Déjà 15 ans, mon Annie, que tu es partie. 15 ans que nous n’avons pas ri, 15 ans que je ne t’ai pas sentie.
Tu me manques mon Annie. Toi pour qui j’écris. Tu me manques à chaque coup dur, à chaque moment où j’aurais besoin de me lover dans la chaleur de ton regard, de me blottir dans ta tendresse, dans tes mots doux et chauds.
Aujourd’hui, comme hier, mais comme demain encore, j’en ai besoin. J’ai besoin de toi Annie, pour avancer, continuer à me battre dans la joie et l’allégresse comme tu m’as appris à le faire. C’est dur mon Annie, … Tu sais combien tenir debout est complexe quand chacun de tes pas te coûte, petites sirènes que nous sommes.
Mais ce n’est pas par amour qu’on a voulu des jambes, non ! Ce n’était que par conviction. Nous voulions tout simplement la vie, la joie et le rire. Pour cela, il fallait renverser leur monde triste et pathétique. C’est en cours, mais c’est dur, ça coûte cher.
Si tu savais, comme je regrette de ne pas pouvoir partager avec toi toutes ces lectures qui t’auraient fascinée. J’aurais aimé t’emmener à Verdragon, la première maison de l’écologie populaire à La Noue à Bagnolet et t’y présenter Fatima Ouassak.
Elle a écrit un livre : La Puissance des Mères. Tu aurais tellement aimé. Quelque part, elle te ressemble.
Tu l’aurais adorée. Elle a fondé le Front de Mères, une super association de parents qui tient aussi une permanence là-bas. C’est un lieu ouvert, aux adultes et aux enfants, un lieu au vert, au milieu du vert.
Je te vois y lire, l’Enfant, le Prisonnier, mais aussi l’Éloge de la Nage ou encore Paedophilia bien sûr. Ce dernier ouvrage paru après ta mort, repris par Nancy Houston, dont nous avions tant parlé toi et moi…
Loin de nous l’idée que les femmes n’étaient que dévotion! Nous savions la maternité pleine de force, de sagesse, d’expérience. Dangereuse aussi, si elle n’était pas questionnée, possiblement dévorante. Cette relation si particulière d’une mère à son enfant, relation expérimentée par l’une et l’autre, nous fascinait tout en nous interrogeant. Le Mal de mère, tu as écrit…
J’aurais aimé discuter avec toi du livre de Jennifer Padjemi (Féminisme et Pop Culture) qui m’a fait tellement de bien. J’ai pensé à toi en le lisant tant il y avait de la joie, du plaisir à être, à exister. Elle, comme toi, s’est donné le droit, malgré tout. Elle a fait son bout de chemin, son entre deux à elle, pour faire les ponts et les liens qui lui semblaient justes.
Tu aurais aimé cette période que nous vivons. Les hommes et les femmes sont dans des relations nouvelles à inventer. Tout est à réinventer. C’est le moment de relire Hommes et Femmes et Epousailles (voire de l’éditer à nouveau car il est en rupture).
J’aurais aimé lire le dernier livre de Mona Chollet avec toi, en débattre avec toi et Paul bien sûr… J’ai souvent l’impression de retrouver nos discussions, nos échanges, nos confidences quand je les lis ces femmes-là. Sans le savoir, elles me permettent toutes de te retrouver un peu…
Certaines te citent, j’en tire toujours une immense joie de te voir reconnue, enfin!
Ô, mon Annie! Aujourd’hui, je peux le dire. Je n’y vole rien à Arianne pour qui tu portes le sobriquet que tu aimais tant et qu’elle seule a le droit d’émettre. Je n’y vole plus rien non plus ni à Nikos ni à Paul, je peux désormais t’appeler mon Annie. Celle qui m’habite encore et toujours, celle dont je suis née. Tu voulais que je sois ta continuité. Je ne sais pas si j’ai réussi, j’aurais essayé.
Je pense à toi dans chaque lecture que je découvre, chaque graine que je plante, chaque spasme joyeux qui me traverse. Tu es en moi. Tu le seras toujours, car une rencontre comme la nôtre ne s’efface pas. Elle dépasse les frontières de la vie et de la mort. Elle est au-delà de tout ça.
Ce n’est pas un amour sous algorithme qui répond à des mathématiques précises, loin de là. C’est un amour désintéressé, même désincarné, un amour qui ne s’attend pas, ne se cherche pas, ne se prévoit pas. Un amour de la surprise, de l’inattendu, de l’inespéré. Tout ce que les sites de rencontres et les applis empêchent. Tu aurais bien ri en lisant Judith Duportail, mon Annie.
Tu m’a appris que l’amour véritable porte, soutient inconditionnellement. Tu m’as permis de comprendre que nous nous trompions souvent en confondant amour et passion. A tes yeux, il n’a pas vocation à faire mal. Bien avant Eva Illouz, nous questionnions les ingrédients de la vie de couple, ses avantages et ses inconvénients. Surtout la nécessité de la réinventer pour que chacun des membres s’y sente à l’équilibre, s’y retrouve.
Tu me manques mon Annie. Cela me manque d’écouter du rap avec toi, de le décortiquer d’un point de vue sensible et non intellectuel. Tu me manques mon Annie, mais tu devrais manquer au monde entier vu l’ampleur de l’œuvre qui tu laisses derrière toi… Comment penser le féminin, le monde, l’écologie, la domination masculine sans toi ?
Tu disais que j’avais tout compris, mais je maintiens que tu avais tout vu. Je t’aime Annie. Tu resteras à jamais ma Mentor.