Jane Campion, première femme dans l’histoire du cinéma à avoir emporté une palme d’or au festival de Cannes. Première réalisatrice avoir été nommée à deux reprises aux Oscars et finalement à l’avoir emporté cette année.
Pour faire court, chaque film de Jane Campion remporte une récompense ou est remarqué par les plus grands festivals de cinéma. Un palmarès impressionnant mais ce n’est pas pour cette raison que je lui consacre un épisode de ma chronique Hip Hop Cinéma.
Brisant les carcans du patriarcat, exprimant le désir féminin, la marginalité, l’émancipation, Jane Campion met inlassablement en scène des femmes fortes et marginale. Un cinéma qui donne un coup de pied dans une société codée et normée donc éminemment hip hop pour moi.

Le féminisme par sensibilité
Si Jane Campion n’a jamais revendiqué un féminisme militant appuyé, son cinéma « de femme », non américain et singulier est devenu un symbole.
« Mais, ce n’est pas une revendication ! Je ne le fais pas exprès ! C’est ma sensibilité qui est en jeu avec laquelle j’essaie d’être sincère ! »
Jane Campion
Avec sa palme d’or « La Leçon de piano », Iris Brey, la classe dans sa liste des sept films les plus féministes, les plus porteurs d’un female gaze.
« On ne leur (aux femmes) en donnait pas l’opportunité. Pendant des années, je me suis sentie très seule avec la ferme impression que tout ce qui était intéressant se déroulait chez les garçons. La relève arrive en force et je m’en réjouis. Un succès entraîne l’autre et génère la confiance des producteurs. Les femmes qui se révèlent de bonnes cinéastes ne le sont pas parce qu’elles sont des femmes, mais parce qu’elles ont du talent. Il leur fallait juste avoir la possibilité de l’exprimer. C’est drôle de penser au nombre de domaines pour lesquels on disait que les femmes seraient incapables de réussir et où elles ont fini par exceller. »
Jane Campion
L’émancipation des femmes : La leçon de piano
Fatalement féministe, irréductiblement insoumise, Jane Campion tourne des films qui «réagissent contre l’obsession de la société pour la normalité, sa propension à exclure les déviants».
Dans la leçon de piano, l’héroïne est muette. Elle a choisit, un jour, de se taire. Ada est envoyée d’Ecosse en Nouvelle Zélande, marié par son père, à un vieux garçon, propriétaire terrien là-bas, comme on donne une vache.
Son silence comme un refus de participer au langage majoritaire, celui qui marchande les femmes. Le silence, un « choix », en l’occurrence l’un des rares à la disposition d’une femme à une époque où père, frère ou mari sont seuls maîtres de sa destinée.
Depuis La leçon de piano, le thème de l’affranchissement, personnel ou social, avec pour figure centrale une héroïne, est demeuré prévalent dans l’oeuvre de Jane Campion — il l’était déjà dans ses premiers films, Sweetie et An Angel at my Table.
Il est au coeur de son adaptation de Portrait de femme (Portrait of a Lady), en filigrane dans Holy Smoke !, manifeste dans In the Cut.
Le désordre du désir : In the cut
Dans In the cut chaque image exprime une tension sexuelle entre excitation, danger, sexe et mort. Sentiment toujours trouble loin de la princesse et du prince charmant, filmé au plus près des corps. Dans un style mélangeant le vérisme de la caméra au poing et la confusion des formes et des couleurs liée à une mise au point volontairement diffuse.
Avec In the cut, Jane Campion s’essaye au film de genre, le policier, mais détourne les figures imposées. Elle autopsie le désir féminin : sa quête, son assouvissent, sa reconnaissance au travers des relations homme-femme, leurs heurts érotiques.
« Le film explore la mythologie contemporaine de l’amour et du sexe et la tentative de s’unir à une autre personne, et elle le fait au beau milieu du chaos grouillant d’une ville modern. Frannie rencontre les problèmes que beaucoup de gens affrontent dans la vie citadine d’aujourd’hui. Elle s’interroge sur la sexualité, la honte, le désir et la peur des choses qui semblent n’avoir aucune logique, aucun ordre. C’est cela qui m’a intéressée. »
Jane Campion
Dans les première minutes du film, Jane Campion filme une scène de fellation qui fait renaitre un désir mort, le plaisir de l’abandon charnel, la réinterprétation du monde. In the cut joue sur la schizophrénie, la dualité, les apparences, l’ambivalence des sentiments, l’angoisse de se perdre, de se rencontrer et de s’abandonner.
S’extirper du patriarcat : The top of the lake
Jane Campion et son co-scénariste Gerard Lee questionnent le poids du passé, le zeitgeist patriarcal, et le statut des femmes victimes de leur environnement, submergées par leurs noirs abîmes intérieurs, abîmées par les agressions extérieures. Des femmes qui devront s’affranchir des codes, de leur soumission, de leur silence, de leurs contradictions, de leurs chairs et racines, si elles veulent pouvoir dompter leurs démons et assumer leur force monstre.
Top of the Lake, alors, accouche d’un féminisme lucide qui n’édulcore rien ni personne, et qui engage la femme à se défaire de l’homme et à repenser les mythes qui l’ont conditionnée.
Les hommes, monstrueux, ont aussi leurs sentiments et leurs souffrances Jane Campion ne réduit pas ses combats à une dichotomie genrée. Au contraire, elle vient fouiller les paradoxes, creuser dans tous les sens, dans le seul but de repenser le monde, de se libérer des carcans, de questionner la relation entre les deux sexes, le rapport de l’être à son corps, à son environnement, et plus largement, à l’espace.
Il n’est pas seulement question pour les femmes de reprendre les rênes de leur vie sexuelle et sentimentale, il ne s’agit pas seulement pour elles de repenser leur rapport avec les hommes, mais bien de repenser le rapport qu’elles entretiennent avec elles-mêmes et en elles-mêmes, et en quoi ces fameux mythes fondateurs les ont conditionnées, et, ont façonné à la fois l’image qu’elles ont d’elles-mêmes et les comportements et patterns de pensée qui en découlent.
Les films de Jane Campion sont âpres, dérangeants, sarcastiques, sans concession, je la remercie pour cela.