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AMANDA BA : EMBRASSER LES CONTOURS DE NOS ANIMÉITÉS 

AMANDA BA : EMBRASSER LES CONTOURS DE NOS ANIMÉITÉS 

Dans une histoire de l’art féministe, philosophique et décoloniale, Amanda Ba situe le regard hors de l’humanité pour nous faire entrer dans les mondes des animéités.

Bitch and Bull, Amanda Ba
Oil on canvas, 100×100 cm

Les communautés marginalisées ont longtemps été rabaissées, méprisées par le biais de comparaisons avec les animaux ( chien.ne.s, singes, rats, l’ensemble des pre-homo sapiens considéré.e.s comme des « sauvages » ), et nous penser nous-même comme véritablement égau.x.le.s aux chien.ne.s est le premier pas dans le mouvement, la construction vers un futur post-humain non-anthropocentrique. 

Amanda Ba, The Here and There Co.

Amanda Ba, le désapprentissage de la notion stricte de l’identité et du réel

Née à Ohio, Amanda Ba grandit à Hefei en Chine avec ses grands parents jusqu’à l’âge de 5 ans avant de revenir aux Etats-Unis. L’artiste, sino-américaine, se déplace ainsi dès l’enfance dans le concept d’hybridité, découvert chez Ien Ang, qui habitera par la suite son travail :

« Si je devais appliquer cette notion d’intrication complexe à ma situation personnel, je me décrirais comme suspendue-entre : pas véritablement occidentale ni authentiquement asiatique ; incrustée dans l’Occident et toujours partiellement dégagée de lui ; détachée de l’Asie et en quelque sorte durablement attachée émotionnellement à elle. Je souhaite conserver cette hybride in-betweenness non parce que c’est une position confortable dans laquelle se trouver, mais parce que cette ambivalence est la source d’une perméabilité et d’une vulnérabilité culturelle qui est la condition nécessaire pour vivre ensemble dans la différence. »

Dinner-time, Amanda Ba
Oil on canvas, 90×120 cm (2020)

Cette ambivalence, elle habite les totalités du regard d’Amanda Ba. Autodidacte, l’artiste poursuit le dessin dès l’âge de 12 ans sur la plateforme en ligne Deviantart où elle apprend l’anatomie, la couleur et développe sa technique. À 15 ans, elle réalise sa première huile sur toile et c’est sa professeure d’arts plastiques qui l’encourage à poursuivre. Elle plonge dans le travail de Lucian Freud, peintre et graveur figuratif britannique d’origine allemande et Alice Neel, peintre figurative américaine, féministe et libertaire. Elle l’affirme bien cependant : « mes vraies origines ont été les communautés en ligne, avant que je n’étudie quoique ce soit des canons de l’histoire de l’art ». L’ambivalence est là, toujours, entre la formation académique et le désapprentissage de toute méthodologie antérieurement établie pour laisser place à la perméabilité et la vulnérabilité de soi(s)-même, des brèches déroulant le fil du regard au-delà du réel.

Explorer les visions des nouveaux mondes

A Night Away (Yearning), Amanda Ba
Oil on canvas, 170×190 cm

Beaucoup de la théorie critique est ancrée dans des ailleurs, et la croyance dans la possibilité de systèmes sociopolitiques autres que ceux dans lesquels nous vivons actuellement. Ça m’amène à imprégner mon travail d’un timbre surréel, parce que je crois à ces ailleurs.

Amanda Ba, It’s Nice That.

L’ambivalence encore. Entre le monde que l’on habite et les mondes que l’on aspire à faire naître. Les mondes qui existent déjà, quelque part, parce qu’ils ont été écrit, parce qu’ils ont été pensé, parce qu’ils ont été dit, rêvé, aimé. Parce qu’on les vit déjà, dans les espaces qui sont les nôtres, parfois l’espace de quelques heures seulement, mais qu’on les a vu, alors, et qu’on ne pourra plus jamais nous faire croire qu’ils n’ont pas lieu d’existence. 

Ces mondes, Amanda Ba les ancre chez Ien Ang mais aussi chez Sadiya Hartman, Mel Chen et Donna Haraway, dans la théorie critique de la race et la théorie critique queer. Elle le dit, The Companionship Species Manifesto de Donna Haraway a guidé ses visions, notamment l’exploration de l’idée de « l’implosion de nature et culture dans les vies jointes des chien.ne.s et des êtres humain.e.s, qui sont liées dans « l’altérité significative », dans toute leur complexité historique ».

Ces mondes, Amanda Ba les déploie dans les théories des animéités de Mel Chen, dans le rejet d’une classification hiérarchique rigide des êtres animé.e.s et des objets où l’être humain.e, au sommet des vivant.e.s et des inanimé.e.s, se distinguerait de l’animal qui se distinguerait de la plante qui se distinguerait de la pierre. En embrassant la fluidité des animéités, leur queerness, entendu chez Mel Chen non comme une identité incarnée dans l’orientation sexuelle mais comme « des formations sociales et culturelles « d’affiliations inappropriées » de manière à ce que la queerness puisse décrire une éventail de subjectivités, d’intimités, d’êtres et d’espaces situés à l’extérieur de l’hétéronormativité. »

Renaître comme animéité

Suburban Giantess, Amanda Ba
Oil on canvas, 190×170 cm

J’ai une aversion pour l’idée traditionnelle de la beauté, notamment parce qu’elle est liée avec des conceptions hétéronormatives de la féminité et de la sexualité. Le trouble (ressenti quand un.e spectat.eur.ice regarde mes peintures) opère comme une subversion.

Amanda Ba, It’s Nice That.

Dans les ambivalences, traits d’union, fissures du regard d’Amanda Ba, des femmes hybrides crevant l’espace, poilues, les jambes écartées, les mains de géantes, des femmes rouges, rouges de sang, la peau de livre rouge, rouge de révolutions, de désir, de rage, rouges comme des premières-nées, massives, le regard de chiennes, rouges pour venger la race et reprendre les mondes qui nous ont été volées, rouges, la gueule ouverte, la nudité rouge quand la honte disparaît et que le corps regarde, rouge les cheveux tressées, rouge animale, pierre, immensité hors du regard hétéronormartif blanc. Dans les ambivalences, traits d’union, fissures du regard d’Amanda Ba, des femmes hybrides qui se regardent, enfin vivantes, dans d’autres mondes.

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