Une saison. Une ville. « Hiver à Paris » signe le tant attendu 4ème album de Dinos. Un titre évocateur pour l’artiste originaire de La Courneuve, le renvoyant à un mélange d’impressions, d’attentes et de déceptions liées à la capitale.
Paris, dans sa matérialité physique, est une ville a priori immobile. Le goudron, le béton, l’asphalte peinent, à eux seuls, à animer la ville. Mais dès lors que son espace est vécu, son aménagement habité, la capitale prend vie. Elle interagit avec qui en fait l’expérience, à tel point que son sol devienne constitutif de l’identité de celui qui y met les pieds.
Dinos en témoigne très justement dans « Hiver à Paris ». Il y dépeint sa relation ambivalente avec Paname, teintée d’amour, de nostalgie et d’espoir. Cette plongée dans l’intime est portée par un récit allant du gigantisme de la capitale, à la spécificité de ses quartiers, de ses rues, de ses objets. Précisément dans ce jeu d’échelle s’exprime l’imaginaire de Paris chez le rappeur.
Paris l’hiver, « Ville Lumière » ?
Si Paris est historiquement surnommée « Ville Lumière », Dinos en questionne l’appellation.
Il fait noir dans la ville lumière, il fait froid dans la vie d’une mère
« AMG Performance » feat. Lossapardo
Au caractère lumineux de Paris, l’artiste oppose son obscurité, tant d’un point de vue visuel que sentimental. L’hiver évoque la pluie, le froid, le noir, autant d’éléments qui se reflètent dans l’état de son cœur et de celui des gens.
Cette obscurité se comprend aussi bien dans l’évocation des difficultés de la vie d’une mère que dans la rupture qui suit son amour (é)perdu (« Ils disent que Paris, c’est la ville de l’amour mais pourquoi on ne s’aime plus ? »).
En cela, l’hiver marque la difficile fin d’un cycle, poussant à la nostalgie de celui qui lui précède (les beaux jours), et à l’espoir de celui qui lui succèdera (le printemps, le renouveau).
D’un quartier à un autre, l’importance de la trajectoire spatiale
En portant son regard sur certains quartiers, Dinos offre un récit complexe témoignant de sa trajectoire spatiale, de la Cité des 4000 à la Courneuve aux « beaux quartiers » de la capitale.
Saint-Germain-des-Prés c’est pas pour les gens comme moi / Si tu m’regardes de près, j’ressemble encore au 9-3,
« Rue de Sèvres »
Bien que la célébrité de l’artiste l’ait amené à pouvoir fréquenter des lieux auxquels il n’avait pas accès auparavant, son origine sociale le rattrape. Saint-Germain-des-Prés, quartier riche du centre de Paris, matérialise cette exclusion sociale.
A ce stade, avoir de l’argent ne suffit plus ; l’entrée dans un quartier bourgeois suppose le respect d’un ensemble de normes sociales (dans lesquelles l’artiste ne se reconnait pas). Alors lorsque l’on s’intéresse à la spécificité de ces quartiers, on remarque que Paris se révèle éminemment excluant.
De la précision des lieux
Le zoom progressif vers des lieux concrets va de pair avec l’entrée dans la dimension la plus intime de l’artiste. Il raconte « Réaumur », « Châtelet-Les Halles », « les rues du onzième », le « Boulevard des Capucines », allant jusqu’à parler du « 53 de la rue Quincampoix ».

(De l’importance donnée aux sensations chez les impressionnistes)
La précision de ses descriptions donne un ancrage de plus en plus intense dans le réel. Ces lieux sont éprouvés par l’artiste, le renvoyant à des souvenirs tantôt d’amour, tantôt de misère sociale présente dans la capitale (pauvreté, alcoolisme, drogue).
Des objets allégoriques
A ces lieux localisés, précis, vécus, l’artiste ajoute des objets auxquels il donne une dimension symbolique. A travers son expérience, Dinos dépasse la matérialité de ces « choses » pour leur faire atteindre un niveau d’abstraction nouveau.
Paris en Hiver, entre les routes et les travaux / Entre les doutes et le chaos, entre le clou et le marteau
« Rue de Sèvres »
« Routes » et « travaux », au-delà de faire partie intégrante du paysage parisien, font allusion à l’indécision et au déchirement du rappeur. Mis en parallèle avec « doutes » et « chaos », ils renvoient à des souffrances vécues : la nostalgie des beaux jours, l’amour perdu, la violence sociale. De là émerge la position inconfortable de Dinos, décrite comme celle « entre le clou et le marteau ».
Ces « choses » représentent le niveau ultime de précision des textes de Dinos. Elles s’ancrent dans un récit plus large, jouant des échelles pour créer un imaginaire très personnel sur la capitale en sa saison froide. Sous la plume du rappeur, la ville prend vie. Elle s’illumine dans l’obscurité de sa prose aiguisée.