédaction. À Hong Kong, Jimmy Lai, fondateur du quotidien taïwanais Apple Daily et six de ses employés ont été inculpés de « complot en vue de collusion avec des forces étrangères » en vertu de la draconienne loi sur la sécurité nationale. Tous risquent la prison à vie. L’exécutif hongkongais avait ordonné la liquidation de la société mère du journal, Next Digital Limited, entraînant donc la fin du quotidien pro démocratie, Apple Daily. Une décision jugée « opportune pour l’intérêt général », et en phase avec la loi sur la sécurité nationale, adoptée en 2020 sous la pression de Pékin.
Enquêter sur la corruption, ligne rouge
Jamais les temps modernes n’auront mesuré une température si basse de la liberté de la presse. Et dans ce climat de répression à tous les niveaux, certains ne survivent pas aux tirs croisés. Selon son décompte annuel, RSF compte également 65 journalistes pris en otage, 49 portés disparus et 57 assassinés en 2022. Parmi les pays les plus dangereux pour la profession, le Mexique se positionne en tête du classement. Le président Andrés Manuel López Obrador, en fonction depuis 2018, avait pourtant promis de prendre des mesures urgentes pour renforcer le mécanisme de protection mis en place par le gouvernement fédéral.
« Enquêter sur le crime organisé et la corruption font partie des sujets les plus dangereux à couvrir », explique RSF. Écho à l’actualité brûlante, on semble avoir basculé dans l’ère où ce sont les délinquants qui désignent les délinquants. Motus et bouche cousue, telle est la religion par laquelle les autocraties jurent. Mais tout le monde ne se tait pas, et ça agace.